Q U A T R E - V I N G T - H U I T
11 mois plus tard.
Quelque part, dans un des bâtiments de luxe de Mumbai, sur la côte ouest de l'Inde, Harry est assis à côté du lit d'Alfred. Il lui tient la main, l'âme triste.
- J'aimerais... murmure faiblement Alfred, que tu écrives... quelque chose pour moi.
Harry ferme les yeux une seconde, malheureux, et hoche doucement la tête.
- Ce que tu veux.
- Une lettre... souffle-t-il, la voix brisée.
Le bouclé renifle, et cherche une feuille et un stylo.
- Pour qui ? demande-t-il en s'installant à une table.
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Louis sort de sa voiture, de superbes lunettes de soleil sur le nez.
- Wow ! On dirait une star de cinéma, rit une belle rousse en arrangeant des chaises sur la terrasse d'un bar.
Le châtain sourit et ferme la portière.
- Salut, Lydie, dit-il en s'approchant alors qu'elle vient le prendre dans ses bras.
- Tu m'as manqué, beau gosse, murmure-t-elle.
- Ouais ?
Il sourit avec malice, posant ses lunettes sur son front.
- Personne n'a pris soin de ce corps de rêve pendant que j'étais absent ? demande-t-il, entrant dans son jeu de flirt habituel.
- Personne aussi bien que toi... dit-elle avec innocence, puis en repartant dans le bar.
Lydie et Louis ont toujours flirté. La différence, avec le temps, c'est que Lydie veut désespérément tenter un truc, tandis que Louis ne prend rien de tout ça au sérieux. Alors il se laisse faire, ça l'amuse même. Il aime bien revenir à Annandale et prendre un verre avec elle, passer la journée dans son ancienne ville avec une amie. Ça lui fait du bien de revenir par ici.
Tout l'après-midi, les deux amis ont ri autour de plusieurs bières, et à 22h, ils y étaient encore. Les deux serveurs qu'a engagé Lydie pour un certain temps s'affaire autour du bar, tandis qu'elle est assise à côté de Louis, dans un coin de la grande salle.
- Tu sais, tu devrais vraiment te trouver un mec, déclare Louis, un peu pensif. Ça t'occuperait et t'arrêterais de sauter sur tes clients comme une folle en manque de sexe.
- Qui te dit que je suis en manque de sexe ? se renfrogne-t-elle. Mon p'tit cul se porte à merveille.
- Oh, ça, j'en doute pas, rit-il. Mais genre... une relation stable ? Enfin, presque stable, déjà ça serait pas mal pour toi.
- J'en veux pas... souffle-t-elle, dévorant Louis des yeux.
- Ouais, mais t'as vingt-six ans, alors il serait temps de...
Il s'est tourné vers elle, mais n'a pas eu le temps de finir sa phrase. Les lèvres de la rousse se sont emparées des siennes.
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Vers la même heure, plus haut sur le continent, à Sydney, Zayn a le dos appuyé contre le mur de sa chambre. Dans la pénombre, il observe le corps endormi de Liam, remuant dans les draps. Encore une de ces nuits. Encore un cauchemar. Zayn n'en peut plus... A peine son petit-ami a-t-il les yeux fermés qu'il semble déjà parti dans une dimension aux couleurs de l'enfer. Il se tord de douleur, comme torturé dans son âme, si puissamment que Zayn a parfois l'impression qu'il souffre réellement, physiquement, et qu'il est obligé de retiré les draps et les couvertures pour mieux examiner le corps de Liam. Aussi, Liam crie... Il hurle, vraiment, et la souffrance qu'il dégage est terrifiante. Zayn en reste sidéré, à chaque fois. Et à chaque fois, il a peur de l'approcher, comme tétanisé à l'idée que cette peine que ressent Liam vienne le frapper à son tour. C'est égoïste, mais c'est vite oublié. Il se doit d'être là pour lui.
Zayn sursaute. Un cri.
Il pose les yeux sur Liam, dont les mains s'accrochent aux draps. Son corps se contorsionne presque. On dirait un fou...
Son coeur s'arrête. Un deuxième cri.
