Chapitre 9. L'eau
Ça paraît totalement logique, finalement. Les tributs sont deux fois plus nombreux cette année et la zone dans laquelle ils ont été lâché semble vaste. Les dirigeants des Jeux ne laisseraient pas l'évènement s'étendre sur une trop longue période : les spectateurs se lasseraient, les paris et les sponsors s'amenuiseraient ; les Jeux perdraient de leur saveur. Il leur a fallu donc établir un plan, pour tuer les enfants suffisamment rapidement tout en laissant une part de spectacle à la foule. Une arène étroite dans laquelle chacun serait certain de croiser un adversaire tous les kilomètres ? trop de sang, pas assez de plaisir. Une arène aride, sans recoin pour se dissimuler et sans ressource ? pas assez divertissant ; les rares fois où les créateurs se sont décidés pour un désert ou une toundra glacée, les opinions ont été mitigées.
Alors, ils ont opté pour un enfer aux allures de paradis.
Comme si soudain l'eau lui brûle la paume des mains, il les secoue brutalement pour en faire couler l'objet du délit. En voyant le liquide rejoindre le ruisseau dans un bruit délicieux, il est pris de vertige. Désorienté, il s'adosse contre le tronc d'arbre le plus proche et se laisse glisser jusqu'au sol. Sa gorge est sèche et réclame son breuvage, ses yeux contemplent de façon hagarde la source d'eau, si proche, si délicieuse... et si mortelle.
Car maintenant, Haymitch en est sûr. Tout ce qui l'entoure est empoisonné. Les fruits, les fleurs, l'eau. Et les indices confirmant son intuition s'accumulent dans son esprit, indices auxquels il n'a prêté aucune attention jusqu'alors. Le nombre excessif de tributs qui fait grimper le temps des Jeux. L'opulence des ressources autour d'eux. La nourriture dans son sac (pourquoi aurait-il besoin de bœuf séché si partout autour de lui des baies sucrées et des animaux aux chairs dodues n'attendent qu'à être mangés ?). L'absence d'ateliers sur la reconnaissance des plantes toxiques et comestibles lors de l'Entraînement (pourquoi en auraient-ils besoin alors que tout autour d'eux est mortel ?). L'absence d'arcs et de harpons pour chasser et pêcher à la Corne d'Abondance.
Des détails au premier abord insignifiants mais pourtant primordiaux. Quoi d'autre n'a-t-il pas encore compris au sujet de cette arène ? Y'a-t-il encore des parts d'ombre auxquelles il n'a pas pris la peine d'accorder la moindre importance ? Il a bien peur que la réponse soit oui. L'arène n'a certainement encore pas dévoilé tous ces secrets.
C'est lorsque la luminosité diminue de façon significative qu'Haymitch sort de l'espèce de transe dans laquelle la découverte sur la nature de l'arène l'a plongé. Il se remet difficilement debout, les jambes flageolantes et doit fournir un effort incommensurable pour tourner le dos au ruisseau et s'éloigner de cette source chantante dont l'écoulement régulier ne fait que rappeler au garçon la soif terrible qui assaille sa bouche et qui ne fait que commencer.
Il parvient à retrouver une direction à suivre, il n'est pas sûr qu'elle soit la même que celle qu'il a emprunté au départ mais au moins, cela l'éloigne de la zone dans laquelle il s'est fait attaquer par les écureuils carnivores. Il n'a pas la moindre envie – ni la force – de les affronter de nouveau, surtout dans cette pénombre grandissante.
Ses blessures le lancent affreusement, mais ce n'est rien comparé à la migraine causée par la déshydratation et les efforts sportifs qu'il a dû réaliser. Malgré cela, il avance, lentement, mais sûrement à travers cette forêt aux mille et unes senteurs, que le tribut regarde désormais d'un très mauvais œil.
Jusqu'où peut aller le sadisme des concepteurs des Jeux ? À cet instant, il paraît sans limite aux yeux d'Haymitch, hanté par le clapotis de l'eau qu'il ne peut pas boire.
La faim commence à le tenailler et, bientôt, il fait trop sombre pour qu'il espère continuer de suivre une quelconque direction. Il erre un moment parmi les broussailles, cherchant un coin où se dissimuler. Il ne compte pas dormir, au cas où un tribut se pointerait, mais il aimerait tout de même se poser dans un endroit un minimum abrité. Il doute que les carrières soient venus aussi loin les bois, les coups de canon qu'il a entendu devaient probablement annoncer la mort de tributs par empoisonnement. Malgré cela, il reste sur ses gardes. Beaucoup trop de jeunes sont morts en s'endormant, trop confiants, et en se faisant trancher la carotide d'un coup d'épée, hache, ou autres lames aiguisées. Il ne compte pas finir comme l'un d'eux.
