Q U A T R E - V I N G T - D I X
Bon... Il n'y a plus grand chose à écrire. Il ne reste plus que l'épilogue après ce chapitre... Z'êtes prêt.e.s ?
Dans la ville d'Annandale, les choses pourraient ne pas avoir beaucoup changé : les rues sont les mêmes qu'autrefois, elles vieillissent sans se renouveler tandis que le goudron est troué et que les pierres se couvrent de mousse. Pourtant, rien n'est vraiment pareil. Dans le quartier bourgeois, la maison des Styles a été vendue. Un couple de jeunes parents s'y est installé et deux enfants jouent souvent sur le trottoir où un jour un garçon s'est effondré sous la pluie. Le garage automobile, plus loin dans le centre, a laissé place à une école de danse. A l'arrière cependant, rouillée et engloutie par la végétation, cachée entre le passé et le présent, une voiture demeure là, quelques gémissements de plaisir rampant encore contre le cuir usé de ses sièges. Annandale est la même qu'autrefois pour la plupart de ceux qui y sont nés, mais son sol est foulé par de toutes nouvelles personnes, la vie a évolué, et certains n'y reconnaissent plus une seule âme. C'est comme... retourner dans une vieille maison, celle où on a grandi, et constater avec effarement la poussière et le vide d'un côté, et la reconstruction et la vie de l'autre. Tout change si cruellement vite pour ceux qui n'arrivent pas à se détacher du passé.
Dans le centre-ville, Louis s'affaire en souriant derrière le bar lustré et sert les quatre bières qui lui ont été commandées. Le liquide doré couvre ses doigts lorsqu'il laisse le verre trop longtemps sous le verseur. Il sert des dents, mais il sourit. Il est heureux. Oui, heureux, ici, en travaillant avec Lydie. En se tournant pour essuyer ses mains, il se regarde dans l'immense mur fait de miroir. Ce bar lui rappelle de nombreux souvenirs qu'il se complaît à croire lointains et oubliés alors qu'ils l'assomment chaque jour sans relâche. Il en tomberait à genoux tant il a besoin de contenir ses forces pour survivre ici.
- Hey, Louis !
Il relève la tête en forçant un sourire et se retourne pour faire face à Joe, un gars qui travaille sur un chantier un peu plus loin. La ville s'est enfin décidé à réaménager le parc du centre-ville, juste en face, et d'agrandir les parkings. Joe vient au bar tous les jours à l'heure du déjeuner, suivi de son équipe de travailleurs. Ils sont un peu bruyants et trempés de sueur à s'acharner sous le soleil toute la journée mais ils sont sympas, et bruyants, empêchant Louis de se cloîtrer dans le silence abyssal de ses pensées. Ils apportent une énergie solaire dans ce grand bar, une atmosphère masculine et drôle qui rappelle inconsciemment à Louis le temps qu'il a vécu avec trois hommes, dans une maison un peu plus bas dans la ville. En vérité, Louis déteste tout ce qui lui rappelle cette époque, mais il hait davantage encore tout ce qui ne la lui rappelle pas. Les grandes mains de Joe claquent sur le bar devant l'air pensif de Louis, qui pose les yeux sur l'homme aussi grand qu'une armoire après avoir sursauté.
- Alors comme ça, tu vas être papa ? lâche Joe avec un sourire radieux. Félicitations, mec !
Il lui fait un clin d'oeil en repartant à sa table, emportant les bières avec lui. Louis lui sourit poliment, puis regarde les bouteilles vides devant lui. Son esprit sombre de nouveau. Il va être le père d'un enfant. Il ne le veut pas, il ne veut pas être père. C'est son pire cauchemar... Compte tenu de celui qu'il a eu, il sait qu'il va ruiner l'existence de son propre enfant. Lydie n'a jamais souhaité avorter et Louis a pensé partir de la ville. Mais laisser un enfant grandir sans un parent, alors qu'il sait qu'il l'aimera jusqu'à son dernier souffle, Louis n'a pas pu s'y résoudre. Il vit alors avec Lydie dans un appartement au-dessus du bar et il sourit. Lydie est merveilleuse, elle fera une super maman. Mais elle ne sera pas l'amour de sa vie. Il aime beaucoup les longues boucles de ses cheveux, mais il préférerait qu'elle soit brune. Et elle a de sublimes yeux verts, mais... ils sont trop grands, trop brillants. Mais Louis aime Lydie. Il aime leur enfant. Il aime sa vie, ici. Oui. Il le doit.
