Chapitre 4

LE MOIS D'AOÛT S'ACHEVAIT sur un air d'ukulélé, dans une atmosphère mi-anxieuse mi-impatiente. Autour d'une limonade pour certains, repoussant au plus tard le moment de reprendre le chemin du travail qui pourtant arrivait dans moins d'un jour.
Le temps pluvieux ne faisait qu'empirer l'humeur des élèves qui reprenaient les cours le lendemain même, exposant de nouveau les étudiants aux joies de l'apprentissage et du savoir.

Bien que quelques jours de beau temps eurent été accordés à la ville, les nuages de pluie continuaient de s'accumuler dans le ciel gris de Paris, menaçant de céder à tout moment et de replonger la ville sous les averses. Mais mauvais temps ou non, un tradition était une tradition : les pieds tapant sur le béton, Marie avançait, la main collée à son sac en toile, prête à saisir son parapluie à la moindre gouttelette. Marie aimait la pluie. Mais en ce jour elle aurait préféré qu'un grand soleil rayonne dans le ciel plutôt qu'avoir à se soucier de si son vieil imperméable était réellement imperméable ou qu'elle risquait de finir trempée à la moindre bruine. Elle avançait au rythme de sa musique, des écouteurs un peu trop larges pour elles tenant difficilement dans ses oreilles. Jusque là son imperméable tenait le coup.

Il y a tout juste un an, Marie empruntait la même route, en direction du parc municipal, chargée d'un paquet de chips, d'une boîte de tomates cerises et d'une bouteille de boisson gazeuse non-identifiéee.
Elle et ses amies avaient prévu un pique-nique en vue de la rentrée en première. Elles se connaissaient depuis un an déjà et s'étaient dit qu'à partir de ce jour, chaque année, avant la rentrée, elles organiseraient un pique-nique avant de commencer officiellement les cours. Un an plus tard, jour pour jour, les voilà la veille de leur rentrée en terminale, empruntant le même chemin.
Aujourd'hui c'était le premier août, la rentrée était le deux septembre, le pique-nique s'imposait donc.

La différence était que l'année précédente, un grand soleil éclairait le ciel alors qu'à présent, Marie risquait à tout moment de prendre l'eau. Sa grand-mère lui aurait dit "qu'elle n'était pas en sucre". Elle sourit à cette pensée. Ça faisait un moment qu'elle n'avait pas entendu cette expression. Sa grand-mère était sûrement la seule de son entourage à dire ça, le genre d'expression qui fait se sentir encore gamin, du temps où on saute dans les flaques avec ses bottes de pluies en plastique.

Perdue dans ses pensées, Marie faillit se cogner dans un poteau électrique placé au beau milieu du trottoir, comme s'il avait été posé ici dans l'unique but de la faire tomber. Elle se demanda qui avait eu l'idée de placer ce poteau sur son chemin, mais s'interrompit rapidement, de peur de rentrer dans un muret ou quelquonque autre obstacle posé sur sa route.
Elle replaça une mèche de cheveux blond derrière son oreille et reprit sa route. À son grand regret, elle risquait fortement d'être en retard. Maniaque qu'elle était, Marie détestait être la dernière arrivée. Enfin, toute réflexion faite, elle n'allait sûrement pas être plus en retard que Noen, qui arrivait souvent trente minutes après l'heure du rendez-vous. Roulant à toute allure sur son vélo, elle débarquait la plupart du temps les cheveux emmêlés, une égratinure à la chevilles et la veste empêtrée dans les bretelles de son sac. Le visage rouge d'être allée si vite dans les descentes, un grand sourire de gosse sur le visage. Noen était encore une gosse, une tornade sur pattes.

Marie dévia vers la droite, écartant au passage une branche qui lui barrait la route et emprunta un petit chemin caché aux yeux de ceux qui ne connaissent pas son existence. Elle quitta la route de ville et le goudron et arriva dans un petit chemin caillouteux. Il y avait des brindilles éparpillées au sol, et quelques mégots.

Elle n'avait pas pour habitude de passer par là, mais cette route avait quelque chose d'apaisant. Marie pouvait entendre ses chaussures crisser contre le gravier, et les discussions lointaines des passants. Elle continua d'avancer quelques minutes puis elle arriva sur une grande étendue de pelouse. Quelques personnes étaient étendues dans l'herbe. Un homme grassouillet - si on peut l'appeler ainsi - dormait paisiblement, sa tête basculée sur le côté droit, sa casquette retombait sur ses yeux. Un autre homme, dans la trentaine, tentait désespérément de rassembler tous les jouets éparpillés autour de lui tout en essayant de garder un oeil sur deux jumeaux en short qui couraient partout en riant à plein poumons. Plus loin, une femme d'environ cinquante ans sirotait tranquillement une bière ; ses lunettes de soleil tombaient un peu trop basses sur son nez et lui donnaient un air enfantin. Un peu plus loin encore, deux jeunes filles s'amusaient à lancer des cerises en l'air. Aucune d'elles ne semblaient pourtant réussir à les rattrapper, et les deux filles éclatait de rire à chaque tentative.