Il finit par trouver un tronc creux, dans lequel ne semble habiter aucune créature sanguinaire. Le trou n'est pas assez grand pour abriter l'entièreté de son corps, mais il est au moins partiellement dissimulé. Quelqu'un peut passer sans l'apercevoir s'il n'inspecte pas avec acharnement les lieux.
Le froid commence à se faire sentir et Haymitch ouvre son sac pour en tirer la couverture qu'il contient. Il s'enveloppe dedans puis réfléchit : doit-il calmer sa faim, quitte à accentuer sa soif ? ou attendre de trouver de l'eau pour faire d'une pierre, deux coups ? Mais qu'en serait-il capable de trouver de l'eau ? Demain ? Après-demain ? Il n'ose pas imaginer sa quête durer au-delà, pour la simple et bonne raison qu'il n'y survivrait pas.
Un détail le tenaille, alors qu'il contemple le contenu de son sac avec incertitude. Sa gourde. Vide. Pourquoi lui donner une gourde vide s'il ne peut collecter de l'eau nulle part ? Il réfléchit. Peut-être s'est-il fourvoyé en décrétant qu'absolument tout dans l'arène est empoisonné ? Les sources d'eau font peut-être exception... mais il n'y croit pas et, de toute manière, il ne compte pas tenter sa chance. Non, il doit forcément y avoir un autre moyen de s'abreuver.
Son esprit proteste contre toutes ses pensées qui lui rappellent à quel point sa langue est râpeuse. Il s'efforce néanmoins de mener son raisonnement jusqu'au bout, avant que la fatigue ne l'assomme pour de bon.
Si les cours d'eau sont réellement toxiques, alors il y a forcément un autre moyen de remplir sa gourde. Peut-être qu'il y avait de l'eau à la Corne d'Abondance et que, dans sa précipitation, il n'a pas fait attention. Il repasse en boucle les images furtives de ses premiers instants dans l'arène sans en tirer quoi que ce soit. C'est une possibilité à prendre en compte, donc. Pourtant, il s'est emparé de l'un des plus gros sacs qu'il y avait à disposition, ce ne serait pas logique que lui n'ait pas d'eau alors que des besaces plus petites en soient pourvues.
Alors quoi ?
Sa main se referme sur un sachet contenant du bœuf séché alors que son estomac crie famine. Il se résigne à manger avant de tourner de l'œil. De toute façon, s'il ne mange pas, il n'aura pas suffisamment de forces pour se lever demain.
La viande est salée et l'avaler ne fait qu'accroître la soif qui tiraille le garçon mais son haut potentiel nutritif calme son estomac de façon plutôt efficace.
L'hymne de Panem retentit dans le ciel au moment où Haymitch finit sa maigre pitance. Un minuscule carré de nuages est visible d'où il est, mais ça lui suffit pour suivre le récapitulatif des morts d'aujourd'hui. Ils sont vingt, soit plus de la moitié d'entre eux. Dans une édition « ordinaire » des Jeux, cela représente presque l'entièreté des enfants. Haymitch frissonne à cette constatation. Les Jeux sont particulièrement sanglants, cette année.
Les visages des défunts défilent dans le ciel. Un garçon du Trois, puis des tributs du Cinq, Six, Sept, Huit, Neuf, Dix et Onze. Les carrières sont tous vivants. Enfin, vient le bilan du District Douze et Haymitch se surprend à prier pour qu'aucun nom ne s'affiche.
Le visage de Nash, puis celui de Flavie illuminent l'écran au-dessus de sa tête, puis la nuit reprend ses droits.
Haymitch reste un long moment à contempler le ciel, jusqu'à ce qu'il fasse parfaitement sombre et qu'il ne puisse plus distinguer les nuages des feuillages. Heureusement qu'il a mangé avant car ce défilé funèbre lui a coupé brutalement l'appétit.
Il tente de trouver une position confortable pour passer la nuit, emmitouflé dans sa couverture mais le moindre mouvement lui arrache des grimaces de douleur. Maintenant que son estomac est plus ou moins comblé et que la fatigue l'abrutit, la douleur de ses morsures ressurgit vivement et il a peur que ses blessures ne s'infectent. Il ne peut pas desserrer ses bandages maintenant qu'il fait nuit et qu'il ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Il se maudit de ne pas s'être exécuté plus tôt, peut- être aurait-il pu trouver quelque chose de plus décent pour enserrer ses plaies. Mais avec quoi ? Des feuilles de plantes potentiellement toxiques ? Et si les morsures des écureuils sont toxiques, elles aussi ? Cette idée le fait paniquer un instant, mais il se raisonne en se disant que s'il y a un quelconque poison dans la salive de ces rongeurs, il aurait agi sur son organisme plus tôt... cela fait plusieurs heures qu'il s'est fait attaquer et, mis à part des douleurs normales, il n'a ressenti aucun effet alarmant. Cette idée le calme un peu et il parvient à trouver une posture dans laquelle il peut tenir plus de quelques minutes avant de bouger pour cause d'inconfort.
