Chapitre 20

Nous descendons du vaisseau côte à côte et c'est la première fois que je me sens rassurée. Je ne suis plus seule. Ardalôn se tourne vers moi, tout excité.

— Tu risques d'être surprise par le décor, fait-il remarquer, joyeusement.

— Ah bon ?

Il n'a pas le temps de m'expliquer que mes yeux s'agrandissent déjà d'émerveillement. Un voile vert pâle tel une brume pailletée nous enveloppe à mesure que nous avançons. Le paysage est verdoyant, rempli de plaines et de collines colorées.

— Et tu n'as encore rien vu ! me glisse à l'oreille Ardalôn tandis qu'il me tourne dans l'autre direction.

Ma mâchoire se décroche et je le vois sourire. Un immense château se dresse devant moi. On le dirait sorti d'un livre de conte de fée. Il se compose de quatre tours reliées par une muraille à créneaux. Son toit est pareil à du bleu saphir scintillant et ses briques nacrées reflètent la couleur rosée du ciel.

Je me tourne vers Ardalôn au moment où son visage se ferme. Il me désigne d'un signe de tête les journalistes vilazans qui s'agglutinent devant le château pour nous barrer le passage. Je lui adresse un air contrit pour lui dire que j'ai compris qu'il va rejouer son rôle d'imbécile arrogant. Il a beau être un bon acteur, moi aussi, je sais jouer la comédie. Je fais comme s'il n'existait pas. Je l'ignore royalement. Nous sommes des étrangers.

Je m'avance vers le château tout en ayant conscience des caméras qui filment le moindre de mes mouvements. J'essaye de les oublier et d'agir normalement. Nous attendons devant les douves. Je me penche pour jeter un œil curieux quand des mains me prennent par les épaules. Je me crispe de surprise. Bélèm m'adresse un clin d'œil blagueur et je le fusille du regard. Il va falloir qu'il arrête ses blagues de mauvais goût. Ardalôn me regarde, un sourcil levé. Il se demande ce qu'il se passe. Je lui lance un regard discret pour qu'il ne s'approche pas.

Bélèm est fier de sa bêtise, mais ce n'est pas lui qui m'a le plus effrayé. Ce sont plutôt les créatures sous-marines que j'ai aperçu en contrebas. Elles ne semblent pas très amicales.

Le pont-levis se déploie enfin révélant son bois mouillé. Son grincement métallique n'est pas très rassurant. Je commence à avoir des vertiges rien qu'à lidée de traverser le pont glissant. Luther se glisse à mes côtés et me prend le bras afin de faire croire qu'il discute sérieusement avec moi.

— Tu devrais être plus discrète. Ne laisse jamais personne découvrir tes peurs. Certains pourraient s'en servir contre toi.

— Plus facile à dire, qu'à faire, dis-je, la mâchoire crispée.

Enfin, de l'autre côté, je respire. Lindorie vient me voir, inquiète.

— Est-ce que ça va ?

— Oui, ne t'inquiète pas. Ce doit être le changement de gravité qui me donne la nausée.

Je suis surprise et dégoûtée de la facilité avec laquelle j'arrive à mentir.

Des milliers de personnes nous attendent comme sur Totem. J'enfile mon sourire et je marche la tête haute jusqu'aux grilles de la cité qui s'ouvrent lentement. Le sol est entièrement pavé, ce qui atteste de la richesse de la ville principale : Ermune. Il y a des fanions bleu, rose et vert pâle tendus entre les différentes maisons, aux couleurs de la planète. Le vert est beaucoup plus présent, car il représente la royauté Vilazane. Nous devons nous rendre à l'intérieur du Château Condor. C'est ici que nous allons être logés pour la prochaine épreuve. Les gens nous acclament en agitant leurs mains en l'air. J'imagine que c'est leur façon dapplaudir. Ils n'arrêtent pas de crier : « Hachdoté » qui veut dire bienvenue dans leur langue.

