Chapitre 1

Je me réveille le souffle court alors que mon cœur semballe. L'angoisse m'emprisonne de son étreinte alors que j'ouvre les yeux. J'ai l'impression de me déchirer entre l'excitation de ce que mon oncle m'enseigne et la culpabilité que j'endurerais à lui donner raison. Il me reste peu de temps avant de prendre ma décision.

La pluie qui tombe sur le toit du grenier est apaisante. J'aime entendre son martèlement régulier. C'est comme si elle frappait à ma porte. Son bruit régulier me rassure.

Ça n'a pas toujours été le cas. Lorsque j'étais enfant, le bruit du tonnerre et de la tempête m'effrayait. Aujourd'hui, je ne pourrais plus m'en passer. Surtout en ce moment, alors que mon oncle m'entraîne pour les Jeux.

Luther ne fait pas vraiment partie de ma famille. Mais d'aussi loin que je me souvienne, il a toujours été aux côtés de ma mère, comme un ami. C'est la seule présence masculine qui existe dans ma vie. J'ai beaucoup d'affection et de respect pour lui, même s'il ne m'épargne jamais lors de nos séances d'entraînement.

Je me lève péniblement alors que je découvre de nouvelles courbatures qui parcourent mon corps. Il fait froid dehors. Je le sais parce que j'ai du mal à sortir du lit.

Je soupire en m'asseyant sur le rebord du matelas. Je prends le temps de m'étirer espérant soulager mes douleurs musculaires puis je descends de mon grenier mansardé.

Nous manquons d'argent, ma mère et moi. Notre maison de forêt n'est pas grande, mais elle est confortable. Je fournis des efforts pour l'aider financièrement. J'accumule beaucoup de petits boulots dans n'importe quel domaine, que ce soit serveuse dans un restaurant, livreuse de journaux... Mais je n'arrive pas à garder un emploi bien longtemps. Il y a toujours quelque chose qui m'empêche de continuer. Parfois, j'ai même l'impression d'être maudite.

Ma mère lit tranquillement le journal alors que j'entre dans la cuisine. Je m'assois sur un tabouret tout en préparant mes tartines de chocolat.

— Quelles sont les nouvelles ? je demande.

Elle me regarde par-dessus ses lunettes, ferme le journal et le pose sur la table en silence. Puis elle me répond en s'asseyant en face de moi.

— L'organisation des Jeux vient de commencer. Ils sont en train de recruter des candidats dans les différentes contrées de Dell.

— Oui, je suis au courant. Oncle Luther m'en a parlé, dis-je sans donner de détails.

— C'est vrai que depuis qu'il a été nommé Premier Entraîneur, il ne parle que de ça ! Qu'est-ce qu'il t'a dit ? me demande-t-elle d'une manière innocente.

Pendant la période des Jeux, il y a toujours une tension entre elle et Luther. Ma mère en a assez qu'il ne me parle que des Jeux. Elle pense qu'il me met des idées néfastes dans la tête en me répétant que je serai capable d'y participer. Elle pense que c'est dangereux et elle a sans doute raison. Luther, lui, pense que je suis en droit de me porter volontaire puisque j'en aie les capacités. Cette tension, plus ou moins palpable, est un véritable dilemme pour moi. Je meurs d'envie de faire partie de la compétition, mais je ne veux pas décevoir ma mère.

— Il m'a dit qu'il était débordé avec les recrutements.

Ma mère bougonne et lève les yeux au ciel. J'ai l'impression que cette histoire est loin d'être terminée. Je bois mon chocolat chaud en terminant ma nuit, comme à mon habitude.

— Elwing ?

— Hum, je marmonne.

— Tu es encore en retard...

Mes yeux se posent instinctivement sur l'horloge en face de moi. Je me lève si précipitamment que j'en fais tomber mon siège. J'abandonne ma mère alors qu'elle râle de ma maladresse pour me préparer rapidement.

Une fois en bas des escaliers, je prends mon sac et claque la porte. Je cours comme une dératée sur le chemin boueux menant à mon arrêt de bus. Je slalome entre les arbres et m'appuie sur leur écorce pour éviter de tomber. Lorsque j'arrive enfin, le bus démarre et commence à partir. Je ne m'arrête pas. Je continue de courir en faisant de grands signes, espérant que le bus s'arrête. J'entends les portes s'ouvrir et je pousse un cri de soulagement.