Haymitch laisse ses pensées divaguer mais c'est une mauvaise idée. Il pense d'abord à Flavie, et à Nash que Darren savait condamnés depuis qu'il les a rencontrés dans le train. Ils ont dû mourir dans le bain de sang de la Corne d'Abondance où dix-huit enfants ont perdu la vie. Ou peut-être ont-ils voulu mordre dans un fruit juteux ou simplement s'abreuver dans un ruisseau ? Quoi qu'il en soit, ils auront au moins eu le privilège de mourir parmi les premiers... bien souvent, plus les jours avancent, plus les affrontements sont terribles et les morts affreuses. Ensuite, il pense à Maysilee et se demande où elle est. Probablement dans la forêt, comme lui. Elle a dû comprendre que l'arène est remplie de pièges létaux qu'il faut à tout prix éviter. Peut-être a-t-elle trouvé un moyen de boire ? Il gémit en imaginant la jeune fille en train de boire goulûment des litres d'eau. Puis, ses pensées se tournent vers Julia... et il s'endort malgré lui sur des images d'abord douces de sa belle qui se transforment bientôt en un pêle-mêle de sang, de massacres, de hurlements et de mutations génétiques hideuses inventées par le Capitole et destinées à le poursuivre dans une arène qui, une fois n'est pas coutume, ne semble posséder aucune limite.
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Ce n'est pas la soif qui tiraille sa gorge, ni la faim qui tenaille son ventre qui tire Haymitch de la léthargie brumeuse dans laquelle le sommeil l'a plongé. Le « jour » vient à peine de se lever – ou du moins, les ingénieurs chargés de faire tourner l'arène viennent à peine de rétablir la luminosité - lorsqu'un bruissement sonore fait émerger le garçon.
Il se redresse et laisse échapper en se mouvant un glapissement de douleur qui fait vaguement vibrer ses cordes vocales endolories. Son dos est meurtri du choc de la veille et ses morsures le lancent affreusement. Il n'ose même pas regarder leur état et, de toute manière, une toute autre attraction attire directement son regard encore gorgé de fatigue.
À quelques mètres à peine de lui, un immense papillon est posé sur une fleur au parfum sucré et semble le dévisager de ses yeux globuleux. Ses ailes battent paresseusement l'air dans une cadence régulière et déployées, elles doivent sans aucun mal atteindre le mètre d'envergure. Les écailles pailletées qui les composent sont parcheminées de couleurs hétéroclites qui forment un ensemble se fondant parfaitement dans le décor haut en couleur dans lequel Haymitch évolue depuis presque vingt-quatre heures maintenant.
Le garçon repense automatiquement aux écureuils dorés de la veille et son pouls se met automatiquement à accélérer. Ainsi acculé dans le creux d'un arbre, il n'a aucun moyen de parer l'attaque de l'insecte si ce dernier se décide de fondre sur lui. Il n'ose pas esquisser le moindre mouvement tant il craint une réaction de la part du papillon. Sa position est inconfortable et la douleur lui arrache des larmes salées qui s'écoulent le long de ses joues, vidant son corps des dernières réserves d'eau dont il dispose encore.
Soudain, il perçoit un mouvement non loin qui semble venir du sol. Le papillon détourne le regard, ayant, semble-t-il, lui aussi été alerté par le bruit. Il y a un instant suspendu puis...
L'insecte bat furieusement des ailes et bondit en direction de l'herbe. Avec horreur, Haymitch voit une masse poilue gigoter en vain parmi la broussaille alors que le papillon vient enfoncer sa trompe dans ses chairs. La bestiole, un rongeur sans doute, glapit – de douleur, de surprise, Haymitch ne sait dire – avant de se mettre à convulsionner violemment.
La vision des soubresauts secouant le corps de l'animal agit comme un coup de fouet chez le tribut. Ignorant la douleur, la soif et la fatigue, guidé simplement par l'adrénaline et l'instinct de survie – ainsi qu'un brin de clairvoyance qui lui permet de s'orienter dans la direction qu'il a choisie la veille – il se lève précipitamment, prend ses affaires et s'enfuit en courant, sa lame fermement empoignée dans sa main motrice, prête à l'emploi.