Les portes du château sont en bois massif et en fer forgé. Nous pénétrons à l'intérieur. Au sourire que je vois sur le visage de Rassna, je devine qu'elle est fière de sa planète et de son château. Ce doit être ici qu'elle vit, qu'elle organise des bals en son honneur et qu'elle refuse les avances de mille et un promis en attendant désespérément que Daerôn lui demande sa main. A moins qu'il ne l'ait déjà fait ?

L'intérieur est à couper le souffle. Le plafond est en or et l'escalier central en nacre. Il se divise pour découper le château en deux ailes bien distinctes. Derrière l'escalier, une grande salle de réception brille sous la lumière orangée de Titan. Rassna nous rappelle qu'il en existe une pour chaque pierre précieuse. Celle-ci est la salle ambre, réservée aux dîners politiques.

Après la visite du domaine, chacun de nous doit rencontrer le roi et la reine, en symbole de paix. Yoko vient m'aider à me préparer et ajuste la ceinture de la tenue dellienne que jai déjà enfilé à bord du vaisseau. Elle s'extasie devant le tissu et combien cette combinaison me sied à merveille.

Je n'ose pas lui dire que je déteste la porter.

Je descends au rez-de-chaussée et me dirige vers un vestibule afin d'attendre mon audience devant le roi. D'autres candidats y patientent. Je jette un coup d'œil à l'intérieur de la salle du trône. Les journalistes ont déjà leurs caméras à la main afin d'immortaliser ce moment. Le dernier candidat présent dans la pièce est appelé et je me retrouve seule pendant quelques secondes. J'essaye de ne pas paniquer même si c'est la première fois que je me rends dans une salle comme celle-ci. Je ferme les yeux pour me concentrer sur ma respiration. Quand je les ouvre à nouveau, deux Conquérants entrent dans la pièce pour attendre leur tour : Daerôn et Saeros.

Saeros porte une longue cape noir attachée à son cou. La chemise blanche qu'il porte contraste avec le maquillage sombre de ses yeux. Son pantalon resserré, sous le genou, est en velours gris. Une écharpe argentée descend le long de son torse jusqu'à sa hanche gauche. Je reconnais bien les tons obscurs de sa planète : Cendracte.

Daerôn, lui, porte fièrement une couronne dorée sur sa chevelure noire. Des mèches rebelles s'éparpillent sur son front. Il porte une veste cintrée et une cravate rouge vermeille. Son pantalon est serré, mais pas moulant et ses chaussures sont incroyablement bien lustrées. Nos regards se croisent un instant, mais il détourne rapidement le sien.

Je ne suis absolument pas à l'aise entre ses deux représentants de deux planètes qui forment l'alliance. Pourtant, leurs yeux ne sont pas chargés de mépris comme ceux de Rassna. Saeros m'observe avec curiosité et crainte à la fois tandis que Daerôn me sonde du coin de l'œil sans rien dire.

Je me force à regarder ailleurs pour échapper au poids de leurs regards. Je m'assois sur le seul fauteuil en cuir de la petite pièce. Les deux Conquérants ont l'air de respecter le protocole que je peine à apprendre. « Si une femme se trouve dans la même pièce qu'un homme, celui-ci ne doit pas s'asseoir, mais rester debout ». C'est une règle de politesse et de galanterie.

Le silence est de plus en plus pesant et exalte mon appréhension. Je décide de le briser même si je commets une faute dans le protocole. J'adresse un signe de tête respectueux à Saeros.

— Je ne suis pas sûre de mêtre présentée officiellement à vous. Je suis Elwing Lomino et je viens de Dell.

Le cendractien me regarde en haussant les sourcils, puis détourne le regard. Ai-je commis une erreur ? Je me suis pourtant efforcée de le vouvoyer comme l'exigent les règles de politesse lors d'événements importants.

Daerôn m'adresse un sourire amusé bien que la situation ne me fasse pas rire. Il s'avance d'un pas et dans une révérence digne d'un gentleman, il se baisse pour baiser ma main gantée.

— Veuillez excuser l'attitude de mon cher cousin. Il n'est pas habitué aux étrangers. Laissez-moi me présenter. Daerôn Kermé de Kalisto, premier du nom, même si je crois, mademoiselle, que nous nous sommes déjà rencontrés.

