Chapitre 21

Je ne bouge pas tellement, je suis sous le choc. Je n'ose même pas respirer.

Qui aurait fait-cela ? Pourquoi ?

Je n'ai rien à cacher, rien qui pourrait intéresser un voleur. Juste ma vie, insignifiante et vide. Je n'ai rien apporté de valeur sauf mon collier en opale, pendu à mon cou, qui ne me quitte jamais. Et mes livres aussi, qui me tiennent compagnie dans mes nuits sans sommeil.

Se pourrait-il qu'une personne soit à la recherche d'une chose dont j'ignore l'existence ? Une preuve contre moi, qui m'accusent des meurtres de Dell ou une preuve que ma place n'est pas ici, comme Daerôn me l'a fait remarquer, il y a quelques minutes ?

Est-ce une menace ? Une mise en garde ?

Je m'agenouille en glissant contre la porte, la tête entre les mains. Pour le moment, je dois vérifier si mes maigres affaires sont toujours présentes dans la pièce. Je ferai mieux d'en avertir Luther avant de faire quoi que ce soit. Il saura peut-être quelque chose.

Je sors de la chambre avec les mains tremblantes. Malgré mon angoisse, je cours dans les couloirs à sa recherche. Il doit être dans l'aile est, réservée aux entraîneurs et aux organisateurs des Jeux. Je frappe à sa porte, mais personne ne me répond. Tant pis, je retourne sur mes pas dans l'idée de remettre ma chambre en ordre.

Je bouscule Ardalôn qui sort de ses appartements. Il m'intercepte par les épaules pour me stopper. Je suis essoufflée.

— Que se passe-t-il, Elwing ? Tu as un problème ?

Je regarde alors s'il n'y a pas de caméras dans les couloirs afin qu'on ne nous voie pas ensemble.

— Il n'y a rien à craindre ici, ne t'inquiètes pas. Ils sont plus intéressés par la rencontre avec le roi Gauvin qu'à des histoires de couloirs.

— As-tu vu Luther ? je demande alors que je peine à retrouver mon souffle.

— Il est en réunion avec les organisateurs de Vilaz. Que se passe-t-il ? répète-t-il.

Je commence à tout lui raconter, mais les mots se mélangent quand je les prononce et mes pensées sont confuses.

— Calme-toi, Elwing. Respire. Ça va aller, chuchote-t-il d'une voix rassurante.

— Quelqu'un a fouillé ma chambre et tout est en désordre.

Ardalôn fronce les sourcils et s'avance dans le couloir. Il se tourne vers moi.

— Viens, on va voir les dégâts.

Je le suis en pinçant les lèvres, inquiète.

— As-tu regardé s'il te manquait quelque chose ? demande Ardalôn alors que nous arrivons devant ma porte.

— A première vue, non. Mais je voulais d'abord prévenir Luther. Je ne vois pas ce qu'on pourrait me dérober.

Nous entrons dans la pièce. Elle est dans le même état dans laquelle je l'ai laissée. Je range mes affaires en silence en vérifiant minutieusement s'il ne manque rien. Je remets les fauteuils en place et refais le lit. Ardalôn examine la salle de bains et la bibliothèque.

— Tu es sérieuse ? lance-t-il alors qu'il désigne un recueil relié en cuir marron.

C'est un livre de légendes intitulé « L'arbre savant ».

— Quoi ? Je n'ai pas le droit de lire des contes ? je rétorque afin de détendre l'atmosphère.

— Cette légende vient de ma planète, dit-il avec un sourire en coin. Je croyais que tu ne lisais que des légendes delliennes.

— Tu crois beaucoup de choses, Ardalôn.

Nous n'avons finalement rien trouvé de compromettant. Aucun indice, aucune trace. Rien qui n'indique l'identité du fouineur. Si j'étais arrivée plus tôt, je saurais peut-être de qui il s'agit. D'ailleurs, ma chambre naurait peut-être même pas été fouillée.

