Chapitre 11
Je me réveille difficilement après la longue journée éprouvante de la veille. La mort de mes camarades et la confrontation avec ma mère me tourmente. Elle a éclaté en sanglots juste après que je lui ai annoncé la nouvelle. Je me suis retenue de l'imiter.
Je n'ai fait que des cauchemars dont je n'arrivais pas à me libérer. Je revois leur visage, leurs yeux vides, et les paroles de Hugh résonnent en boucle dans ma tête.
Une question ne cesse de me hanter. Pourquoi je ne suis pas morte comme les autres ? Est-ce mon faux lien de parenté avec Luther qui m'a protégé ? Si j'étais la personne qui veut empêcher Dell d'aller aux Jeux, j'aurais éliminé tous les candidats potentiels. Je ne comprends pas.
J'ouvre les yeux alors que je tente de me persuader que cette journée sera moins pire que la précédente. J'essuie les coulées de larmes d'un revers de main. Soudain, un visage souriant se penche au-dessus du mien.
— Bonjour, joli cœur, annonce une voix masculine.
Je sursaute et manque de hurler de terreur avant que l'inconnu ne bloque mes lèvres de sa main gantée. Je m'empresse de la mordre pour me débarrasser d'elle. Il grimace de douleur et finit par me lâcher.
— Qui êtes-vous et que faites-vous ici ?! je m'exclame tandis que je ramène la couette sur moi comme pour me protéger.
Il lève les yeux au ciel, exaspéré.
— Ce n'est pas parce que tu vas participer aux Jeux qu'il faut que tu te comportes comme une princesse.
Je ne comprends absolument aucune de ses paroles. Je cligne des yeux espérant le voir disparaître. Peut-être suis-je encore prisonnière de mes cauchemars ?
— Je m'appelle Ingwé.
— Peu m'importe comment tu t'appelles ! Que fais-tu ici ?! je crie en pointant devant lui le seul objet que je trouve à proximité.
Un livre. J'ai l'air très crédible avec ça. Cette journée commence bien...
— Si tu me laissais finir mes phrases au lieu de m'interrompre comme une enfant gâtée, tu le saurais ! s'écrit-il, les bras croisés.
A mon tour de lever les yeux au ciel. Tout de suite les grands mots ! Qui ne paniquerait pas face à un inconnu dans sa chambre ?
Je le fixe avec des yeux que je veux assassins pour qu'il poursuive, le détaillant du regard au passage. Il est assez grand et vêtu d'une combinaison de cuir sortie tout droit d'un cosplay douteux. Ses cheveux blond vénitien, tombent en différentes mèches devant ses yeux vert clair, cachés par des lunettes fines et circulaires. Il doit avoir environ 25 ans. Il affiche un sourire provocateur que j'ai envie de lui arracher.
— Tu as conscience que tu n'as aucune chance avec ce livre, reprend-il tandis qu'il désigne l'objet du doigt.
Je raffermis mon regard en me disant que même si le frapper avec ce livre épais ne lui infligerait pas de grosses blessures, je pourrai toujours lui faire avaler les pages une à une.
— Je suis chargé de ta protection jusqu'à ce que tu partes aux Jeux, répond-il enfin alors qu'il observe distraitement ses ongles parfaitement coupés.
— Quoi ?!
— Super. En plus d'être hystérique, elle est sourde. C'est vraiment mon jour de chance, marmonne-t-il
Personne ne m'a mise au courant que j'aurai droit à un garde du corps.
— Tu n'es pas contente ? Toutes les filles de ton âge rêveraient d'avoir un gardien sexy à leurs côtés, reprend-il.
Qu'est-ce qu'il peut être exaspérant ! Comment m'en débarrasser ?
— Modeste, en plus ! je soupire.
— Tu n'as pas l'air ravie. C'est vexant.
Qu'ai-je fait pour mériter ça ? Luther doit bien rire en ce moment. Je suis sûre que c'est sa faute. Comme si je risquais quelque chose au fin fond d'une forêt. Je commence à sortir de sous la couette persuadée que cet énergumène va partir, mais au contraire, il m'observe attentivement.
— Quoi ?! je bougonne.
