Chapitre 16. La dernière nuit (1/2)
Lorsque l'hymne résonne, Haymitch ne veut tout d'abord pas lever la tête vers le ciel. Il se dit que connaître l'identité des personnes mortes aujourd'hui ne l'aiderait pas à gagner. La vérité, c'est qu'il ne veut pas voir le visage souriant de Maysilee conclure cette macabre parade. Il finit par s'y résoudre et découvre avec stupeur que trois tributs se sont fait tuer dans la journée : le dernier garçon du District Quatre du nom de Samy, l'ultime représentant du Huit prénommé Juste et Maysilee. Le garçon détourne les yeux lorsque le visage paisible de Juste s'efface.
Haymitch fait rapidement le compte dans sa tête, en se basant sur les calculs de Maysilee qui a estimé le nombre de tributs encore en compétition à cinq. Il laisse échapper un rire lugubre en constatant qu'ils ne sont plus que deux.
Pas besoin de passer en revue l'ensemble de ses adversaires pour savoir qui il va devoir affronter d'ici peu : la colossale blonde du District Un, Daphne. Il sait d'ores et déjà qu'un corps-à-corps avec elle réduirait considérablement ses chances de s'en tirer.
En vérité, Haymitch sait qu'il n'a qu'une possibilité à exploiter pour espérer sortir vivant de cet enfer. Les chances de réussir sont si minces qu'elles en deviennent risibles mais le garçon n'a pas d'autres solutions. En plus, il a promis à Maysilee de gagner, ainsi qu'à Julia et implicitement à sa famille... il est si près du but.
Une nouvelle forme d'énergie le frappe de plein fouet et fait vibrer ses muscles : une excitation sourde, mêlée à une peur d'échouer et une envie d'en finir. Ce cocktail baigné d'adrénaline le fait bouger. Il ne compte pas quitter des yeux le champ de force, ce mur invisible et pourtant si rassurant. Grâce à ce repère, il sait que le danger ne peut venir que du côté de la forêt, ce qui amoindrit ses chances de se faire surprendre. Il longe la falaise, le cœur battant et à l'affût du bruit.
Il marche ainsi pendant dix minutes alors que l'obscurité s'installe définitivement dans l'arène. Ses yeux s'habituent sans mal à la pénombre artificielle. Ses pas font rouler des caillasses au sol, mais il s'en fiche ; il n'a pas peur de se faire surprendre.
Soudain, brisant le semblant de paix qui a envahi l'arène, des piaillements sonores se font entendre derrière Haymitch. Le garçon fait volte-face, la main refermée sur son couteau de fortune. Si tout d'abord il ne voit rien, il finit par distinguer avec hébétement un florilège d'ombres volantes se diriger vers lui. Les formes qu'il aperçoit sont rendues confuses par la nuit mais Haymitch sait que, qu'importe les créatures à qui il va avoir affaire, elles ne sont ici qu'avec une idée en tête : le tuer.
Il se met à courir, titubant sur le sol meuble avant de prendre ses marques. Son cœur s'accélère dans sa poitrine, tandis que son cerveau tente peu à peu de comprendre ce qu'il se passe.
Il se fige totalement sur place lorsque des battements furieux d'ailes sont perceptibles en face de lui. Il se retourne, haletant. La nuée d'animaux est toujours à sa suite. Il regarde en face de lui et voit des ailes colorées se découper dans le ciel sombre.
Il est encerclé.
Enfin, pas tout à fait. Il lui reste la possibilité de couper par la forêt, mais cela l'obligerait à quitter le champ de force, qui à l'heure qu'il est, constitue son unique chance de s'en tirer.
Il sait ce que cela signifie. Le Capitole l'oblige à se rendre dans la forêt où il rencontrerait probablement Daphne.
Haymitch prend une profonde inspiration. Il est dégoûté par sa situation, il se sent contrôlé par des forces qui le surpassent et le fait de savoir que des caméras sont très probablement braquées sur lui à cet instant ne rend pas les événements plus faciles à accepter.
Il fait alors glisser les lanières de son sac de ses épaules et déposent son paquetage par terre. Libéré de ce poids, il raffermit sa prise sur son couteau et se met à courir en direction de la forêt. Le parterre rocheux laisse rapidement place à une fine couche d'herbes qui amortit plus facilement ses pas et facilite son cheminement jusqu'aux arbres. Arrivé à l'orée du bois, il n'hésite pas une seule seconde et s'engouffre parmi la broussaille, malgré la sensation intangible de foncer droit dans la gueule du loup.
