Chapitre 19
La sonnerie d'alerte annonçant que nous changeons de gravité perturbe mes réflexions. Je n'ai pas arrêté de lire le message d'Ardalôn si bien, qu'à présent, je le connais par cœur. Je ne sais pas quoi faire, quoi décider. Dois-je accepter son offre ? Mais comment lui faire confiance alors qu'il a essayé de m'éliminer dans le labyrinthe ? Sa grand-mère lui a-t-elle réellement demandé de me protéger ?
La sirène retentit une deuxième fois. Je file dans la salle de sécurité. Une fois la manœuvre terminée, nous sommes invités à nous préparer pour l'atterrissage. Nous allons bientôt nous poser sur le sol vilazan. Je n'ai pas vu Ardalôn dans la salle, il devait se trouver dans l'autre aile du vaisseau. Je dois le rejoindre sur le pont intérieur. Je n'ai pas encore pris ma décision, mais je dois absolument savoir s'il est sincère.
Le ciel de Vilaz est si magnifique que j'en reste, bouche bée. J'ai l'impression d'assister à un coucher de Titan alors que nous sommes en plein après-midi. Tout un dégradé d'orange tirant vers le rose s'étend à perte de vue. Il n'y a aucun nuage, mais de minuscules paillettes vertes semblent virevolter dans lair.
— J'ai cru que tu ne viendrais pas.
Je sursaute. Ardalôn a bien le don de me surprendre à chaque fois qu'il m'adresse la parole. Je me tourne avec appréhension. Il est adossé négligemment sur la rambarde du pont. Il porte une tunique verte et un jean noir. Il me sourit timidement. Je ne pensais pas que c'était possible.
— Je suis venue pour avoir des réponses, je lance tandis que je m'appuie contre le mur qui lui fait face.
Il m'examine avant de poursuivre.
— Je suis content que tu aies accepté.
Il joue distraitement avec les cordons de son vêtement. Je prends une grande respiration. Pour l'instant, ça se passe plutôt bien.
— Ne te réjouis pas trop vite. Je suis ici pour te poser des questions et je veux que tu sois sincère.
— Vas-y, je t'en prie. Je répondrai à toutes tes questions dans la mesure du possible.
Pourquoi ai-je l'impression qu'il va répondre aux questions qui l'intéressent et non à celles qui sont importantes ?
— Pourquoi veux-tu m'aider ? Que cherches-tu exactement ? je demande en plissant les yeux comme pour le sonder.
— Je veux te protéger.
Ma respiration s'arrête pendant un court instant. Il a prononcé ces quatre mots sans hésitation. J'ai rarement entendu quelqu'un avec autant de conviction dans la voix. Soit il est sincère, soit il joue la comédie. Je lui laisse le bénéfice du doute.
— Pour quelles raisons ?
Je doute de ses mobiles. Pourquoi voudrait-il me protéger tout à coup ?
— Ma grand-mère me l'a demandé.
Sa grand-mère doit vraiment être quelqu'un d'important pour lui, pour qu'il lui obéisse aveuglément. J'ai toujours pensé que Mme Adriel était douce et pleine de bonté. Mais d'après le message que son petit-fils ma adressé, elle croit que je suis importante.
— Elle se trompe à mon sujet. Je ne suis pas importante, je ne cherche qu'à survivre et sauver l'honneur de Dell.
— Elle a raison, tu l'es, dit-il alors que son regard se détourne du mien.
— Et je suis importante pour quoi ? Pour qui ? je m'exclame tout en me rapprochant de lui.
— Tu es importante pour ma grand-mère et je lui ai promis de veiller sur toi, déclare-t-il d'un ton las comme sil refusait d'admettre quelque chose.
— Tu comptes me protéger uniquement par devoir !
— Non ! sexclame-t-il tandis que ses yeux fixent les miens.
J'attends qu'il développe sa réponse.
— Je le fais parce que je t'apprécie, marmonne-t-il à contre cœur.
J'ouvre de grands yeux étonnés. Il m'apprécie ? Où est la caméra cachée ? C'est une blague !
— Je suis sérieux, Elwing ! reprend-il alors que sa main agrippe l'une de mes épaules.
— Pourquoi tu as voulu me tuer alors ? je m'exclame en le repoussant.
— Ce que j'ai fait dans le labyrinthe, ce n'était rien comparé à ce que les autres candidats t'auraient fait subir ! Tu ne comprends pas que tu as eu de la chance de tomber sur moi ? Je t'ai suivi pendant toute ta course dans le dédale, exprès pour que nous nous affrontions. J'ai joué le jeu devant les caméras. J'ai fait comme si je te détestais alors que c'est faux !