— Rien du tout. Tu es mignonne, quand tu t'énerves.
Super, je suis tombée sur le charmeur du coin. Je me lève lentement et ferme les yeux afin de me calmer.
— Ecoute-moi bien, pingouin.
— Ingwé. C'est Ingwé.
— Honnêtement, je m'en fiche. Je ne sais pas qui t'a envoyé ou si c'est une mauvaise blague, mais tu vas partir de cette chambre et partir protéger quelqu'un qui en a vraiment besoin, dis-je en accentuant principalement sur le verbe partir.
Il hausse un sourcil plein de défi.
— Pour qui me prends-tu, joli cœur ? me répond-il pendant qu'il baisse le doigt que je pointais sur lui. Premièrement, tu as besoin de ma protection puisque j'ai cru comprendre que tous tes petits camarades sont morts d'une étrange manière et apparemment on tient assez à toi pour espérer que tu ne finisses pas dans le même état. Deuxièmement, j'obéis à celui qui m'a engagé. Troisièmement, je ne partirais pas.
Je croise les bras. Qui est celui qui l'a engagé ?
Si je dois me coltiner un garde du corps, je préfère tout de suite fixer des règles.
— Dans ce cas, tu dois me laisser un périmètre personnel.
— Impossible, je dois suivre les ordres.
Il s'appuie nonchalamment sur le battant de la porte comme pour me narguer.
— Je vais te dire ce qui est impossible, Ingwé...
— Bravo ! Tu vois ce n'était pas si difficile, me coupe-t-il prêt à applaudir.
Je serre les poings, prête à extérioriser mon exaspération, si nécessaire.
— Ce qui est impossible, c'est que tu restes dans cette pièce pendant que je me change avant que je ne te donne une paire de claques bien méritées.
— Ok ! Je sors ! rétorque-t-il, les mains levées en l'air. Mais tu aurais pu le demander plus gentiment, tu sais avec ce qui s'appelle la politesse.
Je le pousse hors de ma chambre en lui claquant la porte au nez. En voilà de la politesse, mon pote !
Je m'habille lentement à cause des courbatures causées par l'angoisse de la veille et aussi, je l'avoue, parce que je n'ai pas envie de voir Ingwé. Luther a encore pris une décision sans me consulter au préalable.
Bizarrement, mon garde du corps ne m'attend pas derrière la porte. Cependant, je l'entends discuter avec ma mère.
Je descends les marches en quatrième vitesse et fini par en manquer une. Je dévale lamentablement les escaliers avec un grand fracas.
Ingwé s'empresse de venir voir la catastrophe tout en essayant de ne pas rire.
— Tu vois, c'est pour ça qu'il faut que je surveille chacun de tes mouvements, dit-il tandis qu'il m'aide à me relever.
Je ne me gêne pas pour lui marcher sur le pied au passage. Ma mère arrive derrière lui les bras croisés.
— Maman, je te présente Ingwé.
— Je sais très bien de qui il s'agit. J'ai même approuvé cette décision.
Ma mâchoire se décroche de manière ridicule. Ma mère a approuvé que je me fasse pister par un inconnu masculin. Et elle l'a laissé venir dans ma chambre. C'est le monde à l'envers.
— Il est au courant que s'il te touche, il aura affaire à moi.
Ma mère est encore en colère. Je pince les lèvres sans rien dire et m'installe pour déjeuner.
— Vous allez être en retard. Une fois de plus, déclare ma mère.
Je manque de m'étouffer. « Vous » ? Il est hors de question que cet autocollant portatif m'accompagne à l'université. Je le regarde les sourcils froncés pour qu'il comprenne mon désaccord et il me sourit à pleines dents. Je lâche un grognement. Je vais arriver avec ce grand gaillard accoutré d'un déguisement à la fac, les gens vont me poser trop de questions indiscrètes et je serai obligée de leur répondre.
A peine suis-je sortie du bus qu'un flash m'aveugle et je manque de trébucher sur Ingwé. Une foule de journalistes s'empresse de m'entourer pour obtenir le dernier scoop. Une pluie de questions s'abat sur moi pendant que j'essaye de traverser la horde de curieux.
