Chapitre 2. Les adieux

A l'entente de son nom, Haymitch lâche automatiquement la main de Julia. Les regards des jeunes gens autour de lui se braquent sur l'élu, il a vaguement conscience de l'attention que lui porte la foule mais il est tellement sous le choc à cause de la tournure qu'ont pris les évènements que ça n'a aucun effet sur le jeune homme – le tribut, désormais. On lui laisse un chemin pour rejoindre l'estrade et il entend des murmures de soulagement alors qu'il se détache de Julia. Il ne peut pas leur en vouloir, quelques minutes auparavant il était content que les noms de Flavie et Maysilee aient été tirés, à défaut de celui de sa copine. Ses pieds le traînent jusqu'au podium, il grimpe les quelques marches comme un automate et se place aux côtés de ses trois camarades. Son regard erre dans le vide, il ne veut pas fouiller des yeux la foule car il ne veut pas voir le visage de Julia, ni ceux de sa mère ou son frère. Alors il fixe un point au loin et laisse les choses venir.

Salvina conclut la cérémonie de tirage au sort en demandant si quelqu'un veut se porter volontaire à la place de l'un des quatre tributs. Evidemment, personne ne bronche. Haymitch se demande pourquoi ils continuent de s'entêter à poser la question. Dans un tel District, personne ne défie le tirage au sort. On se soumet, point.

« -Bien, bien, bien, claironne Salvina en guise de conclusion. Puisse le sort vous être favorable et joyeux cinquantième Hunger Games ! »

Haymitch a vaguement conscience que le maire prend sa place pour lire le Traité de la Trahison. Ses oreilles n'entendent qu'un mot sur deux et son cerveau ne traite que partiellement l'information, ce qui plonge le garçon dans un état proche de la léthargie. On lui demande ensuite de serrer la main des autres tributs. Il obtempère sans broncher, plongeant quelques secondes son regard dans ceux de ses futurs adversaires. Ils ont tous l'air pétrifiés de peur, sauf peut-être Maysilee dont les pupilles laissent dévoiler une flamme de détermination. Inconsciemment, Haymitch note ce détail quelque part dans sa tête – ça pourra lui être utile, une fois dans l'arène. Il espère que, de son côté, ses yeux ne dévoilent rien de lui. De l'indifférence.

L'hymne retentit encore une fois et il sent une main s'agripper à son bras. Il sent qu'on le tire vers l'arrière et il se tourne pour découvrir un Pacificateur qui lui fait signe de suivre le mouvement. Haymitch ferme la marche des tributs et on les conduit dans l'hôtel de Justice. Là, il est séparé de ses pairs et on le fait patienter dans une pièce. Il jette un regard suspicieux autour de lui, vérifiant sans doute qu'il n'y ait aucune caméra dissimulée dans un coin. Il sait qu'on va lui accorder quelques minutes avec ses proches et il ne veut surtout pas qu'on ne l'épie à cet instant. Il se met à faire les cent pas dans la pièce, prenant de grandes inspirations. Cela lui permet de faire s'évaporer la semi-léthargie dans laquelle il est plongé depuis qu'il a été désigné en tant que tribut. Il a à peine le temps de prendre réellement conscience de sa situation que la porte s'ouvre derrière lui.

Il se retourne et voit sa mère et son petit frère apparaître dans l'encadrement de la porte, escorté d'un Pacificateur. Ce dernier ferme la porte derrière eux et son frère accourt jusqu'à lui, les yeux remplis de larmes.

« -Je ne veux pas que tu partes, rechigne-t-il en l'enlaçant de ses bras. »

Il ne répond rien et se contente de l'étreindre à son tour. Sa gorge se noue en sentant le corps secoué de sanglots de son frère contre le sien mais il prend sur lui pour rester impassible. Il ne peut pas s'effondrer maintenant. Pas de larme, pas de drame. Il n'offrira pas cela au Capitole car il sait pertinemment que c'est ce que les gens préfèrent.