Il court une dizaine de minutes sans ralentir, retrouvant le paysage familier qui lui a servi d'habitat pendant plus d'une semaine avec un mélange compliqué d'effroi et de soulagement. Les volatiles l'ont suivi sur quelques centaines de mètres avant, semble-t-il de se lasser et rebrousser chemin. Cette constatation n'a pas arrêté le garçon, qui a continué sa progression rapide sur plusieurs kilomètres encore.
Quand il s'accorde enfin une pause, il est en nage, à bout de souffle mais parfaitement alerte. Depuis le début des Jeux, il a dû perdre plus de dix kilos, son corps a été tour à tour brûlé, coupé, piqué et malmené et il n'a jamais dormi plus de quatre heures d'affilée, bien loin des nuits calmes passées dans sa bicoque dans le Douze. Pourtant, il ne s'est jamais senti aussi vivant. L'arène l'a transformé et ce, jusqu'à la fin de ses jours, que ce soit aujourd'hui, dans une semaine ou dans cinquante ans. Jamais plus Haymitch Abernathy ne sera le même homme.
Il reprend sa respiration, puis essaye de se repérer, malgré la pénombre ambiante. Il retient mentalement la direction qui le mènerait de nouveau jusqu'à la falaise, presqu'inconsciemment, puis se remet en marche, un peu au hasard. Il contourne avec précaution un large buisson épineux, lorsqu'il entend une voix, quelque part sur sa droite :
« -... saleté d'écureuils de merde ! Hé, le connard qui gambade encore dans l'arène, viens-là qu'on en finisse ! Hors de question que je passe encore une nuit à côtoyer ses putains de rongeurs dorés ! »
Haymitch se raidit en reconnaissant sans mal la voix de Daphne. Machinalement, il se met à reculer dans la direction opposée, le regard braqué vers l'endroit d'où provient les cris de la dernière tribut de carrière. S'il l'affronte en face-à-face, il n'a aucune chance. Il l'a vu manipuler les poids et les lances au Centre d'Entraînement, cette fille est une véritable machine à tuer. Il lui faut une alternative qui lui permette de prendre l'avantage, sans compter sur la force.
Pour gagner du temps, le garçon s'éloigne de son adversaire, en prenant soin de ne faire aucun bruit qui puisse trahir sa présence. Il entend presqu'une musique angoissante s'élever dans les airs, alors qu'un silence suspendu semble envahir l'arène qui retient son souffle. Tout va se jouer dans l'heure qui va suivre. Il le sait, et Daphne le sait probablement aussi.
Alors qu'il fait un pas de plus, il sent la terre céder sous lui. Il lâche un cri de surprise qu'il réprime à moitié en se mordant violemment la langue. Le sol craque à ses pieds et, bien que l'obscurité l'empêche de distinguer les détails, il comprend que s'il ne recule pas sous peu, il va se faire emporter dans une chute sans aucun doute mortelle.
L'arène lui fait faire demi-tour.
Il saute en arrière et attrape avec force un tronc d'arbre, manquant dans sa précipitation de lâcher son couteau. Des éboulis de terre et de pierre menacent son équilibre et il se met à courir en priant pour ne pas tomber. Le glissement de terrain, bien loin d'être naturel, prend de l'ampleur et, bientôt, entraîne avec lui des arbres dont les branches craquent sinistrement en rencontrant le sol. Haymitch accélère le pas, maudissant de toutes les injures qu'il connaît l'arène et les enfoirés qui la gèrent. Il ne tarde pas à se retrouver face au buisson plein d'épines qu'il ne prend, cette fois-ci, pas le temps de contourner. Il s'arrache des bouts de peau et de vêtement, mais ça n'a pas vraiment d'importance. Il a compris qu'il ne peut plus se défiler, l'arène ne le laissera pas faire. Alors, il hurle le nom de Daphne.
« -Je suis là ! Daphne ! »
A tâtons, il titube parmi les arbres, jusqu'à atteindre une partie plus dégagée. Daphne l'attend, armée d'une hache. Un ricanement sourd gronde dans la gorge du garçon lorsqu'il constate que la clairière dans laquelle ils ont tous les deux échoués ressemble à s'y méprendre à une fosse de combat. Les pins et les chênes remplacent les gradins. La lune brille très fort dans le ciel, éclairant parfaitement les lieux d'une lueur pâle. Daphne a des airs de fantôme, sa peau blanchie par l'éclairage, son corps décharné et blessé à de multiples endroits, ses cheveux gras et emmêlés pendant de chaque côté de son visage. Seul son regard dénote de cette image. Un regard de meurtrier.