« Elwing, que pouvez-vous nous dire sur la mort de vos camarades ? »
« Pourquoi êtes-vous la seule survivante ? »
« Quels sont vos sentiments quant à votre futur incertain ? »
Je ne les écoute pas, je me contente d'avancer. Ingwé me prend par le bras et me guide dans ce troupeau de rapaces. Il leur ordonne de nous laisser entrer et à mon grand étonnement, cela fonctionne.
Alors que je circule dans les couloirs, Ingwé ne me lâche pas d'une semelle, veillant à ce qu'aucun individu, journalistes et étudiants, confondus, ne m'approche. Mon poignet toujours prisonnier de sa main, il me demande où se trouve ma salle de classe, je lui désigne l'amphithéâtre principal du menton. Nous poursuivons notre chemin jusqu'à enfin être assis l'un à côté de l'autre, sur des bancs en bois inconfortables. Personne n'ose s'approcher de mon molosse personnel, même s'il ressemble plus à un toutou collant. Je suis soulagée d'apprendre que les paparazzis ne sont pas autorisés à pénétrer au sein de l'établissement.
— Est-ce que ça va ? demande Ingwé en se penchant vers moi.
Je réponds brièvement et ferme les yeux. J'essaye d'oublier les autres qui ont les yeux rivés sur moi. Je sens leurs regards brûler ma nuque et je déteste ça.
Je suis attentivement le cours afin d'oublier mes problèmes, quand soudain, je vois Ingwé lever la main. Je lui fais les gros yeux pour lui signifier qu'il doit rester discret. Il me lance un regard désabusé tout en questionnant l'enseignant. Qu'est-ce qu'il veut prouver ? Qu'il est aussi intelligent qu'intimidant ? Il me fait plutôt penser à un intello binoclard qui s'est déguisé en espion. Il redresse ses lunettes rondes sur le haut de son nez et me décoche un regard amusé.
A ma pause, des dizaines d'étudiants se rassemblent autour de ma table pour me poser des questions auxquelles je n'ai aucune envie de répondre.
« Tu as des pensées suicidaires, Lomino ? »
« Pourquoi tu as été choisie ? »
« Je suis trop jalouse, tu vas voir les Conquérants, tu pourras demander un autographe à Nathaniel de ma part et me le donner si tu reviens ? »
Je sens que ma tête va exploser. Ma migraine ne cesse d'augmenter et je me sens complètement oppressée. Ingwé s'interpose en voyant que je suis prête à faire une syncope et répond à la question la plus sensée de la journée : « C'est qui ce beau gosse qui n'arrête pas de te suivre ? »
Il ne faut pas exagérer. C'est vrai qu'Ingwé n'est pas désagréable à regarder, mais de là à le complimenter...
— Je suis son cousin. Je viens des Vallons, répond-il avec un sourire amical.
Sa réponse pourrait berner n'importe qui, mais pas moi. J'ai l'intuition qu'il ne vient pas de cette contrée. J'ai même plutôt l'impression qu'il ne vient pas de Dell. Mais d'où viendrait-il dans ce cas ?
*
La journée a été interminable. Je l'ai passé à éviter les journalistes, les étudiants et mon pot de colle attitré. J'ai réussi à le semer plusieurs fois jouant sur son succès auprès de la gent féminine. Il ma rattrapé à chaque fois, me sermonnant d'arrêter de le perdre.
Je remonte vite la côte bordée d'arbres qui monte jusqu'à chez moi lorsqu'il me rattrape et s'interpose devant mon chemin.
— Arrête de m'éviter, s'écrit–il avec un regard assassin.
— Alors arrête de me suivre, dis-je tandis que je poursuis mon chemin.
Il me rattrape à grandes enjambées et se plante devant moi.
— Tu n'es qu'une jeune fille bornée et capricieuse.
Je soupire d'énervement. Il ne me connaît que depuis quelques heures et se permet de me juger. Je relève la tête vivement pour le contredire.
— Tu ne me connais pas, Ingwé.
— Bien sûr que si ! Tu n'as jamais connu ton père, tu vis avec ta mère et la peur de la décevoir. Tu es passionnée d'histoire et tu aimes la solitude. Tu es étourdie et maladroite. Je continue ?