Il lève les yeux sur sa mère et parvient à parler sans trembler :

« -Ne lui fais pas acheter des tesserae. Vous aurez une bouche en moins à nourrir cet hiver, vous pourrez vous en tirer. »

Ses propos sont durs et sa mère explose à son tour en sanglot. Conscient d'avoir parlé un peu trop vite, il s'approche d'elle et se loge dans ses bras, son petit frère toujours collé contre lui. Sa mère glisse une main dans son dos et ils restent tous les trois ainsi pendant quelques minutes. Haymitch, la tête fourrée dans les bras de sa mère, s'autorise à faire couler une larme, une seule.

La porte s'ouvre et un Pacificateur somme à sa famille de quitter la pièce. Haymitch s'écarte d'eux, repoussant à contre cœur son frère qui tente vainement de s'agripper à son pantalon. Il serre les dents et garde un visage volontairement fermé. Son frère hurle, Haymitch baisse le regard. Il perçoit sa mère soulever son frère, le Pacificateur prendre sa mère par le bras et entraîner la petite famille déboussolée hors de la salle. Le tribut garde ses yeux rivés au sol jusqu'à ce que la porte se referme et qu'il se retrouve de nouveau seul. Une sourde colère l'envahit, il veut soudain détruire tout ce qui se trouve sous sa main : la table au bois lustré, les coussins feutrés sur le canapé, la lampe luxueuse, toutes ses richesses auxquelles une petite minorité bénéficie pendant que d'autres crèvent de faim, de fatigue, de maladies respiratoires... ou de jeux sanguinaires. Au lieu de cela, il sert les poings jusqu'à s'en faire mal aux mains.

La porte s'ouvre de nouveau et Haymitch redresse la tête brusquement. Ses doigts se détendent lorsqu'il voit la silhouette de Julia s'avancer vers lui. La jeune fille ne pleure pas et Haymitch lui en est reconnaissant. Il n'aurait pas supporté les larmes de sa bien-aimée, alors même que les cris de son cadet font encore vibrer douloureusement ses tympans. Julia attend que le Pacificateur referme la porte avant de s'approcher d'Haymitch. Il essaye de lui adresser un sourire rassurant, mais il ne parvient qu'à esquisser une grimace forcée. Elle paraît hésiter un instant, semblant réfléchir à la meilleure attitude à adopter, mais finit par lui tomber dans les bras et s'accrocher furieusement à lui, comme si toute la volonté qu'elle met dans cette étreinte peut protéger le tribut de toutes les horreurs qui l'attendent. Le garçon lui rend le geste, aussi chaleureusement qu'il peut mais il sent avec détresse que Julia est en train de lui échapper. Il sait qu'il a peu de chance de s'en tirer en vie et, même s'il revenait, rien ne serait plus jamais comme avant. Le Capitole garderait une emprise sur lui, comme il garde une emprise sur tous les gagnants depuis le début des Jeux. Il chasse ses pensées de son esprit, hume une dernière fois l'odeur si familière de la jeune fille puis l'écarte doucement de lui. Leurs yeux se croisent et il peut lire une effroyable peur dans le regard de Julia, de la peur certes, mais du courage également. Elle n'a pu perdu espoir et, quelque part, Haymitch non plus. Une petite étincelle, une braise, rien de plus. Mais il n'est pas encore mort, et il ne compte pas s'avouer vaincu aussi vite.

« -Un dernier conseil pour moi ? murmura-t-il dans un faible sourire. »

Elle soutient son regard et scelle sa main dans la sienne.

« -Reste en vie. »

Le Pacificateur revient et annonce la fin de l'entrevue. Dans un élan désespéré, Haymitch s'accroche une dernière fois aux lèvres de sa copine qui se fait bien vite entraîner en arrière par le représentant de l'ordre, visiblement peu patient.

« -Je t'aime, Haymitch !

-Moi aussi, je t'... »

La porte se referme brutalement et les mots meurent dans la bouche du jeune homme. Sa colère si vive remonte d'un cran, bien vite suivie d'une immense tristesse et d'un sentiment d'injustice qui ne le quittera jamais vraiment. Étourdi par toutes ses émotions qui le malmène, il se laisse tomber sur le canapé et prend son visage entre ses mains. Les coussins sont confortables et moelleux en dessous de lui mais il ne prête guère attention au confort de ce qui s'offre à lui. Il ne pleure pas et tâche de faire le vide dans sa tête.

