Chapitre 13

Il est trop tard pour regretter. Trop tard pour reculer.

Je tente de penser à autre chose.

Je suis obnubilée par la beauté de l'habitacle. L'intérieur est si luxueux que je ne sais plus où regarder. Je marche sur un tapis rouge, déroulé spécialement pour mon arrivée J'arrive dans un immense salon comportant une vingtaine de fauteuils semblant tous plus moelleux les uns que les autres. Je résiste à l'envie de me jeter dessus.

La commandante m'attend derrière un comptoir en acajou. Lorsqu'elle m'aperçoit, elle se dirige vers moi et me serre chaleureusement la main. Sa main est grande et chaude, son regard est doux, mais ferme. La couleur de ses yeux bridés est déroutante ; un mélange de gris et de violet. Ses cheveux sont coupés à la garçonne et dépassent de son képi. Elle porte un large pantalon cargo rentré dans des bottes noires montantes.

— Bienvenue à bord, Madame. Je suis la commandante Jin. J'espère que vous trouverez tout ce dont vous aurez besoin au sein du célèbre vaisseau Triomphe. Je vous laisse au soin de Yoko, votre assistante. Bon voyage.

— Merci, je réponds poliment et me tourne vers Yoko.

Je ne savais même pas que j'aurais une assistante. Celle-ci s'approche de moi à grandes enjambées et me serre dans ses bras.

— Bravo pour votre admission au sein des Jeux. A partir de maintenant, considérez-moi comme une admiratrice et une amie. Je serai à vos côtés pendant toute la durée des jeux. Vous pouvez compter sur moi.

Ses félicitations me mettent mal à l'aise. J'ai l'impression d'avoir usurpé la place d'un autre. Je me laisse pourtant guider pendant quelle me fait visiter le vaisseau somptueux. Derrière le salon d'accueil, se trouve un énorme escalier menant au premier étage. Je le monte, imaginant les princes, les rois, les princesses qui l'ont monté avant moi. Puis je songe à tous les delliens qui ont franchi les portes de ce vaisseau pour ne jamais revenir.

Je me dépêche de suivre Yoko qui nous conduit jusqu'à nos cabines. Je rentre dans ma chambre et j'ai le souffle coupé. Ce nest pas une chambre, mais une suite immense en demi-cercle. Je me sens honteuse de devoir y loger avant d'atterrir sur la planète qui organise les premiers Jeux. Les murs et le plafond sont dans un bois précieux. Ils brillent à la lumière du lustre d'argent qui pend au-dessus du sol. De nombreuses fenêtres recouvrent une partie de la pièce. En face du lit, se trouvent une grande armoire et une bibliothèque remplie de magnifiques ouvrages. Je pénètre dans la salle de bain en marbre. Deux lavabos me font face. Juste à côté se trouve une baignoire digne d'un palais. Je sors rapidement avant de me laisser gagner par l'envie de me prélasser dans un bon bain chaud. Je remercie Yoko pour sa patience et ses informations et je descends les escaliers, tentée de me laisser glisser sur la large rampe. En visitant un peu plus les lieux, je découvre une grande porte noire. Je l'ouvre en me demandant ce que je vais trouver derrière. Je ne suis pas déçue. Apparemment, cette pièce est appelée « l'Observatoire ». J'ai l'impression de marcher au milieu des étoiles. Les planètes de tout le Système Titanesques sont représentées en 3d, en taille miniature. Je suis presque hypnotisée par leur danse silencieuse autour de Titan.

Un choc me fait perdre l'équilibre suivi de la voix nasillarde du commandant Jin.

« Veuillez, vous rendre à l'avant du vaisseau. Nous allons quitter Dell ».

Je me précipite vers la salle de sécurité en me bouchant les oreilles. Une alarme stridente retentit. Plusieurs personnes se dirigent dans la même direction que moi.

Une fois à l'intérieur, je me précipite vers un siège libre et m'attache prudemment. Un écran affiche le temps qu'il nous reste avant de quitter la gravité dellienne. Je sens que le vaisseau va de plus en plus vite. Je me cale au fond de mon siège pour ne pas être surprise lorsque nous serons en apesanteur. Le compte à rebours affiche désormais 20 secondes.

Mon cœur s'emballe. Je n'ai jamais voyagé à bord d'un vaisseau. Je sens une forte pression me coller à mon siège et qui cherche à m'enfoncer profondément dedans. J'ai l'impression que mes poumons vont quitter ma cage thoracique et que mon cerveau va s'échapper de sa boîte crânienne.