« -Je vais te tuer, Douze.
-Haymitch, rétorque instinctivement le concerné, d'une voix étrangement calme.
-Comment est morte ta copine ?
-Les oiseaux. Les tiens ?
-Je les ai éliminés. »
Elle est prise d'un rire malsain. Haymitch ne sait pas si elle dit la vérité ou si elle tente de lui faire peur.
« -Tu n'as que ça ? »
Elle désigne son couteau du menton.
« -Qu'une lame ?
-Viens vérifier si tu veux. »
Son visage se déforme dans un sourire sans joie. Elle a été belle, avant que l'arène ne lui arrache toute son humanité.
« -Pense à sourire quand je t'achèverai. Toutes les caméras du pays sont rivées sur nous. »
Et, elle se rue sur lui. Elle est rapide, mais pas autant qu'Haymitch. Il esquive son assaut en se déportant sur le côté. D'un geste agile, Daphne lui fait face, bien loin d'être déstabilisée par ce premier échec. Leurs regards se croisent un bref instant. Le garçon voit une détermination démente briller dans les prunelles de la représentante du District Un. De la peur, aussi. Après tout, elle ne fait que défendre sa propre vie.
Elle avance d'un pas, Haymitch recule. Il serre si fort son arme entre sa main motrice que ses jointures lui font mal.
« -Tu ne vas pas pouvoir reculer éternellement, Haymitch. Tu sais qu'ils ne nous laisseront pas quitter la clairière tant que l'un d'entre nous ne sera pas mort. »
Sa voix est agressive, mais dit la vérité. Une autre voix, plus douce et agréable, résonne à ses oreilles : « reste en vie ». Julia. Il inspire profondément en se remémorant les dernières paroles échangées avec sa bien-aimée. Tout le reste n'a plus d'importance, maintenant.
Daphne n'est plus que l'ultime obstacle qui le sépare de Julia et il lui faut la battre. Il oublie qu'il n'a aucune chance contre une fille entraînée depuis son plus jeune âge à trancher net des têtes et fonce dans sa direction. Il se penche sur le côté pour éviter la lame tranchante de la hache maniée avec brutalité par son adversaire et vient planter son couteau dans ses côtes. Daphne hurle, de douleur et de colère. Le temps qu'il retire son arme, le manche de la hache s'abat sur son crâne. Ses genoux fléchissent sous la douleur, mais il ne tombe pas. Le coup le désoriente quelques secondes, qui suffisent pour le mettre dans une position délicate. Daphne arrache son couteau et l'envoie valser plus loin, puis profitant de son désarroi, elle fait tomber le garçon au sol. Haymitch, ralenti par la souffrance lancinante de sa boîte crânienne, a juste le temps de rouler sur la gauche pour esquiver de justesse la hache qui vient lourdement s'abattre à quelques centimètres de lui.
Daphne crie de frustration, tout en agrippant la lame pour la sortir du sol. Haymitch, reprenant contenance, se redresse et vient planter ses doigts dans la blessure de son ennemie. Ses ongles s'enfoncent dans la chair à vif et viennent élargir la plaie démarrée au couteau. Il sent la peau se tendre et se déchirer mais il s'y cramponne avec véhémence. Daphne rugit et, frappant d'un coup énergique de bras sa poitrine, le fait retomber par terre. Haymitch tousse violemment, le souffle coupé et plusieurs côtes probablement cassées sous l'impact. La douleur irradie son corps entier mais son esprit bascule automatiquement en mode survie, si bien que ses muscles, nourris à l'adrénaline pure, continuent de fonctionner, malgré la souffrance que cela lui procure.
Il entend la lame siffler dans les airs mais il réagit trop tard. La hache entame une partie de sa chair, vers sa cuisse droite. Il hurle malgré lui, en sentant le fer pénétrer sa peau, faisant bouillonner son sang qui s'écoule le long de sa jambe. Il se tortille, mais Daphne lui tombe dessus. Elle brandit rageusement son poing et l'enfonce dans sa joue. Sa bouche s'emplit de sang et il crache une gerbe de liquide pourpre dans laquelle se trouve un morceau de dent. La fille empoigne sa hache, qu'elle arrache brusquement de la jambe de son adversaire mais sur ce coup, Haymitch est plus rapide. Ignorant l'insupportable douleur causée par les flots de sang s'écoulant de la plaie à vif, sa main s'est refermée sur un caillou de la taille de son poing, avec lequel il frappe le joli visage de la jeune fille rendu abjecte à cause de la douleur et la colère.