Si Daerôn ne m'avais pas parlé, je serais monté plus vite, c'est certain. Une pensée s'installe sournoisement dans mon esprit. Et si Daerôn faisait le guet pendant qu'une personne fouillait ma chambre ? Cette nuit, je resterai sur mes gardes.

*

Lindorie est dans mes appartements depuis l'aube. Aujourd'hui est un jour férié sur Vilaz parce qu'on y célèbre la fête des Trois lunes. C'est, un jour, spécial afin de commémorer l'alliance de paix entre la planète et les lunes qui gravitent autour delle. Tous les candidats aux Jeux sont invités à venir se divertir pendant les festivités.

— Je te le répète, Lindorie, être invitées ne signifie pas que nous sommes obligées d'y aller.

— Tu ne connais pas encore le vocabulaire des Jeux. Inviter veut dire obliger sous peine de représailles. Nous n'assistons pas à la fête, nous sommes la fête. C'est là toute la nuance, précise-t-elle tandis qu'elle brosse sa chevelure de feu.

En conclusion, je vais devoir me préparer, autant physiquement qu'émotionnellement.

— Si tu voulais me rassurer, c'est raté, dis-je dans un soupir.

Je m'installe en face d'elle sur un fauteuil vert pastel à côté du miroir. Je la regarde se battre avec ses cheveux électriques et sa brosse en bois. Elle semble sereine même après les paroles qu'elle vient de prononcer.

— Tu pourrais t'amuser au moins une fois dans ta vie plutôt que de toujours être sur tes gardes.

— C'est facile pour toi. Tu as l'habitude de toutes ces festivités et tu ne crains pas pour ta vie.

En revanche, moi, je dois me méfier du meurtrier de Dell, encore en liberté, et survivre aux épreuves des Jeux.

Lindorie arrête de se coiffer et me fixe intensément.

— Je sais qu'il y a des risques et même pour moi, ils existent. Je ne suis pas à l'abri dune grave blessure ou d'une humiliation. Je représente ma planète au niveau politique et culturel. Je dois faire face à l'oppression kalisse tout en essayant de ne pas mettre en danger mon peuple. Malgré tout, je sais m'amuser et profiter de la vie.

Je comprends ce qu'elle veut dire. Pour elle, les Jeux n'ont aucune fin. Quand elle rentrera sur Glow, elle portera les conséquences de ses actes. Ensuite, elle s'entraînera pour les prochains Jeux. Cest comme une torture, un cercle vicieux. Depuis qu'Aegnor a décrété que seuls les héritiers ou les enfants de la cour doivent participer aux Jeux, ces derniers doivent revenir tous les ans pour jouer aux jeux impitoyables de ce roi cruel.

Pourtant, elle ne pourra jamais comprendre ma situation. C'est vrai, ma planète ne compte pas sur moi, une menace de guerre ne plane pas directement sur elle, mais je risque la mort parce que je ne suis qu'une dellienne. Je ne suis qu'une victime collatérale des Jeux. Peu de personnes pleureront ma disparition. Mon peuple ne souffre pas de l'oppression, il s'y est doucement habitué, comme lorsqu'on empoisonne quelqu'un goutte par goutte.

— Toi, tu rentreras chez toi. Moi, ce n'est pas sûr, j'ajoute afin quelle comprenne.

Elle me lance un regard attendri.

— C'est pour cette raison que tu dois profiter de la vie. Avant qu'elle ne te soit enlevée.

Je m'efforce de lui sourire. Elle vient de m'assurer de ma mort et non de ma survie.

Elle déplace le fauteuil sur lequel je suis assise afin que je sois en face de la glace.

— Laisse-moi te transformer en beauté fatale !

Je décide de chasser mes idées noires juste pour quelques instants.

— Vas-y, amuse-toi.