*

Le nez collé à la vitre, je suis émerveillée par la planète Orphée. Elle est fascinante. Mon cœur s'emballe d'excitation à l'idée que bientôt, je foulerai son sol. C'est la planète de la télékinésie et son paysage reflète bien les capacités de ses habitants. Une quinzaine d'îles flottent dans les airs. Eux même, décomposés en plusieurs îlots. Ils sont tous reliés entre eux avec d'immenses chaînes rouillées par le temps et des pontons de bois éclairés par des flambeaux ou des lanternes. Un îlot fait environ la taille d'une contrée dellienne. C'est époustouflant ! Des bateaux volants se dirigent vers la plus grosse île, sans doute la capitale.

J'ai hâte d'atterrir. Je perçois le faible mouvement des îlots qui flottent grâce aux pouvoirs des orphéens. Nous entrons à travers la couronne de nuage qui borde l'ensemble de la planète fractionnée, puis nous descendons lentement vers Totem, la capitale. Des milliers de personnes attendent sur la piste d'atterrissage. Un homme se détache du groupe et pose deux doigts sur sa tempe droite. Soudain, le vaisseau change de trajectoire et vient se poser doucement sur la piste. Je regarde Luther avec des yeux brillants. Il pose une main sur mon épaule.

— C'est un aiguilleur du ciel. Ils font atterrir les vaisseaux dans les meilleures conditions.

J'observe rapidement l'homme. Il n'a pas l'air d'être épuisé par ce qu'il vient de faire. Au contraire, il se concentre sur un autre vaisseau qui décolle de la piste. Je me demande si le Conquérant orphéen est un aiguilleur du ciel ou s'il exerce un autre métier. Je me demande aussi s'il ressemble à la silhouette pixélisée que Yasmina a dû combattre avant d'être hospitalisée.

Yoko me rejoint pour m'accompagner à la sortie du Triomphe. Je suis encadrée par plusieurs pilotes. J'imagine que ma sécurité est encore menacée, même en dehors de Dell.

Avant que mon impatience guide rapidement mes pas sur le sol orphéen, Luther me retient, une main sur mon épaule.

— Elwing, tu n'es pas seule, ne l'oublie pas. A partir de maintenant, tu es une candidate aux Jeux. Tu vas devoir t'habituer aux apparitions publiques, glisse-t-il à mon oreille.

Je soupire, j'avais oublié cette partie. Je dois revêtir mon plus beau sourire avant de descendre du vaisseau. Les journalistes orphéens vont essayer de prendre le meilleur cliché de la candidate dellienne. Je suis pourtant surprise de découvrir qu'aucun paparazzi ne m'attend. A la place, des caméras flottent toutes seules dans les airs et semblent capturer le moindre de mes gestes.

Je regarde les appareils d'un regard fasciné et curieux. Je me force à paraître enthousiaste, même si dans ma tête, mon esprit ne cesse de me répéter que je vais bientôt affronter les Conquérants. Je suis dans la cour des grands maintenant. Je n'ai pas le droit à l'erreur.

*

Yoko me prend la main et me conduit dans une salle spéciale pour vérifier mon état de santé, après mon premier voyage au-delà des frontières de Dell. Ensuite, elle m'habille avec la tenue officielle de Dell. C'est une robe avec de grandes manches évasées trop grandes pour mes petits bras. Le tissu écru m'arrive en bas des pieds, en un éventail de pli. Une ceinture en cuir serre ma taille fine et m'empêche de respirer. Ce n'est pas la plus confortable des tenues, mais je suis obligée de la porter pour mon entrevue avec la présidente orphéenne. Je me suis préparée aux épreuves, mais pas à tous ces jeux politiques qui se jouaient tout autour de la Compétition. J'espère que Luther sera présent avec moi.

Je marche vers une grande tour blanche, à l'intérieur de laquelle se trouve l'ensemble du gouvernement orphéen. Des rubans ont été tirés pour empêcher la population de me sauter dessus. Je rentre dans le bâtiment à la hauteur vertigineuse. Nous montons par un ascenseur jusqu'au bureau de la présidente. Je dois absolument être à l'heure, puisque celle-ci a un emploi du temps chargé et déteste les retards. Ingwé serait avec moi, il rigolerait dans son coin...

Nous arrivons directement au dernier étage de la tour de briques beiges. Tout est fait de pierres grises et de lierre donnant à l'ensemble un charme troglodyte. La pièce est vaste et épurée. Un grand bureau ovale en pierres est disposé en plein milieu. A droite, une bibliothèque est creusée à même le mur. La présidente m'attend assise à son bureau en train de trier de la paperasse. Elle relève la tête et ajuste ses lunettes.

— Bonjour Elwing. Je suis la présidente Euggélys.

— Bonjour Madame. Je vous remercie de m'accueillir sur votre planète, dis-je tandis que je me tortille les mains.

Luther nest pas là, je dois me débrouiller seule et je me trouve ridicule, tandis qu'elle m'examine de haut. Pourtant, son regard est chaleureux.