Daphne bascule en arrière, une main plaquée sur son visage, l'autre tenant fermement son arme. Haymitch se dégage de son emprise et ses yeux se posent un bref instant sur la pierre, gorgée de sang. Il rampe sur le sol, veut se redresser mais est trahi par sa jambe ensanglantée. Il tente de repérer son couteau mais l'herbe rend difficile sa tâche. Alors qu'il essaye de s'éloigner, une main s'agrippe à sa cheville. Il se retourne et glapit d'horreur en constatant les dégâts qu'il a infligé au visage de son ennemie. Il a frappé en haut de sa pommette gauche mais un éclat de pierre s'est enfoncé dans son œil, fendant en deux la cornée et emplissant le globe oculaire de sang, qui s'écoule désormais sur sa peau.
Haymitch est pris d'un haut-le-cœur qui le déstabilise. Daphne s'accroche avec ardeur à sa cheville, ses ongles s'enfonçant dans sa peau glabre et endurcie par la vie en extérieur. Le garçon gémit, mais ses petits cris sont risibles face aux rugissements de la fille. Il se débat mais elle renforce son emprise sur lui. Elle se jette sur lui, dans un élan rageur et Haymitch sent le genou de son ennemie s'enfoncer dans ses côtes fêlées.
Il voit trouble et a du mal à respirer. Une douleur forte émane de ses poumons, et il devine sans mal qu'un éclat d'os a dû perforer un de ses organes respiratoires. Sa tête lui tourne dangereusement.
Daphne brandit la hache au-dessus de sa tête. Haymitch lève les bras pour se protéger. D'une main, il empoigne l'un des poignet de la fille, d'une autre il tente d'atteindre son visage.
« -C'est... fini... Haymitch... tu... es... mort. »
La voix de Daphne est sifflante, emprunte de douleur et de colère. L'unique pupille encore en état de la demoiselle luit d'une flamme de démence. À cet instant, toute humanité l'a quitté.
Haymitch sent ses forces s'amenuiser. Il s'apprête à abandonner, c'est trop douloureux, trop éprouvant, trop dur, trop.
Daphne, de sa main libre, frappe le garçon pour qu'il lâche son poignet. La tête d'Haymitch réalise un quart de tour et vient s'écraser contre la terre qui s'engouffre insidieusement dans ses yeux, son nez et sa bouche. Il suffoque. Ses doigts tremblent contre la peau de Daphne. La fille est plus forte que lui, il va lâcher. Il va lâcher et la hache va s'abattre sur son cou.
Il cligne des yeux, sa vue est troublée par la poussière. Il distingue un éclat non loin de lui... sans doute, une caméra qui ne rate rien du spectacle... une caméra, ou bien... son couteau !
Le temps semble se figer un instant. Haymitch estime la distance qui le sépare de sa lame. Il pense l'atteindre avec sa main, mais pour cela, il va lui falloir lâcher le bras de Daphne... il est plus rapide qu'elle, il peut brandir son couteau avant qu'elle n'abatte sa hache. Mais s'il se trompe, si ses doigts n'agrippent pas suffisamment rapidement le manche... s'il n'atteint pas à temps le couteau...
Haymitch rugit et retire ses doigts de la peau de son adversaire, si rapidement que l'on aurait pu croire que l'épiderme était soudainement devenu brûlant. Il balance son bras dans l'herbe et ses doigts se mettent à fouiller frénétiquement la terre à la recherche du couteau. Heureusement, ils le trouvent presqu'instantanément et il élève sa lame devant lui.
Sans hésiter, il attaque la fille qui le surplombe et enfonce le couteau dans son œil déjà meurtri. Il sent la cornée se rompre et un liquide visqueux jaillit sur sa main.
Au même moment, la hache s'abat sur le garçon.
*
Hellooo !
Bon je sais, le chapitre d'aujourd'hui est plutôt violent... promis, c'est bientôt la fin des combats ensanglantés dans l'arène, comme le titre du chapitre le laisse suggérer ! Haymitch et Daphne s'affrontent sans relâche et aucun ne semble vouloir céder facilement la victoire... et nous les laissons tous les deux en bien mauvaise posture à la fin de ce chapitre...
Alors comment va se conclure ce combat ? Vous saurez tout la semaine prochaine !
D'ici là je vous souhaite de bonnes vacances et de bonnes fêtes de fin d'année ! Prenez soin de vous ♡
PetitKoala
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