— C'est la dernière fois que je m'arrête pour toi, Elwing. J'ai des horaires à respecter, s'exclame le chauffeur d'un ton bourru.

Je grimace en guise d'excuse et trouve ma place préférée au fond près d'une fenêtre. Je finis par poser ma tête contre la vitre pour observer le paysage défiler devant mes yeux. Le ciel est d'un gris maussade et les gouttes viennent s'écraser contre le verre sale du bus. J'imagine l'odeur de la terre mouillée, le reflet des arbres dans les flaques d'eau et je souris. La pluie m'apparaît toujours comme le signe d'un renouveau.

Arrivée à destination, je me dirige vers l'université. Les couloirs sont toujours bondés de personnes qui me sont inconnues. Je finis par atteindre mon amphithéâtre où je peine à trouver une place au calme.

L'Histoire m'a toujours passionnée. Je me pose constamment des questions sur l'origine de l'univers, sur la façon dont notre vision du monde peut évoluer au fil des années. J'ai donc décidé de l'étudier.

Je sors mes affaires alors que les autres étudiants discutent joyeusement autour de moi. Je ne suis pas quelqu'un d'insociable, mais j'ai toujours eu du mal à me faire des amis. Jai sans cesse l'impression de devoir jouer un rôle lorsque je suis entourée. Je n'arrive pas à être moi-même en présence des autres. En général, on se désintéresse rapidement de ma personne. C'est vrai que je ne suis pas du genre extraverti, je suis plutôt discrète. Une jeune fille qu'on pourrait croiser au coin d'une rue sans se retourner.

Le professeur d'Histoire culturelle vient d'arriver et il a l'air tout aussi réveillé que moi... Il commence à exposer son cours en ouranien, une langue dont je ne comprends strictement rien malgré les efforts de Luther pour me l'enseigner. M Douany vient de la planète Ouranix et il semble avoir oublié qu'il se trouve sur Dell, ou l'on ne parle pas l'ouranien, mais le dellien. Lorsqu'il se rend compte de son erreur, il rougit et essuie ses mains moites sur son pantalon.

— Bien ! Où en étions-nous ? Il me semble que nous allions étudier l'analyse culturelle de Bernos Stelen dans son essai, La cité des Vents. Ouvrez vos manuels, je vous prie.

Évidemment, j'ai oublié mon livre. On ne peut pas tout gagner : arriver à l'heure ou avoir ses affaires. Je me masse longuement les tempes alors que je me prépare psychologiquement à demander à mes voisins de me prêter un exemplaire. Une voix m'interpelle, mais je ne l'entends pas. Je suis bien trop occupée à me maudire intérieurement. J'ouvre les yeux d'un coup en tournant la tête vers ce qui ressemble à un chuchotement.

— Tu peux prendre mon livre, si tu veux, murmure une fille blonde, un sourire aux lèvres.

J'ignore quelle mouche l'a piquée pour qu'elle m'adresse la parole. Généralement, personne ne me parle. Au début, c'était difficile à vivre, puis j'ai commencé à m'habituer. Maintenant, c'est l'inverse qui me semble étrange. Je tends la main vers son livre tout en la remerciant d'un signe de tête.

Quand je sors des cours, j'ai juste envie de retourner me coucher. A croire que le cours de géopolitique est plus puissant qu'un somnifère. Je me sens lasse et engourdie. Je ne sais pas ce qui est pire : avoir plein de courbatures ou avoir l'impression que chacun de ses membres pèse une tonne. Je me sens vidée de toute énergie. J'ai grand besoin d'une pause déjeuner avant d'aller travailler. Je me traîne jusqu'à la cafétéria afin d'acheter un sandwich. Je ne mange jamais à l'intérieur. Être attablée avec des gens que je ne connais pas et me creuser la tête pour trouver un sujet de conversation n'est pas mon activité favorite. Je préfère largement me reposer tranquillement dans un parc avec un bon bouquin.

— Salut !