Lorsque nous sortons du château, un cortège de calèches nous y attend avec les autres Joueurs. J'ai du mal à me déplacer avec ma longue robe à corset. Mon visage est maquillé et mes cheveux joliment relevés sur ma nuque. J'ai l'impression d'être déguisée.

Un majordome m'aide à monter dans une voiture de six places. Je m'y retrouve avec Lindorie, Bélèm, Arwen, Ardalôn et Sindar. Je pouffe de rire lorsque Lindorie me fait une grimace en prenant place à côté de Bélèm.

— Tu as l'air plutôt joyeuse pour une survivante, me lance Arwen avec un ton méfiant.

Je réfléchis à une réplique, mais je ne trouve rien à dire. Il doit encore douter des rumeurs sur ce qu'il s'est passé sur Dell.

Nous arrivons dans le quartier Nyrae et le chauffeur s'arrête devant la place Astal, juste devant l'amphithéâtre Rodal. C'est sur cette place que se tiennent les festivités. Il y a déjà des centaines de vilazans présents qui attendent de nous apercevoir. Lindorie avait raison, nous sommes le spectacle du monde.

Nous sortons de notre calèche. Chaque candidat a revêtu une tenue très élégante, assortie à des gants, le signe qui nous distingue en tant que participant aux Jeux. Je dirais plutôt qu'ils sont comme des menottes qui nous rendent prisonniers de cette compétition mortelle.

Les tisseurs de rêves, reconnaissables à leurs costumes excentriques, nous accueillent avec de belles illusions qu'ils créent de leur pensée jusqu'au bout de leurs doigts. Ils dansent sur une musique ensorcelante qui me donne envie de les suivre. Je suis hypnotisée. Soudain, une main magrippe le bras. Ardalôn se tient à mes côtés et m'empêche de céder à cette envie dangereuse. Nous entrons dans l'amphithéâtre avec des milliers d'autres spectateurs venus de tous les quartiers d'Ermune. Nous allons assister à un spectacle cauchemardesque. Cest-à-dire qu'une personne sera désignée dans l'assistance et les Illusionnistes noirs rendront vivantes ses peurs devant toute l'assemblée. Je regrette soudain d'être venue.

Je prends place sur un siège dans une rangée en hauteur. Nous attendons quelques instants avant que les lumières ne s'éteignent et que le rideau s'ouvre sur la scène.

Trois Illusionnistes noirs nous font face et nous saluent d'une simple révérence. Ils sont vêtus d'une redingote noire, d'un haut-de-forme et de bottes montantes jusqu'à la cuisse. Je compte deux hommes et une femme. Celle-ci, porte une rose rouge sang, enfermée, dans le ruban noir de son chapeau et sa chevelure blonde est rassemblée en une longue tresse dans son dos. Je découvre son identité au moment où elle relève la tête : Rassna.

Son attitude hautaine est le reflet de sa fierté d'être sur le devant de la scène. Elle semble chercher quelqu'un du regard, sûrement Daerôn. Mais lorsque ses yeux trouvent les miens, elle sourit, satisfaite. Je sais déjà qu'elle sera la suite du spectacle et je ny suis pas préparée.

— Bonjour mesdames et messieurs ! Je m'appelle Arcadio ! Comment allez-vous ?!

La foule répond énergiquement pendant que j'observe celui qui s'égosille dans son micro. Il est assez grand et fin. Pourtant, son chapeau est trop grand pour sa petite tête. Ses cheveux cuivrés sortent de son haut-de-forme et ses yeux, maquillés comme un clown, sont d'un noir profond.

— Je suis accompagné de mon compagnon, Irmo !

La foule s'esclaffe devant la pirouette que fait l'autre homme. Celui-ci est assez petit et trapu et ses cheveux bouclés semblent ne pas pouvoir entrer dans son couvre-chef.

— A mes côtés, se trouve également la célèbre Ecarlate, plus connue sous le nom de Rassna, notre ravissante princesse !

