Chapitre 5. L'entraînement

« -Bienvenue au Centre d'Entraînement. Vous allez séjourner ici pendant trois jours, durant lesquels vous seront proposés divers ateliers qui couvrent l'ensemble des compétences pouvant vous être profitables dans l'arène. »

Corius, l'homme qui s'est présenté comme étant l'entraîneur en chef, est un personnage bien loin de l'extravagance oppressante des personnalités du Capitole. Il porte un uniforme strict et son visage n'est marqué d'aucune transformation ni d'aucun implant. Haymitch, entouré de ses camarades tributs, fixe le bonhomme d'un regard fermé.

Il sait que pendant les jours qui vont suivre, il allait falloir se montrer malin. D'un côté, parce que le Capitole allait continuer de l'épier par l'intermédiaire des Juges qui ne rateront aucune occasion pour en apprendre plus sur les points forts et les points faibles de chacun d'entre eux. De l'autre, parce que désormais, le Capitole n'est plus le seul à avoir un droit de regard que lui : il allait côtoyer les quarante-sept autres candidats qui forcément tenteront de mieux le connaître pour ensuite mieux le tuer.

Haymitch redoute particulièrement les tributs de carrière, issus des Districts 1, 2 et 4. Ils se distinguent des autres candidats par leur carrure, solide et entraînée, alors que la majorité des gamins ici n'a jamais mangé à sa faim. Cette année, ils sont douze et leur alliance probable n'en sera que plus puissante. Non pas qu'Haymitch ait réellement peur de ces personnes, mais il sait qu'il va devoir se montrer plus intelligent qu'eux s'il veut leur survivre. A défaut d'être physiquement au- dessus. D'ici là, il fera particulièrement attention de ne pas croiser leur chemin.

« -Je ne peux que vous conseiller de suivre un maximum d'ateliers, où des experts vous guideront et vous apprendront. Il est interdit de participer à un affrontement, même à but pédagogique, avec un autre candidat. Si vous avez besoin d'adversaires pour tester vos réflexes de combat, vous disposez de mannequins, cibles ou d'entraîneurs spécialistes. Le gymnase ferme de midi à 14h, où vous êtes conviés au réfectoire, puis le soir à partir de 19h. Il rouvre à 10h, chaque matin. Le dernier après-midi sera consacré en un entretien privé avec les Juges, durant lequel vous pourrez leur montrer un de vos talents, appris ou perfectionné entre ces murs. Bon courage à tous. »

Corius s'éclipse et les candidats commencent à s'éparpiller parmi les ateliers. Les carrières se ruent vers les armes de poing pour éventrer des mannequins en mousse – rien d'étonnant. Les gamins les plus chétifs hésitent, puis se dirigent vers les stands vides : camouflages, nœuds, reconnaissance d'animaux sauvages. Flavie et Nash se joignent à deux autres tributs estampillés d'un gros 11 dans le dos pour apprendre à faire du feu. Maysilee part se mesurer au parcours du combattant, composé d'un enchaînement d'obstacles en tout genre, accompagnée de gamins des Districts 6 et 8.

Haymitch reste un moment à l'écart, tâchant de réfléchir au meilleur comportement à adopter pendant ces quelques jours, bien insuffisants, censés les rendre aptes à la dure vie de l'arène. Il est débrouillard, sait faire du feu et réaliser des nœuds simples. Il n'est pas un bon chasseur mais manipule le couteau plutôt adroitement. Il se tient régulièrement en forme depuis son enfance, où il aidait son père à couper puis ramener du bois jusqu'à chez eux pour se tenir au chaud. Il va falloir qu'il engrange des connaissances dans certains domaines en revanche, s'il ne veut pas voir ses chances de gagner être réduites à néant par son ignorance : savoir distinguer les animaux carnivores des inoffensifs lui paraît une bonne idée mais il se dit qu'après tout, le Capitole peut très bien imiter à la perfection une bête d'apparence anodine qui ne ferait qu'une bouchée de lui.

Il finit par se rendre dans un atelier consacré aux pièges en tout genre. Seulement trois tributs sont déjà sur place, en train d'essayer d'imiter le collet de l'instructeur – sans succès pour le moment. Haymitch se joint discrètement à la petite troupe sans se faire remarquer. A défaut d'attraper du gibier, il peut toujours espérer qu'un couillon de carrière tombe dans ses filets au moment opportun. Il consacre sa matinée là-dessus et l'instructeur s'avère efficace car au bout de deux heures, tout le monde réussit à tendre plus au moins parfaitement une demi-douzaine de pièges différents.