Il est en colère contre le Capitole, soit. Il aura tout le loisir de leur montrer son mécontentement une fois sur scène, face aux caméras, dans l'arène. Il est triste à cause du goût amer laissé par les adieux de sa famille et de Julia, certes. Ce ne sont pas encore des adieux définitifs et il se battra jusqu'au bout pour que ça ne le soit pas, il en fera une force, une motivation. Il trouve cela injuste, c'est un fait. Sa vie ne sera plus jamais la même après cela – si après il y a. Mais il restera lui-même, tout du long. Ça, il peut le faire. Il ne laissera pas les Jeux le changer, faire de lui quelqu'un qu'il n'est pas.

Les quelques certitudes qu'il réussit à établir le calment et, lorsqu'on vient lui annoncer qu'il va être conduit jusqu'à la gare, ses mains ne tremblent plus, son visage a retrouvé un masque parfait d'indifférence et dans ses yeux, luit une lueur de détermination. Il retrouve les trois autres jeunes alors qu'il sort de l'hôtel de ville, ils sont escortés de quelques Pacificateurs, de Salvina et de Darren. Ce dernier sera leur mentor, il sera chargé de les conseiller, de leur parler stratégie et alliance – en bref, de leur fournir une petite lueur d'espoir de s'en sortir. Haymitch décide qu'il ne l'écoutera pas, il est suffisamment intelligent pour établir son propre plan et n'a aucune envie de s'attacher à qui que ce soit dans l'arène. Ses camarades ont tous les trois l'air assez éprouvés par les aurevoirs et Haymitch se surprend à en être satisfait.

Les caméras les surprennent alors qu'ils arrivent dans la gare. Haymitch n'y a jamais mis les pieds et prend le temps d'observer les lieux avec une certaine curiosité. Après tout, il n'allait pas avoir cette opportunité tous les jours. Il tâche cependant d'ignorer les caméras et de ne laisser rien paraître sur son visage, il n'a aucune envie qu'on commente son attitude au Capitole. Qu'ils aillent se faire voir, il n'allait certainement pas devenir leur marionnette. Il voit Maysilee faire bonne image devant lui. Il ne sait pas d'où elle tire sa force mais elle parvient à sourire et paraît presque convaincante lorsqu'elle adresse un signe de main aux caméramans qui paraissent ravis.

Salvina, perchée sur ses talons, dirige fièrement la petite troupe jusqu'à l'un des wagons dont la porte est grande ouverte. Elle s'adresse théâtralement aux candidats en leur faisant signe d'entrer. Haymitch ferme la marche, suivis de Darren, puis Salvina. Cette dernière repasse en tête de file en rigolant niaisement, comme si elle était en train de faire quelque chose de vraiment amusant. Haymitch voit Darren se placer à ses côtés et il lui adresse un simple regard, curieux de connaître cet homme. Sans forcément écouter ses conseils, il pourra tout de même en apprendre plus sur lui et la façon dont il a gagné. Cela ne sera pas de trop pour espérer avoir ses chances. Darren croise son regard et il surprend l'homme à lui adresser un sourire désolé. Haymitch détourne les yeux, énervé et déçu : il ne veut pas de la pitié des gens.

Devant lui, Salvina ouvre d'un geste calculé la porte menant à un des compartiments et proclame, d'un air tout à fait sérieux :

« -Bienvenue à bord de ce merveilleux ouvrage du Capitole ! Vous allez voir, vous allez passer le plus merveilleux voyage de toute votre vie ! »

Haymitch ne peut retenir son ricanement.

« Sachant que nos vies risquent de s'écourter très rapidement, mesdames et messieurs, je déclare la palme de la subtilité à Salvina Bidule du Capitole ! »

*
Hello, comment allez-vous ?

Je vous propose un chapitre un petit peu plus long que le précédent qui annonce donc le départ d'Haymitch du District Douze direction le Capitole. Des adieux plutôt difficiles et quelques premiers indices sur les concurrents de son District, Haymitch ne sait plus où donner de la tête !

Qu'avez-vous pensé de cette partie ? Qu'attendez-vous pour la suite ?

On se retrouve comme prévu dimanche prochain pour que vous découvriez le prochain chapitre !

D'ici là, prenez soin de vous et de vos proches :)

PetitKoala

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