Ca ne l'empêche pas d'étouffer, d'avaler tous les cris et les pleurs qui grondent dans son coeur. Il sait qu'il a besoin d'air, qu'il a besoin de changement, qu'il a besoin de tellement plus. Qu'il a besoin d'arrêter de se convaincre d'être heureux. Qu'il a besoin d'être heureux, au sens le plus littéral du terme. Le bonheur à l'état pur, comme il l'a déjà connu, autrefois, avec... Ses poings se serrent quand il refuse de penser à lui. Pour briser ses idées, la porte s'ouvre sur un homme très grand que deux filles se mettent à dévorer des yeux. Louis le regarde à peine, inspirant profondément, et se concentre sur un cocktail. En entendant les gloussements des jeunes filles, Louis ose penser qu'il ne supporte plus les femmes. C'est mentir, elles sont bien plus fortes que n'importe quel homme, bien plus humaines. Il est simplement jaloux. Aussi, il aimerait attirer l'attention de n'importe quel homme, il aimerait être à cette table là-bas, celle où le nouveau venu s'attarde. Posant le cocktail sur le bar, il l'observe alors. Evidemment il est de dos, déjà en train d'aborder les jolies filles. La bouche de Louis se tord en une grimace avant qu'il se morde la lèvre, l'air rêveur. Les hommes lui manquent. Il n'a plus que ses clients à reluquer. L'homme est grand, incroyablement musclé. Son tee-shirt embrasse fermement chaque muscle, tirant un sourire de Louis. Les yeux bleus du châtain détaillent cette musculature sans gêne, puis ses grandes mains, brillantes de quelques bagues argentées, et ses bras, tatoués à l'encre noire...
Louis s'arrête de respirer. Une rose. L'homme à les cheveux courts, bruns. Des boucles rebelles, qui cachent à peine la peau de son cou entièrement incrustée d'encre.
Le bel arrivant se retourne ; son regard est sombre, brillant d'ombre et de douleur qui valsent là depuis des années, et il a un sourire en coin qui finit d'achever Louis.
- Harry.
Des millénaires semblent avoir recouvert ce prénom de poussière, pourtant, il ne faut qu'une seconde pour qu'elle s'envole. Louis détourne rapidement les yeux, son esprit en ébullition, les mains tremblantes. Le souffle court, il rejoint l'extérieur du bar, la terrasse, et marche d'un pas mal assuré jusqu'à sa voiture à l'arrière du bâtiment. Le sang pulsant dans ses veines. Il passe ses mains dans ses cheveux, tout son être semble sur le point d'imploser.
- Non... Non, non, non, PUTAIN !
Bouleversé, il frappe son poing dans sa portière, serrant des dents et retenant un cri sous la douleur. Non, non, il n'a plus rien à retenir, alors il crie presque en insultant un dieu auquel il ne croit même pas.
- Louis ?
Il se retourne en sursaut, constatant avec horreur qu'il est seul avec Harry dans un putain de cul de sac. Et il ne veut pas être seul avec Harry. Non. Oh non. S'il monte dans sa voiture, il peut reculer et peut-être l'écraser sous ses roues ? Personne ne le saura jamais. Il fuira vers l'aéroport, se cachera à Rio, les services secrets eux-même ne pourraient plus le retrouver.
- Louis, j'aimerais te parl...
Le poing du châtain atterrit brutalement sur la mâchoire du brun, l'empêchant de continuer.
- Louis, murmure-t-il, la voix grave, relevant doucement la tête.
Louis n'a rien d'autre pour lui que de la rage. Alors il lui en redonne un autre, et cette fois sa lèvre se met à saigner. Des larmes amères commencent à rouler sur les joues du châtain.
- Ferme-la ! Ne dis plus rien, putain ! FERME-LA ! hurle-t-il en l'assaillant de coups sur le torse et les côtes. Je ne veux pas de toi, je ne veux pas que tu sois ici ! Dégage ! T'as pas le droit d'être là !
Louis le pousse contre le mur en béton et pleure de rage en perdant ses dernières forces.
- Louis, souffle Harry, désespéré.
- Je te hais, crie le châtain. Je t'ai tout donné, tout donné ! De mon coeur à mon âme, tu m'as tout arraché. Et tu m'as abandonné ! Tu n'es jamais revenu ! Je te hais !
Louis brûle de furie et de désespoir, s'acharne sur le bouclé comme sur un sac de frappe. Et l'autre ne dit plus rien, ne fait plus rien. Il accepte tout, comme s'il le méritait. Il accepte la violence, comme une fleur perdue au milieu d'un champ de ronces. Louis voudrait qu'il crie lui aussi, qu'il le frappe à son tour, que l'un des deux meurt et soit libéré de cette vie de regrets pour que l'autre puisse enfin tourner la page. Harry accepterait de mourir ici et maintenant, Louis le comprend lorsque le bouclé ferme les yeux, le crâne contre le béton. Et rien ne lui semble plus inacceptable que ça. Dans un sanglot, Louis s'empare de sa bouche. Le baiser est furieux, fait de dents qui s'entrechoquent et de langues qui se trouvent à peine. C'est rapide, acharné, brisé. Louis recule alors, les yeux rouges et les lèvres brûlantes.
- Je veux toutes les excuses auxquelles tu as réfléchi ces six dernières années, souffle-t-il alors que les yeux d'Harry sont brillants de larmes. Je veux chaque mot, chaque pensée. Je veux que tu les dises, et les redises, jusqu'à ce que j'y croie.
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