Réussissant tant bien que mal à hisser son sac sur ses épaules, il prend de la vitesse et se concentre uniquement sur le chemin à suivre pour ne pas trébucher, ni dévier de sa direction. Il s'apprête à tout instant à sentir la trompe mortelle du papillon se ficher dans son cou ou à entendre les battements furieux de l'insecte tentant de le rattraper mais rien ne vient. Il ne cesse pas moins de courir mais, bientôt, l'adrénaline ne suffit plus à soutenir son corps. Il s'effondre sans aucune grâce à même le sol, le souffle court et le cœur en cavale.
Haymitch reste avachi ainsi plusieurs minutes, ses muscles refusant d'obéir à son cerveau qui, pourtant, clame haut et fort que rester à découvert au beau milieu de la forêt n'est absolument pas une bonne idée : si ce n'est pas un tribut qui le trouve et l'achève, un écureuil, un papillon ou une autre créature tout aussi diabolique ne tardera pas à le découvrir et en faire son festin.
Alors est-ce ainsi que son combat va se terminer ? Transpirant, la respiration erratique, des plaies suintantes meurtrissant son corps et les muscles tétanisés par le manque d'eau ? Pas très glorieux. Et surtout pas très agréable. Si seulement il peut avoir accès à de l'eau... juste un peu, juste pour hydrater sa bouche en feu et son corps tout sec. Et, oh, que ses blessures lui font mal ! Lui qui, pourtant, n'est pas excessivement douillet peine à garder l'esprit clair tant la douleur lui vrille la peau.
Il reprend peu à peu contact avec la réalité et parvient à ramper pitoyablement sur quelques mètres pour atteindre le tronc d'un imposant arbre fruitier dégageant un odeur sucrée qui, désormais, donne la nausée au pauvre garçon malmené.
Bien, que faire maintenant ? Vu son état, il ne peut décemment pas reprendre la route... pourtant, s'éloigner de la Corne d'Abondance, dos à la montagne, constitue sa meilleure chance de s'en tirer. Alors quoi ? Il lui faut de l'eau et de quoi panser ses plaies...
Il pose son sac à ses côtés et inspecte son bras dont la chair a sauvagement été attaquée par les écureuils. Il manque de tourner de l'œil en constatant à quel point sa peau est amochée. Non seulement une profonde portion de chair a été arrachée mais d'imposants œdèmes de pus commencent à se développer autour de la blessure, signe d'une infection plutôt sérieuse. Il tâte avec précaution son cou et constate que l'état n'est pas meilleur.
Il sent soudain toute motivation, tout espoir quitter son corps et un goût amer de défaite et de peur intense envahit son corps et le paralyse. Le même effroi qu'il a ressenti dans le train, en prenant conscience que sa mort est proche. Et dire qu'un moment, il a pensé qu'il avait ses chances... et Darren paraissait confiant. Seulement voilà, ni son mentor, ni lui-même ne soupçonnaient à ce moment-là la dangerosité de l'arène dans laquelle les tributs allaient être plongés...
Une caméra est-elle braquée sur lui à cet instant ? Attendant avec fébrilité qu'un quelconque ennemi vienne l'achever ? Il ne se sent pas même capable de s'emparer de son couteau pour se battre... ses blessures à vif le font tant souffrir.
Ses yeux se posent sur son sac, qu'il regarde longuement d'un air perdu. Ce gros sac pour lequel il s'est battu à la Corne d'Abondance ne lui aura pas permis de survivre plus longtemps que d'autres. Sa gourde vide lui aura fait de l'œil sans lui servir outre mesure. Sa couverture thermique fourrée rapidement dans la poche centrale aura au moins eu le mérite de le tenir au chaud une nuit durant. Quant à la crème puante...
La crème ! Et s'il s'agit d'une crème médicale ? Qui peut, à défaut de complètement guérir ses plaies, apaiser la douleur ? Ou alors, est-il possible que ce soit une crème hydratante ? Une brève onction pour hydrater sa peau, ses muscles ? Un fin stratagème pour départager les candidats qui trouveraient l'utilité de celle-ci !
D'une main tremblante, il ouvre son sac pour s'emparer du pot lorsque quelque chose tombe dans l'herbe près de lui. Il se fige, plisse les yeux dans la direction du bruit mais ne distingue rien. Il s'apprête à repartir à la recherche de sa sainte crème lorsqu'à nouveau, il entend un bruissement à sa droite. Il se redresse cette fois-ci, aux aguets. Nouveau bruit à gauche, à droite, devant... un bruit familier. Comme un...
Ploc, ploc, ploc.
Haymitch sent son estomac bondir en comprenant qu'une fine pluie est en train de tomber dans l'arène.
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