Je n'ai plus aucune notion du temps lorsque je suis plongée dans un roman. Surtout ceux qui retracent les mythes et les légendes de civilisations étrangères.

— Hé !

Je relève brusquement la tête. Un jeune homme se tient devant moi, un sourire aux lèvres. Je m'excuse et salue en fronçant les sourcils. Ses cheveux châtains s'agitent au rythme de la légère brise environnante. Je ne l'ai jamais vu sur le campus.

— Je suis désolé de te déranger dans ta lecture si captivante... C'est toi Elwing ? demande-t-il tandis quil sassoit à mes côtés tout en gardant une distance respectable.

— Oui, c'est moi, je déclare, qui es-tu ?

— Hum... Mieux vaut que tu ne le saches pas. C'est préférable, répond-il, d'un air snob.

— Ah, je ne suis pas digne de te connaître, c'est ça ? dis-je, à présent debout.

— Non, pas du tout ! Ce n'est juste pas nécessaire, enchaîne-t-il.

— Ta visite n'est pas nécessaire non plus. Si tu veux juste connaître mon prénom, tu peux partir. Je ne te dirais rien de plus.

Pour qui se prend-il ? Pourquoi me demande-t-il mon prénom sans se présenter ensuite ? Que veut-il ? Je n'ai pas le temps, ni l'énergie de discuter avec un inconnu. Il me barre la route d'un mouvement de bras.

— Je n'ai pas besoin d'en savoir plus.

Je le contourne facilement. Il a même le culot de me répondre. Et de me suivre aussi... Je vois son ombre à côté de la mienne.

— Tu n'as pas besoin de me suivre, non plus. Excuse-moi, mais je suis en retard, dis-je en accélérant.

— Oui, c'est d'ailleurs pour cette raison que je suis venu te parler.

Je m'immobilise complètement alors qu'il marche juste derrière moi. Je me retourne alors qu'il me fonce dessus. La situation aurait pu être comique, mais je suis trop perturbée pour rire. Ce gars commence à me taper sur les nerfs. Je ne suis pas à l'aise avec les inconnus. Je n'ai plus l'habitude. Alors pourquoi s'amuse-t-il à éterniser cette conversation vide de sens ?

— Pourquoi es-tu venu me voir ? Que veux-tu ? A part vérifier mon identité, dis-je, les bras croisés.

Il me sourit à nouveau. Ce jeu à l'air de lui plaire. Je me force à ne pas lever les yeux au ciel.

— La dame âgée chez qui tu travailles tous les jours est ma grand-mère. Elle m'a envoyé pour te dire qu'elle n'a pas besoin de toi aujourd'hui étant donné que je suis là. Je prends la relève donc tu peux rentrer chez toi.

Je suis complètement décontenancée. Je ne pensais pas que Mme Adriel avait des petits-enfants. Pendant un court instant, j'ai cru qu'elle l'avait envoyé pour me renvoyer. Je pensais déjà aux difficultés que j'aurais à trouver un nouvel emploi... Je suis soulagée.

— Est-ce que ça va ? me demande le jeune homme après sêtre penché vers moi.

— Oui. Je suis juste un peu surprise. Je ne savais pas que Mme Adriel avait des proches qui habitent la région, je réponds tandis que je replace mes cheveux derrière mon oreille.

Le vent commence à se lever et une mèche vient d'atterrir dans mes yeux.

— Premièrement, je suis le seul qu'elle ait. Deuxièmement, ce n'est pas la peine de pleurer pour ça, dit-il avec un sourire narquois.

J'essuie rapidement la petite larme qui coule sur ma joue en soupirant.

— Je ne pleure pas ! J'ai une poussière dans l'il, je réponds agacée.

— Tu sais, tu peux m'accompagner si tu veux vraiment la voir. Je n'y tiens pas particulièrement, mais je peux faire un effort. C'est juste que ma grand-mère pensait te soulager en te congédiant pour la journée. Elle te trouve fatiguée en ce moment. Enfin, c'est ce qu'elle m'a dit...

— Elle t'a dit ça ? je m'écris, incrédule.

— Elle a l'air de...t'apprécier, me répond-il, nonchalamment, les mains dans ses poches.

— C'est vrai ? Je vais pouvoir garder mon travail ?

