Q U A T R E - V I N G T - U N

9 mois plus tard.

- Harry, il faudrait qu'on parle, souffle Louis, assis sur le lit de leur chambre d'hôtel. 

C'est la cinquième fois qu'il le dit, la cinquième fois que le bouclé ne lui répond pas. Ne l'entend pas. Après tout, Louis est terrifié à l'idée d'être entendu. Cette conversation va être très dure, et ça fait des jours qu'il y pense. Qu'il réfléchit aux mots qu'il pourrait prononcer, à la manière de les dire. Mais il est réellement effrayé.

Le châtain a les yeux dans le vide, assis en tailleur sur le matelas couvert de draps blancs. Ils ne sont même pas doux... La chambre manque de lumière, et la nuit enveloppe la ville. Seattle. Le mois dernier ils étaient encore à New York. Avant ça à Shanghai. 

Les lèvres de Louis s'entrouvrent et il lève les yeux. Il ose enfin les poser sur Harry. Le bouclé est torse nu, assis au bureau minuscule, dans un coin de la chambre. La tête penchée sur une pile de livres plus ou moins épais, et un carnet plein à craquer de numéro, d'adresses, de notes. Certaines rayées, certaines encadrées. Il lit, il écrit, encore. Il cherche. L'impossible.

- Harry, il faudrait qu'on parle... répète Louis, les yeux brillants.

Sa main droite tremble et son visage s'enflamme. Son coeur le brûle de l'intérieur. Des larmes brouillent sa vue. Harry a tellement maigri. Il a presque la peau sur les os. Ses os sont visibles tout le long de son dos. Surtout quand il est courbé, comme ça.

Louis n'en peut plus.

- Harry.

- Tu ne dors pas ? demande simplement Harry. Il ne bouge pas d'un centimètre, concentré sur l'ouvrage d'un grand optométriste. 

Le coeur de Louis se serre.

- Non... Je... Il faut qu'on parle.

- Parle.

- Tu peux te retourner, s'il-te-plaît ? s'attriste le châtain.

- Je t'entends, je t'écoute.

- Non, tu ne m'écoutes pas. Regarde-moi... 

Harry fait pivoter son siège, se tournant face à Louis. Ses traits fatigués, ses yeux vides d'énergie, ils assomment Louis à chaque fois.

- Ça fait des mois qu'on cherche des médecins, les meilleurs, pour la maladie d'Alfred... ose Louis.

Harry détourne les yeux, ignore son visage concerné.

- Harry, ça fait des mois... et personne n'est capable de nous aider.

Le bouclé commence à se tordre étrangement sur sa chaise, le regard fuyant.

- Harry, il faut... se faire à l'idée...

Son petit-ami se lève brusquement, souffrant silencieusement, regardant par la fenêtre, la ville illuminée dans la nuit. Louis souffre lui aussi.

- Personne ne peut l'aider.

- Louis...

- Alfred est épuisé de voyager aussi souvent.

- Je me fiche qu'il soit épuisé ! Je fais ça pour qu'il puisse revoir le monde putain ! Qu'il ne dépérisse pas ! Je veux lui offrir le monde, et lui rendre ces putains d'étoiles qu'il adore tant alors je me fiche qu'il soit épuisé ! Il va tenir, et je vais lui rendre ses yeux.

Ceux d'Harry sont ceux d'un fou, là, dans la lumière tamisée. Louis frissonne. Harry ne lui crie jamais dessus.

- Alfred n'en peut plus... souffle Louis, baissant les yeux. Tu te bats pour une cause perdue. Passe du temps avec lui, au lieu de courir après ces per...

- Aucune cause n'est perdue s'il y a encore un pauvre fou prêt à se battre pour elle, gronde Harry, l'air sombre. Je ne laisserai pas tomber.

C'est le corps entier de Louis qui se met à trembler.

- Lucy me manque. 

Harry se fige.

- Et je lui manque.

L'atmosphère devient si lourde, et Louis en sent le poids étouffant sur ses épaules.

- Je ne peux plus continuer comme ça... Harry, tu ne peux plus continuer comme ça.

- Je le peux, lâche Harry, dos à lui, immobile.

- Tu ne peux pas... pleure Louis. On doit rentrer, Harry.

- Je ne rentre pas... On va trouver quelque chose. Quelqu'un.

Harry se tourne, les yeux brillants de larmes et le sourire désespéré d'un enfant rêveur à qui l'on arrache chaque once de bonheur jour après jour. Cette vision écrase Louis.

- Louis... supplie Harry, tombant à genoux devant le lit.

- Je suis désolé, bébé, pleure l'ancien tatoueur. On doit rentrer. A la maison. Je ne peux plus perdre une seule journée de la vie de Lucy... et Alfred doit se reposer.

Mais il parle à un mur. Il le sait. Et c'est à partir de cet instant qu'il est terrorisé. 

- Harry... Ne me fais pas choisir, se brise Louis, ses larmes ne pouvant plus être retenues.

- Je ne peux pas arrêter maintenant, avoue Harry, démoli, anéanti. 

Tout s'écrase. Leur histoire se fracasse. Leur amour est exténué.

- Ne me fais pas choisir, gémit Louis. Ne fais pas ça ! crie-t-il.

- Tu n'as rien à choisir, Louis... souffle Harry.

Le châtain espère une seconde.

- Je vais choisir à ta place...

- Non... Non, non, non, Harry.

Et c'est à cet instant, que tout s'arrête. Harry relève lentement le visage, plongeant ses yeux rouges et fous de douleur dans ceux de Louis, qui sont découragés. 

- Je t'aime, Louis... murmure-t-il. Comme je n'aie jamais aimé quelqu'un.

- Harry...

Harry. Il s'apprête à suivre les pas de celui qui l'a élevé. Dans un passé dont Harry ne connaît rien, Alfred le choisissait, lui, à la place de l'homme avec lequel il devait passer le reste de sa vie. Harry choisit. Celui qu'il n'aurait jamais cru choisir.

- Rentre à Annandale. Retrouve Lucy, sourit-il misérablement.

Louis pleure de douleur.

- Vis... Toutes les années que tu as perdue. Tu mérites le monde entier, et le bonheur. Tu mérites de voir Lucy grandir et t'aimer.

- Harry...

- Il a tout sacrifié pour moi. C'est à mon tour de tout sacrifier pour lui... pleure le bouclé. Je choisis Alfred.

Le courage est d'entreprendre le plus difficile, sans ciller devant la douleur, la souffrance, la fatigue. Le danger. La solitude.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top