Q U I N Z E

L O U I S

J'ai accepté, ouais. Je n'sais pas vraiment ce que je lui ai répondu, ni comment j'ai fait ça. C'est bien la preuve que je suis visiblement et totalement désespéré. Il a eu pitié de moi. Je ne peux lui inspirer que de la pitié, pas vrai ? Il fait ça pour avoir bonne conscience, il s'en fiche de moi. Oh bordel, j'essaie tellement de m'en convaincre que c'en est ridicule. Parce que ses yeux, putain, j'ai jamais vu ça. Leur couleur, et leur profondeur, viennent d'un autre monde. Un monde inexploré, et je veux m'y perdre. Il y a des années que je n'ai pas revu la couleur de l'honnêteté, les teintes pures de la sincérité, pourtant, ce regard-là, le sien, m'apprend de toutes nouvelles variantes de ces couleurs oubliées.

- Putain, je souffle en souriant comme un con. 

Il n'y a pas plus débile que de faire de la poésie sur quelqu'un. Pour me défendre, je pourrais dire que ce n'est pas sur n'importe qui. C'est ça, le problème qui s'est glissé dans mes neurones dégradés : Harry n'est pas n'importe qui. Il a un truc différent, un truc qui me donne envie de vomir. Comme tout le monde à vrai dire, mais lui c'est autre chose. J'ai envie de me défaire de tout ce qui est en moi, de recracher toutes mes ombres, et de tout recommencer, une toute nouvelle vie. Rien que pour ses yeux. Tandis que les autres, oh, qu'ils aillent se faire foutre. Eux, ils me feraient vomir de dégoût.

Harry.

Je ne le connais pas. Et pourtant, son regard me jure que si. Je l'ai déjà vu, dans mes rêves, dans mes éclats. Je l'ai déjà entendu, dans les mots de Lydie. C'est un p'tit con, et peut-être qu'il joue simplement au bon responsable mais... putain, qu'il joue avec moi. Qu'il joue sans s'arrêter. Qu'il me fasse vivre ou qu'il me fasse crever, au point où j'en suis, ça revient au même. Au moins ses yeux seront sur moi. Ils me regarderont, là où ceux des autres ne font que voir. 

- Alors, tu montes ? 

En retombant dans la réalité, je baisse les yeux pour le voir assis au volant, penché sur le siège passager. Et en plus il a une Cadillac. Il vient carrément d'un autre monde. Je hoche la tête en gardant mes mots pour moi et m'installe ses côtés, déjà ivre de l'odeur qui semble ancrée à sa peau. Je sursaute lorsqu'il se penche vers moi. Qu'est-ce qu'il fout ? Il veut me sucer ? Mon corps s'enflamme en pensant à ça et je pourrais presque me gifler en constatant qu'il ne fait que mieux refermer la portière.

- T'excite pas, Blondie, sourit-il en démarrant. 

- M'appelle pas comme ça, je grogne en entendant presque la voix salace de Scott dans la sienne.

- Ok.

Sans rien ajouter, il prend la route qui conduit à mon appart. J'adore ça. Son silence. Il est plus significatif que les milliards de mots prononcés à l'instant même dans le monde entier. Il y a un voile autour de lui, quelque chose de sombre, quelque chose de mystérieux. Presque une ombre, qui le suit... Oh non. Putain, non. Il est si majestueux que c'est la nuit qui suit ses gestes ; c'est lui l'ombre, la plus absolue, la plus envoûtante.

- Arrête de me fixer, murmure-t-il, les yeux toujours rivés sur la route.

- Pourquoi ? Je te déconcentre peut-être ? je souris narquoisement.

- C'est gênant, tu m'as avoué que tu me trouvais baisable. Maintenant je dois me méfier sinon tu vas me sauter au milieu de la route.

J'explose de rire en regardant par la fenêtre, en réalisant que je suis bizarrement sobre pour la première fois depuis longtemps.

- Drôle de fantasme, je déclare. Mais ça peut s'arranger.

Du coin de l'oeil, je le vois sourire. Il ne dit plus rien jusqu'à ce qu'on arrive devant mon appart. J'apprécie ce vide, vibrant de sensations. Son silence est aussi éloquent que ses mots, j'ai l'impression qu'il hurle ses pensées. Pourtant je n'arrive pas à les atteindre ; mais ça me va. C'est... séduisant.

- Arrête de rêver et bouge ton cul ! rit-il en claquant sa portière. Putain, t'es un vrai perché en fait. On te baise, tu t'en rends pas compte.

- Foutu garagiste, je marmonne en retenant un sourire et en sortant de la caisse.

Je le rejoins à la porte de mon salon, lui lançant un regard mauvais mais tout ce que j'arrive à faire c'est sourire. Encore. Quel connard. Il me fait un clin d'oeil en se mordant la lèvre. Putain, ses lèvres... Je détourne les yeux pour enfoncer les clés dans la serrure et je ne me tourne pas, je sais qu'il est juste derrière moi. Chaque partie de mon corps a envie de reculer, jusqu'à se coller à lui - se fondre en lui. J'essaie de ne pas penser à la dernière fois qu'il a été ici, où je me suis retrouvé à chialer sur les marches. Cette fois il est avec moi, cette fois je ne suis pas seul.

Après qu'on ait grimpé les escaliers, je suis frappé par l'odeur de tabac qui règne dans mon appart, par le nombre de bouteilles vides étalées sur le sol, autour de mon lit... et devant ce putain de miroir. Infernal. Je hais ce miroir. Je hais ce que j'y vois. Un homme paumé, hideux et infâme. Je me retiens d'y jeter une bouteille pour le briser, jusqu'à ce qu'Harry se glisse derrière moi. Encore. Son air est sombre, mais j'ai l'impression qu'il m'enveloppe entièrement et je me trouve presque beau. A cause de lui... Grace à lui. Je souris en observant son reflet - notre reflet - je le vois glisser sa main sur mon bras et effleurer ma peau jusqu'à mes doigts. Son autre bras s'enroule fermement autour de mes hanches pour m'attirer contre lui. Ses lèvres dans mon cou. Une seconde, je l'observe me mordre la peau, celle d'après je m'abandonne contre lui. Mais je ne fais que le voir... Dans ce miroir. Je ne fais qu'imaginer. Je me suis perdu. Qu'est-ce que je disais ? Ce miroir est un enfer.

- Louis ? m'appelle Harry.

Je me retourne vers lui, la sensation imaginaire de ses lèvres sur ma peau courant dans mon cou.

- Ouais, j'arrive, j-je me dépêche.

Sous le regard d'Harry, je pars ouvrir l'armoire pour en sortir une vieille valise.

- Arrête de me fixer, je souris en lui volant sa réplique. 

- Pourquoi ? Je te déconcentre peut-être ?

Sa voix est grave, et chaude. Je me retourne brusquement et recule contre le mur lorsque je constate qu'il est près. Trop près. Il avance, un sourire prédateur aux lèvres, et dans la pénombre de l'appart, il est incroyablement érotique. Il pue le sexe, ce mélange de délices indécents et de masculinité sensuelle. Le sucre et le parfum pour homme, sur un corps qui un jour a été destiné à un dieu. Certainement.

Et ses lèvres. Les premières que je meurs d'envie d'embrasser. De dévorer. 

Et encore une règle que je laisse filer. Ne pas craquer, pour qui que ce soit. J'ai échoué encore une fois. Parce que j'ai craqué. Vous avez entendu ? Ce mur, là, il se fissure. Et je ne saurai dire si je suis piégé ou délivré.

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