Epilogue. ... tant que le geai moqueur n'a pas chanté
Haymitch est plongé dans un état comateux qu'il connaît bien, pour le côtoyer chaque jour après avoir abusé de la boisson. Sa tête le lance et sa bouche est pâteuse mais au moins, ces sensations nauséeuses l'empêchent de se focaliser sur sa situation, sur ce maudit train qui, encore une année, l'emmène au Capitole. Il n'a aucun souvenir de la veille et ne s'en formalise pas, tant il a l'habitude de mener une vie de débauche parsemée ça et là de blackouts qui ont au moins l'avantage d'abréger la liste des souvenirs qui le hantent.
Il regarde tour à tour Effie Trinket, la présentatrice chargée du Douze depuis plusieurs années maintenant, et Peeta Mellark, le nouveau tribut garçon du District. Ce dernier mange avec appétit ce qui est offert au petit-déjeuner, n'ayant visiblement pas l'habitude d'avoir accès à autant de choix. Haymitch n'a pas vraiment les idées nettes concernant sa Moisson, il a dû s'évanouir pendant la cérémonie. Il se souvient d'avoir beaucoup bu avant, comme chaque année. Il ne supporte pas ce jour de l'année, vecteur de trop de souvenirs douloureux.
Haymitch remplit son verre d'un jus de fruits rouges. Il n'y a pas d'alcool sur la table. Il grommelle puis tire de sa poche une flasque. Effie lui lance un regard incendiaire, il lui adresse un clin d'œil mesquin. Tout en versant allégrement du rhum dans son jus, il lui dit, délibérément sarcastique :
« -Dénoue ton corset, chérie. C'est un long chemin jusqu'au Capitole. »
Mellark paraît surpris de la familiarité de ses propos et Effie, vexée, quitte la table en murmurant des paroles à peine audibles dont Haymitch n'en perçoit que des brides :
« -... stupide... ivrogne... mal-léché... »
Il sourit et reprend une gorgée de sa boisson. Trop sucrée. Il l'allonge avec un bon quart supplémentaire de rhum et observe la silhouette pincée de Trinket s'éloigner. C'est presque devenu un jeu entre eux : elle ne supporte pas sa débauche, il ne supporte pas ses manières ; mais ils sont tous les deux contraints de coopérer chaque année pour accompagner les deux tributs du Douze jusqu'à leur mise à mort déguisée en show télévisé. Haymitch tire donc un maximum de plaisir à tourmenter la femme qui ne rêve que d'une promotion pour être affiliée à un autre District.
Ah, en parlant des deux tributs, voilà que la demoiselle moissonnée la veille pointe le bout de son nez dans le wagon-bar. Haymitch l'accueille avec bonhomie :
« -Assieds-toi ! Assieds-toi ! »
Katniss Everdeen semble un peu réticente devant ses gestes, mais elle finit par s'asseoir. Haymitch la regarde s'extasier devant la quantité de nourriture, en ne pouvant s'empêcher de penser avec amertume que, bientôt, le paradis allait vite laisser place à un véritable enfer. Enfin, avec un peu de chance, les deux mourront rapidement et le mentor passera à autre chose. Finalement, c'est un peu le même cirque chaque année : il assiste à la Moisson, accompagne les deux pauvres gosses jusqu'au Capitole, leur balbutie deux-trois conseils qui ne servent à rien puis les regardent se faire arracher les tripes pendant le bain de sang. Après quoi, il a un an pour boire de tout son soûl afin d'oublier ces horreurs, qui recommenceront inéluctablement l'année suivante.
La demoiselle finit par lui demander, après avoir englouti toute la nourriture qui se trouvait sur son chemin :
« -Vous êtes censés nous donner des conseils, je crois. »
Haymitch ricane face à tant de naïveté.
« -En voilà un, de conseil : restez en vie. »
Il éclate de rire, dans l'espoir de chasser la boule qui s'est formée dans sa gorge. Mellark le fusille du regard et son visage jusqu'à là calme exprime une colère justifiée. Il saisit le verre d'Haymitch avant que ce dernier n'ait le temps de réagir.