Je n'en crois pas mes oreilles. Tout notre affrontement, était-il calculé ? Les pas que j'entendais derrière moi étaient-ils les siens ? Sa théorie se tient, mais me perturbe beaucoup.
— Alors pourquoi continues-tu de le faire ? Pourquoi te conduis-tu toujours comme un imbécile !? je réplique.
Ardalôn crispe sa mâchoire. Cette conversation n'est pas facile, autant pour lui que pour moi.
— En t'aidant, je m'oppose à d'autres et je trahis les valeurs de ma planète. Je suis censé être neutre et ne pas entrer en conflit.
Il se masse les tempes. Je vois Inti à son poignet fleurir en une jolie fleur jaune. La couleur de la trahison. Je commence à comprendre.
— Pourquoi Inti fleurit-il ?
Je change de sujet, mais j'ai besoin de savoir pour être sûre.
Ardalôn fronce les sourcils et regarde son compagnon après avoir levé le poignet devant ses yeux. Son regard se radoucit.
— Inti et moi sommes très liés. Il est le reflet de mes émotions. Le jaune est la couleur de la trahison. A chaque fois que je te parle gentiment, il fleurit, parce que j'ai l'impression de trahir ma planète. Les valeurs de mon peuple m'empêchent de prendre part aux conflits politiques du Cercle. Je suis obligé de jouer un rôle devant les caméras, mais quand elles ne nous filment pas, je suis celui que tu vois à présent.
Soudainement, tout s'éclaire. Je revois Ardalôn s'inquiéter de mon état après que Bélèm a renversé mon verre d'eau. Il avait l'air sincère ce jour-là.
— Je te crois.
Ardalôn semble soulagé, mais j'ai encore besoin de savoir quelque chose. Je me détourne pour m'accouder à la rambarde.
— Mais tu ne me connais pas.
Il se tourne pour se placer à mes côtés.
— Je te connais bien plus que tu ne le crois. Quand tu venais chez ma grand-mère, j'étais présent et je t'observais.
— Comment ça tu m'observait ? Espèce de voyeur ! je m'exclame, ravie de le mettre mal à laise.
— Ce n'est pas ce que tu crois, rigole-t-il. Je sais que tu aimes mettre de la cannelle dans ton chocolat chaud et du miel dans la tisane que ma grand-mère te prépare. Je sais que lorsque tu es concentrée, tu te mords les lèvres. Je sais aussi que tu détestes quand ma grand-mère te surnomme « fifille » parce que tu as l'impression qu'elle s'adresse à son chien.
Je rigole à son anecdote. Tout ce qu'il dit est vrai.
— Je sais que tu adores les contes et les légendes, que tu détestes les sciences et que tu as besoin de lunettes pour lire, mais que tu ne les mets jamais parce que tu n'aimes pas les porter. Je sais que ton oncle t'entraînait secrètement pour les Jeux et que ma grand-mère te ménageait pour que tu ne sois pas trop fatiguée. Je sais aussi que tous les candidats delliens sont morts et que tu étais la dernière à pouvoir participer.
Je me tourne vers lui en retenant ma respiration. Il ne peut connaître le dénouement des sélections delliennes sans avoir assisté aux événements.
— Comment sais-tu pour Dell ?! dis-je alors que je m'écarte brusquement.
Je commence à douter de ses intentions.
— Calme-toi ! C'est Luther qui n'arrête pas de le dire à tout le monde.
Je lève les yeux au ciel. Luther ne m'a pas écoutée.
— Je sais que ça t'a beaucoup perturbé. Je le vois dans tes yeux tristes à chaque fois que quelqu'un évoque Dell. Je devine que tu cherches à savoir qui est à l'origine de ce massacre. Je peux t'aider si tu acceptes de me faire confiance.
Il a raison. J'en ai assez d'être seule contre tous. La tendance doit s'inverser.
— J'accepte ta proposition.
— A t'entendre, on dirait que je viens de te proposer l'affaire du siècle. Pourrais-tu éviter de rendre notre amitié naissante aussi sérieuse qu'un business plan ?
— Excuse-moi, je n'ai pas l'habitude, dis-je timidement tandis que je lui tends la main.
— On devrait plutôt se faire la promesse de veiller l'un sur l'autre, tu ne crois pas ? Prends mon petit doigt avec le tien.
Je tends mon petit doigt droit et m'agrippe au sien. Il fait de même et scelle notre promesse avec son pouce contre le mien.
— C'est de cette manière qu'on fait des promesses chez moi.
Je me force à ne pas me moquer de lui et je lui souris joyeusement.
— On va bientôt atterrir ! s'exclame-t-il alors qu'il pointe l'aéroport du doigt.
Alors qu'il se tourne, j'observe la fleur rose qui fleurit à son poignet. La couleur de la confiance et de la paix. Je sais à présent qu'il est sincère.
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