Est-ce que je viens vraiment de poser cette question ? Je crois que je ne maîtrise pas encore l'art de la conversation. Je ferme les yeux pour essayer d'oublier ce que je viens de dire.

— Attends ? Tu croyais qu'elle m'envoyait pour te renvoyer ?

Il a l'air pris d'un énorme fou rire. Je me sens bête et honteuse à la fois. Mais son rire est communicatif et je finis par esquisser un sourire.

— Plus sérieusement, dit-il en reprenant son sérieux. Je devrais y aller. Veux-tu...

— Non, je vais te laisser profiter du temps avec ta grand-mère. Merci.

Je commence à m'éloigner en rangeant mon livre dans mon sac.

— Attend !

Je me retourne et hausse les sourcils en direction du garçon. Que me veut-il encore ?

— Je ne voulais pas te le dire parce que je trouvais cela drôle, mais j'ai changé d'avis.

— Qu'est-ce qu'il y a ? je demande d'un ton méfiant.

— Tu as de la mayonnaise sur le nez.

— Quoi ?!

Je rougis de honte. Il aurait pu me le dire plutôt ! Je l'ai laissé se moquer de moi en toute liberté ! Je frotte vigoureusement mon nez afin d'enlever toute la sauce en soupirant d'indignation. Je me suis fait avoir par cet idiot. Je suis bien contente de ne pas l'accompagner chez sa grand-mère. Je m'éloigne d'un pas vif et énergique.

— Ardalôn ! s'écrit-il au loin.

— Quoi encore ? Je me retourne une énième fois. J'ai des miettes sur mes vêtements ? J'ai oublié de fermer ma braguette ? Je ne suis pas parfaite ! Alors arrête de me suivre et va chez ta grand-mère !

— C'est mon prénom, dit-il amusé. Ravi de t'avoir rencontré !

Puis il court pour attraper le bus et disparaît. Ce gars m'a tellement énervée que je n'ai pas prêté attention à ce qu'il m'a crié. Je n'ai même pas retenu son prénom. Tant pis, j'espère ne plus jamais le revoir, lui et son sourire arrogant. Il avait raison, finalement. Cette rencontre n'était pas nécessaire. Ce n'est seulement qu'en rentrant dans le métro que je me rends compte à quel point Mme Adriel est perspicace. Ça m'arrange de ne pas venir aujourd'hui. A la place, je vais pouvoir m'entraîner avec Luther. A cette pensée, mes douleurs musculaires essayent toujours de me dissuader, mais je n'abandonnerai pas. Je veux montrer que mon peuple et moi, nous pouvons réussir.

Je frappe deux coups à la porte de la vieille grange abandonnée qui nous sert de lieu d'entraînement. Cet endroit a servi de planque à beaucoup de gangs et Luther et moi, nous sommes méfiants quant à la sûreté du lieu. J'attends son unique coup de l'autre côté. C'est le code que nous avons mis en place pour s'assurer que c'est bien un de nous deux qui se trouve à l'intérieur. J'entends finalement sa voix rauque me répondre.

— Mot de passe.

— Il n'a jamais été question d'un mot de passe, oncle Luther, dis-je, impatiente.

J'ai juste hâte que cette journée se termine. Je veux m'entraîner et aller me coucher. Luther a tendance à abuser de l'humour et lorsque je suis fatiguée, j'en suis vite lassée.

— Vas-y Elwing ! Je suis sûr que tu peux y arriver, dit-il d'un air malicieux au travers de la porte.

— Oncle Luther est le meilleur, je tente.

— Tu me flattes beaucoup, mais tu me déçois aussi.

Apparemment, Luther est d'une humeur joyeuse aujourd'hui. Ce qui signifie que notre séance sera énergique. Je ne sais pas si mon corps pourra le supporter. Il est malheureusement trop tard pour changer d'avis.

— Concentres-toi, Elwing. Réfléchis avec ta tête, tu sais que c'est la clé pour gagner.

— Eris ?

— Tu vois quand tu veux ! dit-il alors quil mouvre la porte.

Luther m'accueille avec de grandes tapes dans le dos. Mes muscles s'en souviendront pendant encore quelques jours.

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