C I N Q

Une éternité et des poussières que Louis ne s'est pas fait baisé, d'habitude c'est lui qui guide fermement les choses, et son cul le lui rappelle méchamment, à chaque instant, à chaque mouvement. C'est une douleur muette désagréablement savoureuse, dans un certain sens. Elle lui rappelle que sa chair est humaine, que son corps est vivant et bien que ce soit vague et qu'il ne le comprenne pas, Louis essaie de garder en lui les dernières bribes de sensations que le bouclé lui a offert. Il grimace dans un retroussement de nez en s'asseyant à son bureau tordu, où sont étalés des dizaines de croquis fins et de superbes dessins qu'il pense à proposer de tatouer dans son salon. Ses doigts tremblant déjà, il porte sa tasse de café brûlant à ses lèvres claires, subtilement moins blêmes qu'à l'accoutumée, et il avale la boisson noire d'une seule traite. Il en a besoin ; il a besoin que son corps s'éveille davantage que son esprit au point de le laisser traîner derrière lui, en lui. C'est mieux si son âme est en retard, il n'a pas à trop réfléchir alors. Mais cette nuit, il a rêvé que son foutu de garagiste le prenait une nouvelle fois, avec tout autant d'ardeur embrasée, à l'arrière d'une voiture abandonnée.

- Les rêves à la con, marmonne-t-il comme une malédiction avant de sortir de son appartement.

Arrivé en bas dans son salon de tatouage, en retrouvant peu à peu une démarche convenable, il s'approche de la caisse et attrape un carnet sombre pour regarder ses rendez-vous. Il a de nombreux clients, des gamines de seize ans jusqu'à des motards quinquagénaires, et la moitié d'entre eux sont une clientèle régulière. Il constate cependant que ses rendez-vous ne débutent que cet après-midi. Alors autant aller faire un tour dans le monde et prendre l'air frais de la saison dans la gueule, parce qu'il va vraiment devenir dingue et paumé s'il ne se sort pas rapidement les images de cette nuit de son esprit.

Au volant de sa voiture d'occasion, qui ronronne comme un chat centenaire incapable de marcher sans geindre, il démarre en vitesse et conduit presque inconsciemment jusqu'au bar de Lydie, en espérant secrètement qu'elle lui serve autant de Tequila que l'autre soir. Mais à peine a-t-il franchi niaisement les portes que les foudres crépitantes du regard de la rousse s'abattent sur lui avec fureur.

- T'as mon argent, connard ? lâche-t-elle avec colère en frappant ses mains sur le comptoir.

- J'ai que ma gueule et un coup de rein de génie. Qu'est-ce que tu choisis ? sourit-il effrontément en s'asseyant face à elle.

La belle penche joliment sa tête sur le côté, laissant sa crinière de feu dégringoler sur son épaule.

- J'attends avec délectation le jour où un plus gros con que toi te donnera un coup de rein de génie, mais dans ta gueule. Ce jour-là, je serai satisfaite.

Après avoir attrapé un bonbon à la fraise, elle sort une bouteille de Vodka en riant et Louis grimace de dégoût. Il a horreur de ça. Cependant, ça brûle la gorge, et il en a besoin. Il l'attrape résolument entre ses mains anémiées, et tout en retirant le bouchon, il tourne vaguement la tête pour balayer la salle du regard. Ses yeux s'arrêtent sur un homme bien bâti, de dos, avec les cheveux attachés en un chignon, assis dans un coin. Une alarme assourdissante retentit dans le crâne du blond alors qu'il détourne prestement les yeux, effrayé par la chaleur de brasier qui s'installe dans son corps. Affligé par ses propres réactions, il ne prend pas la peine de remplir un verre et boit voracement à la bouteille trois grosses gorgées qui viennent le brûler comme de l'acide de batterie le ferait. Le foutu bouclé est là. Pourquoi, putain ? 

- Je vais démolir la face de quelqu'un, gronde-t-il en étant pris d'un tournis capricieux. Je vais juste...

Lâchant un râle bruyant, il se tourne une nouvelle fois vers le brun, mortifié face à son incapacité évidente de lui résister, puis il réalise avec horreur, dans un frisson glaçant, que ce n'est absolument pas son garagiste. Le voilà dépité - d'avoir espéré que ce soit lui, ou de comprendre qu'il n'avait jamais été là ? Il avale trois nouvelles gorgées acescentes pour noyer son désespoir et sa frustration jusqu'au cou. Ses doigts tremblotants posent faiblement plusieurs billets sur le comptoir avant que Louis ne s'échappe dehors, laissant l'air froid s'abattre sur son visage comme une gifle fugace. Un soupir de soulagement franchit péniblement ses lèvres pâles. Grisé par la chaleur superficielle de l'alcool qui détache son corps de son esprit, il a l'impression de redevenir le gars détaché du reste du monde.

C'est à cause de cette stupide impression, à côté de la plaque du réel, qu'il essaie tristement de se convaincre qu'il a les couilles d'aller voir le bouclé aux yeux d'émeraude pour lui redemander sa Mercedes explosée et l'emmener fièrement à un autre garage. Et il le fait ; il roule rageusement jusqu'au garage du brun, déterminé, et se gare juste devant. Dans un bruit fracassant, il claque la portière. La voilà sa force de caractère, l'autre Louis qui resurgit, le Louis qu'il faut. Dans un geste de surprise, le tatoué relève la tête, penché sur le moteur d'une voiture. Une trace noire s'étire sur sa pommette, comme une peinture maladroite sur la joue d'un enfant. Sans rien n'y pouvoir, Louis sent chaque partie de son corps s'éteindre et s'aviver en un laps de temps ridicule quand il croise ses yeux précieux et étincelants. Il s'en détourne bêtement pour tomber sur son foutu sourire en coin, grotesquement séduisant. Cet homme idéal l'énerve ; son charme éthéré irrite mauvaisement ses nerfs. Mais Louis n'est pas foutu d'y comprendre quoi que ce soit.

- Vu que ta caisse est déjà là, commence joyeusement le bouclé en souriant, tu viens pour que je m'occupe de toi et de ton petit problème de frustration ?

Son ton est plaisant, presque moqueur, tandis qu'il balance son torchon et un gant de cuir usé plus loin. Clairement, il le dit sans le penser le moins du monde, et Louis ne sait pas s'il doit se sentir vexé. Parce qu'il l'est. Et dans un vertige brutal, il pense réaliser autre chose : il n'a aucune idée de ce qu'il fout là, debout comme un idiot crevé devant ce connard sexy.

- Eh, tu parles plus ? sourit jovialement ce dernier en s'approchant lentement. Tu savais ouvrir ta gueule hier pourtant.

- Je... Je crois que j'ai trop bu.

Inquiété, le grand bouclé fronce les sourcils et le faux blond tombe mollement à genoux, vomissant toutes ses tripes sur le sol.

Ne pas te montrer faible devant lui : Échoué. ❌

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