« -Vous trouvez peut-être ça drôle. Mais pas nous. »
Le verre se renverse, puis s'écrase au sol. Haymitch regarde plusieurs secondes le liquide d'une drôle de couleur carmin s'échapper sur le sol. Des flashs d'images violentes l'assaillent soudain et, d'un geste brusque, il frappe le gamin à la mâchoire. Les images disparaissent, il se reconnecte à la réalité, à bout de souffle. Le mentor tend la main vers sa flasque pour s'accorder une longue gorgée de rhum, ignorant le grognement de douleur du môme qui retombe sur sa chaise. Il n'a pas le temps d'atteindre son objectif qu'un couteau vient se loger entre ses doigts, à quelques millimètres de sa peau. Il le fixe un instant, ébahi, puis lève les yeux en direction d'Everdeen qui se tasse sur sa chaise, attendant sûrement un sermon pour l'avoir agressé.
Haymitch croise le regard de Katniss et une drôle de sensation naît dans son ventre. Quelque chose de nouveau, qu'il n'arrive pas à identifier. L'adulte renonce à son rhum et se cale au fond de sa chaise, en lançant tour à tour un regard à ses deux tributs. Le garçon tapote le bleu naissant en bas de son visage et lui adresse une œillade méfiante. Les yeux gris de la fille, quant à eux, expriment une détermination et une hargne déstabilisante. Ils forment à eux deux un duo... étonnamment crédible.
« -Tiens tiens, m'aurait-on dégoté de vrais combattants cette année ? »
C'est en prononçant cette phrase qu'il met un nom sur le sentiment qui s'est emparé de lui en confrontant du regard la jeune Katniss Everdeen. C'est quelque chose qu'il pensait ne plus avoir à affronter depuis bien longtemps, quand sa vie a pris un tournant dramatique qui l'a réduite en une existence miséreuse et débauchée. C'est quelque chose qu'au fil des années, il a oublié, enfoui, réduit au statut de mythe, plus ou moins consciemment. C'est quelque chose qui est mort avec lui, avec le jeune garçon vigoureux qu'il était il y a vingt-quatre ans.
Ce quelque chose a un nom et Haymitch Abernathy, assis dans le wagon-bar du train qui l'emmène tout droit au Capitole afin d'assister au soixante-quatorzième Hunger Games, vient de s'en souvenir et, inconsciemment, de s'y accrocher. Car ce qu'il ressent au creux de son ventre, c'est bien une lueur d'espoir.
FIN.
*
Et voilà ! Vous voyez, ça ne se finit pas si mal que ça :) Katniss arrive pour tout retourner le Capitole et la suite... bah vous la connaissez aussi bien que moi ahah
Je suis très contente d'avoir pu écrire cette petite fanfiction, d'avoir pu la mener jusqu'au bout et de la partager ici maintenant. C'est grâce au premier confinement, rappelons-le ahah, sans lui je ne pense pas que je me serais replongée dans la saga et je n'aurais probablement jamais eu l'idée d'écrire ceci donc... il y a du positif à tout !
Je pris beaucoup de plaisir à me plonger dans les Jeux d'Haymitch, à imaginer ce qu'il avait vécu, ressenti et comment il était devenu le personnage grincheux que l'on côtoie dans les livres (et les films). J'espère que j'ai réussi à rendre son histoire crédible et à la hauteur.
Merci à tous ceux qui seront arrivés jusque là et qui me laissent des petites étoiles et des petits mots, c'est toujours très encourageant ! Merci en particulier à Lady_PaulaTena98 qui était là tous les dimanches pour lâcher plein de commentaires, vraiment la meilleure lectrice hihi ❤
(Pour ceux qui auraient lu La Ballade du Serpent et de l'Oiseau Chanteur, vous aurez remarqué la référence à Lucy dans l'intitulé des deux dernières parties... j'aime beaucoup trop cette citation ^^)
Merci encore à chacun des lecteurs !
Comme toujours, prenez soin de vous.
PetitKoala
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