Avec un léger mouvement de recul, il se redresse et me sourit chaleureusement. Je savais déjà qui il était, mais il est vrai qu'il ne s'est jamais présenté officiellement. Cette fois-ci, il n'est pas accompagné de sa petite flamme. C'est étrange.

Daerôn regarde Saeros, l'invitant à se présenter dignement.

— Saeros Hyler de Cendracte, bienvenue aux jeux, dit-il, la tête baissée.

Puis, on appelle Daerôn dans la salle du trône. Les cris et les acclamations éclatent alors qu'il quitte le vestibule. Ce n'est pas étonnant puisqu'il est l'héritier du plus puissant souverain du Cercle.

Je suis désormais seule avec Saeros et son regard accusateur est toujours posé sur moi. J'ai deviné qu'il était l'interlocuteur de Daerôn devant ma chambre au complexe César sur Orphée. Il doit sans doute penser que je suis dangereuse. Je m'avance sur un terrain glissant, mais j'essaye tout de même de dissiper les rumeurs.

— Je sais que beaucoup pensent que je suis responsable de la mort de mes semblables, mais c'est faux. Je suis simplement l'unique survivante de ce massacre.

— Si je peux me permettre, mademoiselle Elwing, parce que vous semblez vous permettre beaucoup de choses, je pense que vous êtes une personne extrêmement chanceuse.

Il insinue que je n'ai pas respecté le protocole. Et il doit sans doute aussi m'accuser de me cacher derrière ma survie. Si je ne devais pas respecter des règles de politesse qui n'ont aucun sens, je lui dirais que devoir participer aux Jeux du Cercle ne s'apparente pas à de la chance. Mais puisque le protocole semble lui tenir à cœur, je me contente de hocher la tête.

— Je me dois de rétablir la vérité à mon sujet, dis-je calmement.

Un majordome entre alors dans la pièce pour venir me chercher. Je salue poliment mon interlocuteur avant de partir. Il s'adresse une dernière fois à moi.

— Je ne crois pas en la chance.

Il n'y a aucune exclamation quand j'entre dans la salle du trône pour faire face au roi Gauvin et à la reine Célébriân. Je me force à sourire joyeusement alors que les journalistes me prennent en photo. Je marche lentement sur le tapis rouge pendant que des chuchotements remplissent le silence.

Je me dirige vers les trônes sur lesquels les majestés m'observent. La reine ne se retient pas de bâiller. Ma présence doit fortement l'ennuyer. Sa chevelure est semblable à de l'or et sa prestance me coupe le souffle. Je fais une révérence en faisant toucher un de mes genoux à terre en signe de mon profond respect. J'attends qu'il m'invite à me redresser, ce qu'il ne tarde pas à faire. Il m'adresse alors un hochement de tête, m'informant de son approbation.

— Je vous salue, Seigneur Gauvin. Je suis Elwing Lomino, Exploratrice venant de Dell. C'est un honneur de vous rencontrer.

Ma voix est ferme. Cest ce que ma conseillé Luther. Le roi de Vilaz n'aime pas les faibles.

— Je suis enchantée de te connaître. Voici mon épouse, la reine Célébriân. Nous te remercions de ta venue et voulons te souhaiter bonne chance pour la prochaine épreuve des Jeux. Nous espérons que tu retourneras saine et sauve chez toi, même si les risques sont importants.

— Merci de votre compréhension, je réponds d'un ton neutre.

— Veux-tu t'adresser aux journalistes ? Si tu as quelque chose à leur dire, c'est le moment idéal, déclare la reine en les désignant de la main.

Je ne m'attendais pas à cette question. Je réfléchis rapidement. Si je ne dis rien, ils penseront que leur présence m'indiffère, mais si je dis quelque chose, ils se feront une joie de l'encrer à jamais sur du papier. C'est peut-être la seule occasion que j'aurais de dissiper les rumeurs. Je me tourne vers les dizaines d'hommes et de femmes qui tendent leurs micros vers moi.