Quand il rejoint le réfectoire, Haymitch voit les carrières déplacer les tables originellement installées en îlot de quatre à six pour en faire une imposante rangée où chacun d'entre eux s'assoit en faisant le plus de bruit possible. Les autres tributs, plus discrets, mangent en silence auprès de leurs compagnons de District pour la plupart ou à défaut de leurs camarades d'entraînement. Haymitch se sert copieusement parmi les innombrables plats qui s'offrent à lui puis, non sans avoir lancer un regard dédaigneux à la table des carrières, s'installe seul à une table. Il est rejoint à peine quelques minutes plus tard par Maysilee, Flavie et Nash et, bien que son visage ne soit pas accueillant, ses trois compères du 12 ne lui en tiennent pas rigueur.

« -Ne nous remercie pas, Abernathy, relève néanmoins Maysilee en lui lançant un regard défiant. Darren nous a pourtant bien précisé que nous ne devions pas apparaître comme du gibier solitaire, à partir de maintenant. Les carrières ne feront qu'une bouchée de ceux-là. »

Haymitch hausse les épaules, feignant l'indifférence.

« -Qu'ils viennent donc. »

Nash laisse échapper un rire un brin moqueur qu'Haymitch ne prend pas personnellement. Au moins, son comportement maussade fait rire quelqu'un.

Le repas passe rapidement et, tout au fond de lui, Haymitch remercie ses camarades de s'être joint à lui – même s'il ne l'admettrait pour rien au monde, et encore moins à Maysilee. Il a presque, pendant un moment, l'impression de mener une journée normale, assis dans un réfectoire et discutant avec des gens de son âge. Malgré ses réserves au départ, il parvient exceptionnellement à mettre de côté son habituel mutisme et se mêle à la conversation, se moquant ouvertement des habitants du Capitole et imitant leurs manières ridicules, ce qui a le don d'arracher des rires à ses partenaires.

Ceci, couplé au repas consistant qui lui remplit désormais l'estomac, lui redonne de la force pour affronter l'entraînement de cet après-midi. En fait, il est en telle forme qu'il se tourne presque par réflexe vers les ateliers physiques. Il se mesure à son tour au parcours du combattant et en ressort en nage et courbaturé mais vivant. Il parle même vaguement avec un instructeur qui lui donne quelques conseils sportifs. C'est en avisant un prochain atelier qu'il constate que le gymnase s'est rempli pendant son exercice : les Juges occupent désormais les gradins, inspectant les candidats un à un, commençant certainement à les noter, à relever leurs points forts et leurs points faibles et préparer l'arène en conséquence. Le Haut-Juge, un certain Armagilus Caldwell, en poste depuis cinq ans maintenant, a un regard de vipère qui rappelle à Haymitch celui de Snow. Une simple œillade dans sa direction suffit à Haymitch pour détester l'homme : il est bien portant, dégage un charme froid et imposant et garde un sourire victorieux figé sur ses lèvres, comme une constante menace.

Le tribut se détourne d'eux et se décide finalement, dans un accès d'adrénaline, à rejoindre le stand de tirs, toujours occupés par les carrières. Il s'arme de quelques couteaux légers, ignorant les regards insistants des tributs en question qui arrêtent leurs activités pour le dévisager. S'ils s'attendent à le déstabiliser, ils vont être déçus. Il se place face à un ensemble de cibles mouvantes, accroche les couteaux à sa ceinture et en empoigne un dans sa main, fermement. S'il se plante, il va être la risée des carrières, qui ne le considéreront pas comme un danger et le pourchasseront pour en finir vite avec lui. S'il est convaincant, il sera placé sur le podium des tributs à éliminer dès que l'occasion se présente car pouvant potentiellement devenir une menace. L'un dans l'autre, les carrières s'accorderont à le tuer, l'issu de l'exercice n'a donc pas tellement d'importance aux yeux d'Haymitch. Il souhaite simplement se familiariser avec les armes du Capitole, qui pourront devenir ses meilleures alliées dans l'arène.

Le premier couteau qu'il lance atteint la cible sur le bord. Les carrières ricanent. Haymitch s'empare d'une autre lame et se concentre sur la cible la plus proche qui décrit des va-et-vient de droite à gauche dans une cadence paresseuse. Il l'éventre assez proche du centre et cela fait taire ses spectateurs. Engaillardi par son tir, il avise une troisième cible, plus éloignée et qui suit un mouvement circulaire rapide. Il détend son bras, équilibre son arme et se familiarise avec son objectif. Il rate son tir et le couteau vient frapper le sol dans un bruit métallique.