— Je t'en prie. Nous sommes très heureux de pouvoir t'accueillir parmi nous.

— Merci Madame.

— Tu peux m'appeler Euggelys, si tu le souhaites. Je suis désolée, je voulais te présenter mon fils, Bélèm, le Conquérant de notre planète, mais il a travaillé toute la nuit.

— Ce n'est pas grave, je le rencontrerais lors du premier jeu.

Je suis à la fois déçue et soulagée. J'avoue être curieuse de rencontrer un des célèbres Conquérant des Jeux, mais je n'oublie pas qu'ils sont ceux qui essayeront de me tuer. Je dois rester concentré sur mes objectifs : survivre et essayer de découvrir qui est l'assassin de Dell.

Une fois l'entrevue terminée, je suis conduit dans le complexe César qui abrite tous les joueurs de la compétition. Puis Yoko m'emmène dans mes appartements. Il s'agit d'une suite tout en pierres traditionnelles d'Orphée. Je trouve ma tenue officielle des Jeux accrochée à un cintre. Je la décroche pour l'examiner en détail. Elle se compose d'un pantalon kaki et d'un débardeur écru, tous les deux reliés par une large ceinture à poches de couleur brune. Elles sont assez grandes pour y mettre mon arme et la bouteille d'eau qui me sera fournie. Les bottes sont en cuir, fourrées et à lacets. J'espère qu'elles sont assez confortables pour que je puisse courir rapidement. Je fouille les poches et trouve une paire de mitaines en cuir. Je la remets délicatement à sa place et enfile des vêtements plus simples. Hors de questions que je reste avec cette tenue dellienne sur le dos.

Je vais explorer les environs. Je ne crains rien sur Orphée, je fais partie des Jeux désormais. Je suis bien trop curieuse pour attendre Luther. Je vérifie qu'il ny a personne dans les parages et je sors de ma chambre. Je me demande si je vais croiser un Conquérant ou un Explorateur. Je sors furtivement du bâtiment, mais quelqu'un me bouscule.

— Vous ne pouvez pas faire attention !

Une fille aux longs cheveux blonds et à l'air hautain me réprimande.

— C'est vous qui m'avez poussé ! je m'exclame.

Elle lève les yeux au ciel et reprend son chemin un sourire carnassier au coin des lèvres.

J'ignore de qui il s'agit, mais elle n'a pas l'air de bonne humeur. Je hausse les épaules et pars dans la direction opposée.

Je marche en direction des grands ponts que j'ai observés lors de l'atterrissage. Il fait encore jour en ce début de soirée et les bateaux flottent dans une mer de nuages. J'aimerais en connaître tous les secrets. J'observe les hommes qui s'occupent de diriger les navires célestes. Le fait de savoir qu'ils le font juste par leur esprit m'impressionne. J'arpente les rues sans savoir où je vais. Je me retrouve sur un ponton de bois à l'extérieur. Je tourne la tête pour contempler la vue qui s'offre à moi quand un minuscule objet me cogne le front. C'est un cube en bois. Il lévite tout seul. Je vois une ombre derrière un flambeau qui s'approche. Le cube de bois s'enfuit et se retrouve dans la main d'un jeune homme. Il relève la tête et observe l'objet en penchant la tête d'un côté.

— Tu ne devrais pas être là, dellienne.

Comment peut-il savoir d'où je viens ? Qui est-il ?

— Comment...

Il ne me laisse pas finir ma phrase.

— Les delliens sont tous pareils, de vrais curieux ! Tu ne devrais pas être dans tes appartements avec ton entraîneur ? Les Jeux commencent demain.

— Je sais, dis-je, les poings serrés. Je fais connaissance avec l'environnement.

— Fais comme tu veux, me lance-t-il avec un regard froid. A demain.

Je quitte le ponton en fulminant, mais je me retourne pour le toiser. S'il compte me voir demain, c'est que je viens de rencontrer le Conquérant orphéen, Bélèm...

Je rentre assez tard au complexe. Luther m'attend sur le rebord de mon lit. Je sens que ça va être ma fête. Il me regarde, puis observe l'horloge à côté de mon armoire. J'ai peut-être un peu abusé.

— Les jeux commencent demain et tu te balades. On n'est pas venu pour des vacances, Elwing.

— Je sais, dis-je, les dents serrées.

Je ne voulais pas parler de stratégie avec Luther, je ne voulais pas me concentrer sur le fait que demain serait peut-être mon dernier jour. Je souhaitais juste profiter des derniers instants qu'il me reste.

— Elwing, tu vas réussir, mais pour cela, il te faut un plan, répond Luther alors quil se lève à ma rencontre.

Je soupire. La nuit risque dêtre longue. Je vais devoir écouter attentivement les instructions de mon entraîneur. Il en va de ma survie.

