D I X - H U I T
- D'où viennent-elles, Louis ? demande Harry d'une voix légère, dissimulant le poids extraordinaire de son inquiétude, en effleurant les tâches claires de peau cicatrisée qui revêtent ses côtes maigres.
Louis est allongé sur le côté, son visage niché derrière son bras, Harry face à lui dans la même position. Les caresses délicates du bouclé apaisent l'orage qui gronde en son âme depuis des années.
- Mon père... souffle Louis en se rapprochant imperceptiblement d'Harry.
Sans prononcer mot, le bouclé ne le brusque pas, il attend patiemment que Louis ose et trouve la force de se confier à lui. Avouer son passé, ses souvenirs les plus noirs, ce n'est pas en claquant des doigts en invoquant le bonheur que ça peut arriver. Harry n'est pas stupide, il comprend que Louis n'a jamais révélé à qui que ce soit tout ce qui lui était arrivé, et qu'en dire à peine quelques mots allait réveiller absolument tout le reste.
- Mon père était violent, et monstrueux. Une de ses créatures qui prennent forme humaine pour mieux jouer avec les Hommes... Il était dangereux, et incapable d'amour. Tous les soirs, ma mère n'étant pas là parce qu'elle travaillait toutes les nuit à l'hôpital, il buvait et il s'enrageait. Depuis toujours, je crois, il n'a jamais cessé de me... faire du mal. Parfois, il me faisait boire tout autant que lui, jusqu'à ce que je ne sois plus qu'une poupée de chiffon étalée sur le sol. Parfois, il fumait... et ses cigarettes ne finissaient pas dans un cendrier. Il... les écrasait sur ma peau. Mes épaules... et mes côtes... Une fois sous mon pied... Il m'a marqué, comme un quelconque bétail.
Sa voix se perd brutalement, brisée, mais Harry l'a entendue, il l'a même attrapée. Sa main se glisse avec une tendresse déterminée sur la hanche de Louis pour l'attirer plus près de lui, le protéger du flux sombre de ses pensées. Le blond pose alors les yeux sur les lèvres roses qui sont à quelques centimètres de son visage, pensant une seconde qu'elles sont vraiment très belles.
- Ce sont les cauchemars que tu fais... comprend Harry, bouleversé, un noeud naissant dans le creux de sa gorge.
Et Louis s'effondrerait presque, comme une vitre de sucre ayant eu son heure dans un vieux film d'action. Les larmes montent à ses yeux alors qu'il remue négativement la tête, ses doigts sur la mâchoire d'Harry.
- Quand il me faisait boire, jusqu'à ce que je sois sonné sur le sol... se brise-t-il, il me déshabillait. Et il me touchait... il me forçait à le...
- Shh, hey, c'est fini, le rassure Harry en le serrant tout contre lui, contre son coeur. C'est fini, Louis, c'est fini, ça n'arrivera plus jamais, tu m'entends ? Je suis là... C'est fini...
Les pleurs du blond s'étouffent contre son torse, et Harry a envie de pleurer lui aussi. Il berce Louis contre lui, les images d'un petit garçon abusé défilant sous ses paupières.
- Ma mère m'a dit un jour, souffle Harry en caressant les cheveux de Louis, qu'il y a trois mondes autour de nous... Celui de nos rêves, de nos ambitions, de nos réussites ou bien de nos déceptions, qui correspond au futur. Celui de nos combats, de notre pouvoir, qui correspond au présent. Et celui qui nous a élevé à ce que nous sommes aujourd'hui, ou qui nous a brisé au sol, le passé. Dans tous les cas, le passé est un monde dont tu es revenu, c'est une irréalité qui n'importe peu, puisque tes décisions, c'est dans le monde du présent que tu les prends... Louis, tu es là, maintenant, avec moi, dans mes bras... C'est maintenant que tu décides si tu veux pleurer, ou si tu veux me regarder, en souriant... Parce que je veux voir ton sourire... Tu me le montres ? S'il te plaît...
Louis se recule un peu, lève les yeux pour rencontrer ceux d'Harry ; alors que les siens brûlent de larmes et de douleur, ceux du bouclé brillent d'admiration et... de tendresse. La tendresse, se rappelle-t-il, est juste avant l'affection, celle qui précède le bel amour. Pourraient-ils s'aimer, tous les deux ? Sans se briser ? Sans se délaisser un jour ? C'est une belle idée. Mais ce n'est rien qu'une idée. Louis effleure du bout des doigts la joue d'Harry, traçant la forme ciselée de sa mâchoire puis tombant à ses lèvres de rose, et le bouclé vient poser de légers baisers sur la main faible et tremblante du blond. Quelque chose disparaît alors au coeur de Louis, comme une enclume qui s'efface à travers le sol, miraculeusement, et il se met à sourire, puis à rire, alors qu'Harry ne cesse pas de l'embrasser, jusque dans le creux de son cou. Ses baisers candides taquinent Louis qui ne peut s'arrêter de rire, plus léger qu'il ne l'a jamais été.
Louis s'échappe de son étreinte chatouilleuse en riant et l'assomme avec un oreiller blanc. Il veut se lever, fuir la possible vengeance d'Harry mais ce dernier l'attrape juste avant qu'il ne parte. Ils tombent l'un sur l'autre sur le sol, renversant les bouteilles vides dans une série de tintements résonnant autour d'eux. Cette fois, ce sont les mains plus solides de Louis qui se posent sur les hanches d'Harry, allongé, penché sur lui. Son visage se lève du sol pour approcher assurément celui du bouclé, et il place ses lèvres juste là. Sur sa joue.
Dans cet appartement à l'odeur aussi sombre que les lumières, aux bouteilles aussi vides que le coeur du propriétaire, quelque chose a changé. Quelque chose est parti. Il y a une légère odeur sucrée qui danse, et une lumière plus brillante, un miroir enfin oublié, et la seule drogue qu'on puisse trouver ne se respire pas, elle s'admire, dans des yeux verts étincelants. Et Louis ne pense pas pouvoir s'en défaire aussi facilement qu'il l'avait espéré. Il se persuade qu'elle est comme aucune autre, et qu'elle sera son salut.
Ne pas lui confier tes démons : Échoué. ❌
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