« -Même avec une double Moisson, ils ne trouvent pas moyen de fournir un tribut digne de ce nom dans le Douze ! se moque une des carrières – une des filles du Un. Ils feraient mieux de les tuer devant leur Hôtel de Ville miteux, ça nous éviterait d'user nos lames pour rien. »

L'éclat de rire général dissimule le sifflement du couteau qui fend l'air pour venir se figer parfaitement au centre de la cible la plus éloignée d'Haymitch, quasiment inaccessible à cause de ses mouvements rapides et imprévisibles. Lorsque la lame transperce sa surface, elle se désactive dans un « bip » sonore et ce bruit entraîne un silence satisfaisant du côté des carrières. Haymitch se tourne vers eux, ne pouvant retenir un sourire insolent. Sans un mot, il adresse un clin d'œil complice à la fille du Un, une blonde aux muscles saillants et au regard sombre, puis tourne les talons et quitte le gymnase.

Le lendemain, Haymitch fait profil bas et passe plus de temps à éviter les carrières qu'à réellement se concentrer sur les leçons des instructeurs. Il réussit néanmoins à suivre l'atelier sur la reconnaissance des plantes sauvages en compagnie de Flavie et cinq autres tributs, puis enchaîne sur la confection de nœuds dont il ne connait pas vraiment l'utilité. Au moins, les carrières, qui se battent aujourd'hui avec le parcours d'obstacles, ne s'intéressent plus à lui. L'après-midi, il résiste à l'envie d'aller planter de nouvelles lames dans les cibles siliconées et se rabat sur les combats au corps-à-corps mené par un gars dont les muscles ont vraisemblablement connu des retouches de la part de la médecine avancée du Capitole. Haymitch est rapide, mais pas suffisamment fort, et se fait clouer au sol cinq fois d'affilée alors que le combat n'est pas engagé depuis plus de trois minutes. Au bout de deux heures, il tient cinq minutes de plus.

L'entretien privé avec les Juges banalise le gymnase et on convoque les candidats par numéro croissant de District, les garçons avant les filles. Haymitch passe donc en quarante-cinquième place, juste après la fille du Onze. La veille, Darren les a pris à partie un à un pour planifier avec eux cet entretien et décrocher la meilleure note possible. Lorsqu'il a demandé à Haymitch ce qu'il comptait présenter, ce dernier a prétendu qu'il n'en savait rien, ce qui constituait en soit un demi-mensonge. Le garçon connaît ses points forts mais il n'a pas vraiment pris le temps de réfléchir sur la façon de les présenter astucieusement aux Juges. Il faut dire que ces deux derniers jours, il a passé ses journées à enchaîner les ateliers de survie, les midis à discuter avec Maysilee, Flavie et Nash (développant à son plus grand désarroi un attachement envers ses camarades de District) et les soirées à reposer son corps et son esprit assommés par les connaissances et aptitudes engrangées. Peu de temps libre pour réfléchir, en somme.

« -Tu t'es entraîné à manier le couteau ? lui a demandé Darren. Tu m'en as parlé lors de notre entretien dans le train. »

Haymitch lui a raconté son affrontement avec les tributs de carrière, sans entrer dans les détails au départ, mais c'est sans compter la curiosité de Darren et le garçon a fini par lui déballer toute l'histoire. A la fin, son mentor a souri et Haymitch n'a pas su comment interpréter la lueur qu'il a vu briller dans ses yeux : de la fierté ? de l'espoir ? Il n'a pas osé lui demander.

« -Tu as de la personnalité, Haymitch. Une sacrée personnalité. Je sais que ce que je vais te demander ne va pas te plaire mais, si tu veux avoir une chance de remporter ces Jeux – et je commence sincèrement à penser que tu en as une – il va falloir que tu joues de celle-ci. Surjoue ton indifférence. Exagère ton sarcasme. Accentue ton arrogance. Le public va t'adorer. »

Haymitch s'est renfrogné mais il savait au fond de lui que Darren a raison. Ce n'est pas un jeu de survie, auquel il s'apprête à participer : il s'agit d'un putain de jeu télévisé.

« -Tu sais quoi ? J'ai dit à tes camardes de ne pas être trop brillants pendant l'entretien avec les Juges. Ni trop mauvais. Avoir une note moyenne te donne l'avantage de ne pas sortir du lot, aux yeux des autres tributs, et d'espérer ainsi passer à travers les mailles du filet des carrières. Si j'ai bien compris, tu as déjà grillé tes chances. Quitte à paraître doué aux yeux des carrières, sois-le également aux yeux des Juges. »

Il a marqué un temps de pause, comme une réflexion interne. Quand il a repris, il était parfaitement sérieux, presque sombre.