— Beaucoup d'entre vous ont entendu les rumeurs qui circulent à mon sujet, comme quoi j'aurais tué mes camarades delliens. L'honnêteté est une valeur que je m'efforce d'appliquer dans ma vie. C'est pourquoi, je tiens à partager la vérité avec vous. Ces rumeurs sont fausses. J'ai assisté à ces assassinats malgré moi. Je pensais même en être une victime à mesure que mes semblables mourraient. Le sort, le destin, ou la chance, peu importe comment vous appelez ce qui m'est arrivé, a fait en sorte que je sois la seule qui n'aie pas été touchée par cette catastrophe. J'ai confiance dans le fait que vous saurez en tenir compte dans vos articles afin que la vérité à mon sujet soit rétablie. Merci de votre attention.

Je m'incline avec respect et me tourne à nouveau vers le roi. C'est à lui de me dire quand je peux quitter les lieux.

— Tu peux disposer, dit-il en indiquant une porte sur la droite.

Je le salue une dernière fois et sort de la salle immense. J'étais tellement stressée quà présent, ma combinaison claire est trempée de sueur. Je n'ose même pas imaginer à quel point mon apparence doit être affreuse.

Je me dirige vers les escaliers nacrés afin de regagner ma chambre au plus vite. J'y aperçois Daerôn en train d'attendre quelqu'un. Je croise les bras afin de cacher l'état de ma tenue. J'essaye d'éviter le prince en évitant que nos regards se croisent.

— Tu t'en es sortie ?

Je me stoppe alors que j'allais monter les marches. Se pourrait-il que Daerôn m'attende, moi ?

— Heu..  Oui, je crois. Pourquoi ? je réponds tandis que je me tourne vers lui.

— Pour rien, pour savoir. Je ne sais pas, hésite-t-il.

Je fronce les sourcils. C'est la première fois que je le vois hésiter. Mes réflexions sont interrompues par une douce chaleur apaisante sur mes vêtements. Je regarde à nouveau Daerôn. Il s'apprête à dire quelque chose puis se ravise. J'ai l'impression qu'il cherche ses mots.

— Je suis désolé.

— De quoi ? je demande, surprise.

Il approche son bras derrière moi pour s'agripper à la rampe derrière ma tête. Son geste lent fait tanguer légèrement sa couronne. Elle a l'air trop grande ou trop lourde pour lui.

— Je sais ce que c'est d'être pris pour ce qu'on n'est pas. Les rumeurs qui te concernent sont horribles. Je sais que tu n'es pas ce quelles décrivent. Tu n'es pas une meurtrière.

Ses paroles me perturbent. Comment pourrait-il être ce qu'il nest pas ? Nest-il pas le fils du roi cruel ?

Pourquoi me parle-t-il si gentiment ?

— Merci.

C'est la seule réponse qui me semble appropriée.

— Je mène aussi l'enquête, ajoute-t-il sans hésiter.

Je sais immédiatement à quoi il fait référence. Mais je me demande bien pourquoi les meurtres de Dell l'intéressent.

— Mon père a l'intention de s'emparer entièrement de Dell, mais une chose l'en empêche et j'ignore de quoi il s'agit.

Ses yeux dorés me scrutent.

— Pourquoi est-ce que tu me dis ça ?

Il s'approche encore plus près. Je ne pensais pas que c'était possible. Je me sens à l'étroit entre lui et la rampe d'escalier.

— Tu ne devrais pas être ici.

Après ces mots, il monte les marches en me laissant seule avec des milliers de questions dans la tête. Que voulait-il dire ? Que je ne devrais pas participer aux Jeux ?

Perdue dans mes pensées, je regarde ma combinaison, m'attendant à la trouver encore mouillée, mais elle est totalement sèche. Je comprends alors qu'en se rapprochant de moi, Daerôn a utilisé son pouvoir pour sécher ma tenue. Pourquoi ses actes de gentillesse ne correspondent pas aux paroles qu'il vient de m'adresser ?

Je rentre dans ma chambre au reflet d'émeraude. Elle se trouve dans l'aile ouest, juste au-dessus de la salle de banquet réservée aux Jeux. Je ferme la porte et me retourne. Je me recule de surprise alors que je découvre la pièce sens dessus dessous.

Quelqu'un a fouillé mes affaires.

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