*

J'enfile ma tenue officielle dellienne. Ce matin, je dois assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux. Je sors de ma chambre. Il y a plusieurs candidats dans le couloir, mais aucun visage ne me paraît familier. Je les salue tout de même poliment et pars retrouver Luther devant le Complexe. Nous attendons que chaque candidat soit présent, mais je ne regarde personne, je dois me concentrer. Il y a encore une foule incroyable qui nous attend. Mais cette fois, je marche au travers d'une haie dhonneur. Des paillettes volent dans le ciel formant le mot : « Bienvenus » en langue internationale et en langue orphéenne. Le public nous lance des fleurs et des serpentins virevoltent en harmonie. Mais je n'arrive pas à profiter de la beauté de l'évènement, tellement j'ai peur.

Devant nous des dizaines d'acrobates se balancent et forment des figures compliquées au rythme de la musique des troubadours qui les suivent. C'est un véritable cortège. Nous avançons accompagnés de nos entraîneurs respectifs. Tous les candidats portent leur tenue traditionnelle. Certains ont des couronnes prouvant leur statut de princes ou de princesses et d'autres arbore un bandeau aux couleurs de leur planète. Monarchie, démocratie, fédération, et même clan, se mélangent en un camaïeu de couleurs vives. La cérémonie est un vrai carnaval de bonne humeur et de fête. C'est assez étrange lorsqu'on y réfléchit. Toutes les planètes sont sous la menace kalisse et tout le monde se réjouit. J'imagine que les Jeux sont perçus comme une trêve.

Après avoir salué la foule et répondu aux questions des journalistes, nous arrivons sur les lieux de la première étape des Jeux. Nous rencontrons alors les organisateurs des Jeux. Je reconnais Silas Cantwel, mais les trois autres me sont inconnus. Puis chaque candidat, Conquérants ou Explorateurs, doit se changer pour revêtir la tenue officielle des Jeux. Nous sommes une trentaine. Pourtant, dans moins de 3h, nous ne serons plus qu'une vingtaine. Ceux qui quitteront la compétition ne mourront pas, parce qu'ils ont des capacités. Ils abandonneront ou seront disqualifiés.

Pour moi, ce sera différent.

Je ne pense pas aux conséquences. Je pense à mon arme qui se place parfaitement dans ma ceinture de combat, à mes muscles qui se tendent, à ce que m'a dit Luther hier soir. Il vient me rejoindre pour une dernière réunion préparatoire.

— N'oublie pas Elwing. Même si tu ne connais pas l'épreuve à l'avance : force et ruse seront tes plus fidèles atouts.

Je hoche vigoureusement la tête et entre dans mon box. L'épreuve se trouve tout juste derrière et je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. Je triture le pendentif en opale que ma mère m'a donné, il y a très longtemps. Je le touche souvent quand je suis stressée comme une enfant qui serre son doudou avant de dormir. J'attends.

Mon cœur bat à un rythme effréné. Ma respiration s'accélère. Boum, Boum, Boum. Que va-t-il se passer ? Qu'est-ce qui m'attend de l'autre côté ? Boum, Boum. Un grésillement me fait sursauter. Puis après quelques minutes, une voix féminine retentit.

« Bienvenue au 19ème Jeux de la Deuxième couronne. Les règles sont simples. Les planètes naines doivent participer à au moins trois épreuves. Elles peuvent ensuite se retirer de la compétition puisqu'elles ont rempli leur devoir envers le Cercle : l'ensemble politique du système Titanesque. Il est interdit d'aider un candidat ennemi en difficultés sous peine d'être jugé au conseil de discipline officiel des Jeux, sauf si les règles d'un Jeux le demandent ».

Je pousse un sourire moqueur. Les règles n'interdisent pas de tuer d'autres candidats, mais je sais très bien que chaque année, les Conquérants ne s'en privent pas. Ils font passer notre mort comme un accident. Qu'est-ce qu'ils auraient à faire d'une petite dellienne ou même d'un Explorateur qui n'a rien à apporter au Cercle ? Chaque année, c'est la même chose. Les Conquérants ne s'entretuent pas car cela engendrerait un désastre politique, en revanche, ceux qu'ils considèrent comme inférieurs sont éliminés.

Un silence insoutenable s'installe. Je n'entends plus aucun bruit, juste le souffle irrégulier de ma respiration.

« Que les Jeux commencent. » termine la voix.

Mon cœur bat tellement fort que je l'entends résonner dans mes oreilles comme s'il était le seul organe que je possède. Mes mains deviennent moites. Je ferme les yeux pour me calmer. Quand je les rouvre à nouveau, les portes en pierre en face de moi souvrent en un grincement terrifiant. Prenant mon courage à deux mains, je sors de ma pièce. Le premier jeu commence.

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