« -Loge-moi ces couteaux au centre de chaque cible, comme si tu embrochais chacun de tes ennemis, un-à-un, et sans pitié. »

Haymitch finit par être appeler et, après avoir lancé un bref signe de tête à ses comparses, les trois derniers encore dans la salle d'attente, il entre dans le gymnase. Armagilus Caldwell, le Haut-Juge à l'expression fière, lui adresse une brève consigne :

« -A ton tour, mon garçon. Tu as dix minutes devant toi pour nous présenter un de tes talents. Epate-nous. »

Les derniers mots sont prononcés avec mépris et Haymitch comprend que les Juges ne s'attendent absolument pas à être épaté. Cela semble s'engager mal mais il ne se démonte pas. Il s'avance vers le stand de tir, puis fait demi-tour, pour venir se planter devant l'assemblée de Juges.

« -Au fait, le garçon s'appelle Haymitch. Je suis bien conscient que vous vous êtes compliqués la vie cette année en demandant le double de tributs mais je suis sûr que si vous êtes capables d'organiser les Jeux, vous pouvez également retenir quarante-huit prénoms. Ne serait-ce que pour pouvoir parler de nous lorsque nous mourrons. »

Le tribut a conscience d'avoir parlé un peu trop vite mais son impulsivité a ressurgi d'un cran, comme il y a deux jours lorsqu'il a ostensiblement adressé un clin d'œil à la fille du Un. Le constat de son mentor lui revient en tête : « Tu as de la personnalité, Haymitch. ». En revanche, il n'est pas sûr que cela séduise autant le jury que l'a laissé sous-entendre Darren.

Il s'apprête à rejoindre le stand de tir et constate que Caldwell sourit mystérieusement. Il ne sait pas si c'est mauvais signe ou non. Il décide d'oublier l'altercation pour au moins fournir une prestation pas trop mauvaise, au risque que sa prise de parole défiante soit tournée au ridicule s'il n'est pas capable d'embrocher une cible correctement. Les couteaux qu'il a utilisés le premier jour sont posés en vrac sur le présentoir – apparemment, quelqu'un les a utilisés avant lui.

Il en prend un, l'essuie nonchalamment sur son pantalon, soupèse la lame. « Surjoue ton indifférence. Accentue ton arrogance. ». Il fait tourner la lame dans sa main, puis s'étire les bras comme s'il s'apprêtait à réaliser une performance sportive. Derrière lui, les Juges murmurent entre eux mais Haymitch les met en sourdine.

Il se place devant les cibles, qui ont changé de disposition depuis la dernière fois. Il jurerait presque qu'elles sont plus petites. Et plus loin. Plus rapides aussi peut-être. Cela ne le déstabilise pas pour autant et il avise le panneau intermédiaire, s'appropriant son mouvement régulier.

La lame se fiche au beau milieu du cercle central, vibrant légèrement avant de s'immobiliser fièrement dans le silicone. Gardant un visage parfaitement inébranlable, il prend un nouveau couteau puis, après un instant d'hésitation, il s'empare d'un deuxième. « Loge-moi ces couteaux au centre de chaque cible comme si tu embrochais tes ennemis. ». Il joue un moment avec les lames dans ses deux mains, ses doigts gauches sont plus maladroits mais parviennent à se familiariser avec l'arme facilement. La cible légèrement à sa droite sera cet hypocrite de Caldwell et celle, tout au fond, la plus vicieuse et la plus inaccessible, incarnera le Président Snow. Il lance les deux lames en même temps. Caldwell est éventré à quelques centimètres du centre et le deuxième couteau rate d'un cheveu la cible. Snow a survécu.

Rejoignant en quelques pas vif le présentoir, il prend les trois derniers couteaux qui s'offrent à lui, adresse presqu'instinctivement un sourire narquois au jury, puis embroche une fois Caldwell au centre et deux fois Snow dans le cercle du milieu, atteignant presque son objectif. Il reste quelques secondes à admirer son œuvre puis traverse le gymnase pour rejoindre la sortie. A quelques mètres de la porte, il fait demi-tour, exprès, pour adresser un bref salut aux Juges.

Il ne sourit pas mais il espère que son regard laissera transparaître toute son amertume.

*
Hello, j'espère que vous allez bien :)

Aujourd'hui, nous découvrons le jeune Haymitch au Centre d'Entrainement, prenant peu à peu ses marques au sein du Capitole. Évidemment, fidèle à lui-même, il ne laisse pas indifférent ni les Juges, ni ses adversaires... mais est-ce une bonne chose ?

Pour le savoir, il faudra patienter encore un peu... et la semaine prochaine vous allez enfin découvrir les fameuses interviews menées par l'infatiguable Caesar Flickerman. Alors, hâte ?

N'hésitez pas à me dire ce que vous avez pensé de ce chapitre, et ce que vous attendez du prochain !

Prenez soin de vous,

PetitKoala

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