— Ce n'est pas la peine. Ce que tu décris ce n'est qu'une image, l'âme de celle-ci, tu ne la connais pas. Tu ne sais sans doute pas ce que c'est que d'avoir déçu sa mère par pur égoïsme, d'avoir vu mourir un à un tous les candidats et d'être la seule rescapée sans en connaître la véritable raison. D'être mal à l'aise en compagnie des autres, de chercher l'approbation d'une figure paternelle qui ne fait même pas partie de ta famille ! Et tu ne sais pas ce que c'est que d'avoir le sentiment de ne pas être à ta place peu importe où tu es, d'être terrorisé à l'idée que tu vis peut-être tes derniers instants et que personne ne se souviendra de toi !
Je déballe ma tirade d'une seule traite sans respirer. Ce n'est que lorsque je rouvre mes yeux humides que je vois le regard doux d'Ingwé qui me détaille de la tête aux pieds. Il me répond avec un sourire rassurant.
— Dans ce cas, je vais te dire ce que je sais de la vie. Je connais la douleur de perdre un être aimé, d'être en conflit constant avec soi-même, de devoir supporter les moqueries et les injures de son frère, d'être angoissé à l'idée qu'un drame se répète et de devoir satisfaire un patron cruel et exigeant.
Sa dernière phrase me fait froncer les sourcils. Son employeur n'est certainement pas Luther comme je le pensais. Mais alors qui ? Semblant lire dans mes pensées, Ingwe se reprend vite.
— Je t'en ai déjà trop dit. Recommençons, veux-tu ? Je m'appelle Ingwé.
Il me tend sa main. Je souris.
— Je sais.
— Essaye d'y mettre un peu du tien, s'il te plaît. Et garde à l'esprit que je suis le plus gentil de tes deux gardiens.
— Quoi ?!
Il court jusquen haut du chemin mousseux et se retourne.
— Ce n'est que Calywen, mon frère.
Le frère qui se moque de lui ou un autre ?
Alors, j'ai deux gardes du corps, un pour le jour et un pour la nuit. Que pourrait-il m'arriver dans ma forêt en pleine nuit ?
Les lumières sont déjà éteintes. Ma mère doit être partie travailler. Un mot est posé sur la table avec mon repas gardé au chaud.
Je sursaute quand la lumière s'allume tout à coup. Un homme d'une vingtaine d'années est assis sur une des chaises de la cuisine. Il est brun, bien bâti, à un bouc au menton et des yeux bleus perçants.
— Ingwé, dit-il d'un ton amer vers ce dernier.
— Calywen, lui répond-il.
La tension dans l'air est électrique. Il doit bien s'agir du frère qu'Ingwé a mentionné plus tôt.
— Bonsoir, je suis Elwing, dis-je, une main amicale tendue vers lui.
— Je sais très bien qui tu es, s'exclame-t-il, ignorant mon geste.
Je mange en silence en priant pour que la nuit passe vite.
Allongée dans mon lit, j'entends les marches qui mènent au grenier grincer. Je ralentis ma respiration pour faire croire que je dors. Je sens sa présence dans la pièce, il tire la chaise de mon bureau et s'installe sans un bruit. Je me tourne dans mon « sommeil » pour l'observer de mes paupières à demi fermées. Sa présence me met mal à l'aise. Est-il obligé de rester dans ma chambre pour veiller sur moi ?
Dormir va me rendre vulnérable et je ressens le besoin de me défendre face à Calywen. Il joue avec une lumière qui me fait mal aux yeux, même au travers de mes yeux clos. J'ouvre un œil pour savoir ce qu'il fait et ce que je vois me fait peur. La lumière qui valse devant mes yeux est une petite flamme qui flotte au creux de ses mains. C'est un kalis et je jurerai que Ingwé en est un aussi. Et si ma théorie se vérifie cela veut dire que son employeur n'est autre que le roi Aegnor en personne. Mais pourquoi ce dictateur assoiffé de pouvoir chercherait à me protéger sachant que je risque de mourir dès le début des Jeux ?
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