Étouffé, retenu. Zayn distingue la mâchoire serrée de Liam, son visage déformé par la douleur. Zayn attend le troisième cri. Celui qui lui déchire l'âme à chaque fois. Un prénom. Puis les larmes de Liam... Son corps qui se calme, avant de sombrer dans une tristesse affligeante. Le grand tatoué aux cheveux noirs s'approche de Liam, s'installe sur le lit, et berce le corps endormi de Liam contre lui, jouant tendrement avec ses cheveux, essuyant ses larmes. Il ne doit pas le réveiller. Liam ne veut pas être réveillé... Il préfère souffrir dans ses rêves, avec lui, que d'être éveillé et sorti de sa torpeur, ici. Liam veut voir un homme dans ses cauchemars, parce qu'ils sont sans doute moins douloureux que la réalité malgré tout... Et Zayn l'accepte. Il veille sur lui. Il veillera toujours sur lui. Ses yeux dorés se posent sur leur table de chevet. Il y a un médaillon, qui brille sous la faible lumière de la Lune. Zayn en détourne les yeux, et regarde Liam, qui souffre encore, les yeux fermés.
Mais ce serait bien pire s'il les avait ouverts. Zayn le sait.
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Harry pose son crayon, tenant la lettre d'une main tremblante.
- Tu veux... soupire Alfred. Tu peux... la relire ?
- Oui...
Le brun s'assied sur le bord du lit, entremêlant sa main avec celle du vieil homme. Il retient ses larmes, et inspire profondément.
« Je me suis réveillé dans un bus, une matinée d'été. Annandale s'offrait à moi pour la première fois de ma vie, et j'ai posé ma valise dés lors que j'en suis descendu. Elle est tombée à la renverse, et quelqu'un a poussé un cri de douleur. Je n'ai pas pu m'empêcher de rire, et puis, mon sourire a disparu. J'ai posé les yeux sur un homme de mon âge, il était magnifique. Je lui ai offert un café, pour me faire pardonner. Il s'appelait Liam. Mon arrivée à Annandale était un signe du destin, je suppose. Je devais me marier avec une merveilleuse jeune femme, mais plus l'événement approchait, plus je tombais amoureux d'une personne que je n'aurais jamais du rencontrer. Liam ne s'est pas présenté au mariage, alors moi non plus. Je l'ai retrouvé chez lui... Et même si la loi nous l'interdisait, je l'ai demandé en mariage. Pour lui prouver que je l'aimais plus que tout. Et il m'a embrassé. J'ai vécu une merveilleuse vie à ses côtés.
A chaque anniversaire de notre rencontre, il m'emmenait dans un lieu différent. J'ai adoré l'Italie près de lui, et la côte ouest des Etats-Unis. Nous avons vécu dans des dizaines de villes, nous ne sommes jamais restés en place plus de deux ans. Il m'offrait le monde. Il m'offrait la vie. Je m'essayais à cuisiner toutes les spécialités locales, et peu importait si j'échouais, il trouvait toujours le moyen de dire que c'était délicieux. Je ne le croyais pas. Pourtant, il pouvait prononcer n'importe quel mot, je l'aurais suivi jusqu'au bout de l'univers. Toutes les nuits, nous regardions les étoiles, et je lui apprenais chaque constellation. Il n'a jamais réussi à en reconnaître une seule.
Souvent, le matin, il se levait juste aux aurores, et partait s'installer quelque part dans la nature. Et il dessinait. Il peignait les paysages les plus sublimes. Je me souviens d'un hôtel français au bord de la Méditerranée ; des ruines perdues à Pompei ; de la neige couvrant la Place Rouge de Moscou ; des couleurs artificielles des rues de Shanghai, au milieu de la nuit ; de Bollywood, à Mumbai ; le Taj Mahal, juste au levé du soleil ; les lignes de Nazca, vues du ciel, au Pérou ; le Machu Pichu, un peu perdu dans la brume des nuages ; l'Amazonie, peinte depuis le fleuve ; le Quartier Français, à la Nouvelle-Orléans, baigné dans la musique du jazz. Je me souviens de tout. Je n'ai jamais tant aimé une personne de toute mon existence. Il était l'amour de ma vie.
L'amour d'une vie que je n'ai jamais eue.
Alfred, pour Liam. »
Alfred ferme les yeux, et Harry essuie ses larmes.
Le commencement et la fin sont terrifiants. Chacun a sa propre façon de les affronter.
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