Elle sourit de ses lèvres peintes en noir et adresse un regard charmeur au public qui l'applaudit fiévreusement. L'Écarlate doit être son nom de scène.

— Aujourd'hui, nous célébrons ensemble l'alliance des trois lunes à notre planète Vilaz. C'est aussi un moment spécial puisque les Candidats des Jeux nous ont fait l'honneur de leur présence !

Nous nous levons de concert et saluons poliment la foule de visages qui murmure à notre sujet. Je n'ai pas envie de recevoir des honneurs ou des acclamations. J'ai l'impression d'être une intruse parmi les autres, une tâche dans le tableau des aristocrates.

— Alors Rassna, y a-t-il dans la salle, une personne que tu aimerais inviter sur scène ?

Je déglutis lentement. Je sais déjà qui elle va s'empresser de choisir.

— Oui, il y a une personne. Elwing, tu es là ?

Tous les joueurs se retournent pour m'observer ainsi que tous les spectateurs qui me reconnaissent dans la foule. Ma respiration s'arrête. Je commence à me lever. Lindorie m'attrape par le bras.

— Tu n'es pas obligée de le faire !

— Si je ne le fais pas, ce sera pire.

Je le sais. Les vilazans sont les alliés d'Aegnor. Si je ne me prête pas au jeu de la princesse héritière, il y aura forcément des conséquences pour moi ou pour mon peuple. Je ne peux plus penser qu'à moi, désormais. Je dois penser à ceux que je représente. Je me libère de sa poigne et commence à descendre les escaliers en pierres blanches. Je garde la tête haute et digne. Un silence stressant prend place dans la salle. Puis, au moment où mon pied trouve la scène, le public commence à applaudir prenant enfin conscience que le spectacle ne fait que commencer. Aujourd'hui, c'est moi la bête de foire.

Rassna s'empresse de venir à mes côtés et de papillonner des cils d'une manière innocente. Je me maîtrise pour ne pas les lui arracher un à un. Que va-t-elle faire ? M'humilier ? Me briser ? Montrer mes faiblesses ?

Elle chuchote à mon oreille pendant qu'Irmo me bande les yeux pour le spectacle.

— Les peurs révèlent bien des secrets. Je compte bien découvrir les tiens.

Je sais ce qu'elle veut, mais je n'ai rien à cacher. Elle croit que j'ai tué mes camarades, mais elle se trompe et maintenant, elle va exposer mes plus grandes peurs devant tous ces gens.

— Mesdames et Messieurs êtes-vous prêts à sentir la peur, l'angoisse et le stress ? Êtes-vous prêts à vous plonger dans les peurs de l'Exploratrice dellienne, si vous l'êtes, nous pouvons commencer !

Les applaudissements se font de plus en plus fort et jai l'impression d'entendre un rugissement cruel. Je ne suis pas dans une épreuve, mais c'est tout comme.

Je n'angoisse pas à l'idée de dévoiler quelque chose, parce que je n'ai rien à cacher. J'ai peur de découvrir une peur inconsciente qui m'est inconnue. Mais c'est trop tard pour s'interroger à présent. Je sens déjà un fourmillement désagréable dans un coin de ma tête. Je sens mon cœur battre à mille à l'heure sans que je ne puisse l'arrêter.

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Hello les lecteurs !
J'espère que vous allez bien !
Comme vous l'avez remarqué les chapitres sont publiés d'une façon irrégulière. J'essaye au maximum de publier a des jours fixes, mais mon emploi du temps est très chargé depuis quelques semaines. Je vous prie de m'excuser. Je vais essayer de publier le prochain chapitre ce week end.
Merci de votre patience et merci pour vos commentaires. ❤️ Ça fait toujours plaisir de savoir que des lecteurs aiment lire notre histoire.
Passez une bonne fin de semaine !

A bientôt !
Holly

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