Marie sourit. Ces personnes semblaient être les acteurs involontaires d'un tableau de fin d'été. Elle hésitait presque à faire un pas de plus, de peur de gâcher ce spectacle paisible. La jeune fille coupa sa musique. La voix de Clairo s'interrompit dans ses oreilles tandis que Marie rangeait ses écouteurs. Elle retira ses fines chaussures et posa le pied dans la pelouse. L'herbe quu frôlait ses pieds était une sensation qu'elle adorait. Marie s'avança dans le parc, tâchant de pas réveiller l'homme qui dormait dans l'herbe. Elle se dirigea presque instinctivement vers la petite mare qui longeait les barrières en métal délimitant le parc. Clem et Ael étaient allongées sur le dos sur la nappe de pique-nique à fleurs, entre les tomates cerises, les chips et les tartines d'avocats. Elles étaient apparement plongées dans une discussion passionnante, mais Marie les interrompit en leur jetant un sachet de chips, qui vint heurter sans ménagement le visage de Clem, tandis que Ael se redressait en envoyant une tomate cerise sur Marie en guise de vengeance. Cette dernière riposta et Clem se mêla à cette batraille improvisée. Les trois jeunes filles ressemblaient plus à une fratrie de jeunes enfants chamailleurs qu'à trois lycéennes venues pour un pique nique de pré-rentrée.

Derrière elles, quelqu'un toussota bruyamment, une main sur la hanche, la bouche pincée, et essayait tant bien que mal de se retenir de rire.

─ Bon les gosses c'est pas bientôt fini ?

Luce se tenait derrière elles, l'air pince sans rire, tapotant le sol de sa chaussure trouée. Elle avait mis sa longue jupe verte, comme si elle n'avait que faire du fait qu'à tout moment, la pluie pouvait se mettre à tomber.
Les trois "gosses" regardèrent Luce d'un air faussement désolé, comme des enfants qu'on venaient de réprimander. Mais aucune ne garda son sérieux très longtemps et les voilà rigolant toutes les quatre, assises en tailleur sur la nappe à fleurs, des tomates cerises éparpillées dans l'herbe.

Quelques minutes plus tard, Noen faisait son apparition, en retard - comme à son habitude - mais méritant, selon elle, de se faire pardonner, car c'était la seule qui avait penser à apporter de la limonade. Marie rétorqua que ce n'était pas une excuse valable, mais n'eut rien à répondre lorsque Noen lui demanda pourquoi. Toutes les cinq réunies sur cette nappe à fleurs, regardant les avions passer, en mangeant leur chips par poignées, c'était la meilleure façon de commencer l'année.

太陽

Les gens se demandent souvent ce qu'ils feraient si ils étaient riches. Vraiment riches. Assez pour s'acheter quelques plateformes pétrolières en Angola, par exemple.

La plupart répondent presque par réflexe qu'ils arrêteraient de travailler, à quoi bon après tout, quand on a déjà tout l'argent du nécessaire.
Les plus généreux répondent souvent qu'ils feraient des dons à des associations écologiques ou pour les enfants handicapés, pour lutter contre la faim dans le monde, ou la protection dans pandas en Asie. D'autres répondent qu'ils iraient immédiatement faire les boutiques, s'acheter le sac de leurs rêves, la guitare tant attendue, ou aller dévaliser les magasins les plus luxueux ; de Hermès à Prada, tous y passeraient. D'autres encore perdraient immédiatement tout leur argent dans les plus grands casinos. À Las Vegas tant qu'on y est.
Ou s'acheter une grande maison en campagne, une villa au Caraïbes, un piano à queue, une île privée, ou réserver un aller simple, direction la Lune, en vue de quand elle sera devenue un lieu touristique.

Quand Noen avait posé la question aux autres filles, il y eut un moment de flottement.
"Qu'est ce que vous ferez si vous étiez riches. Je veux dire, vraiment riches", répeta Clem en murmurant. Chacune réfléchissait à ce qu'elles pourraient faire d'une si grande somme. Posséder autant d'argent semblait si improbable à des jeunes filles de 17 finissant paisiblement leur lycée que toutes les réponses qu'elles auraient pu avoir auparavant s'étaient comme envolées.

Ael fut - comme souvent - la première à briser le silence.

─ Personnellement... J'adorerai placer cet argent dans une assos' humanitaire ou quelque chose du genre. Vois savez, protéger les espèces en voie de disparition, lutter contre la faim dans le monde... Mais vous savez comment ça se finirai et ce que j'en ferais en réalité... j'achèterais probablem-

Clem la coupa d'un signe de la main en souriant.

─ Des bouteilles de bières ou de tout autre alcool, des paquets de cigarettes, une guitare électrique, des chaussures, des chaussures, et encore des chaussures.

─ Et une salle privée pour faire la fête tous les soirs, jusqu'au bout de la nuit, et danser sur les tables à quatre heures du matin, ajouta Luce en croquant dans dans une tomate.

Ael leva les yeux au ciel et eu un sourire rêveur.

─ Ah le rêve, une salle privée pour faire la fête autant que je veux. Imaginez un peu...

Ael passaient ses nuits en soirée. Très souvent invitée à celles des élèves les plus populaires du lycée, elle était réputée pour mettre l'ambiance en soirée, à l'aide d'une bouteille, deux... ou plus. Elle finissait très souvent sans tee-shirt, en train de danser presque hystériquement sur une table. Et quand ce n'était pas le cas, il suffisaient de descendre sur les quais pour la trouver une canette à la main, dansant, oubliant le monde autour, ce sourire de gamine collés au lèvres.
À cet instant elle devait déjà réfléchir à quel mode d'éclairage elle mettrait dans sa salle, quelles boissons y seraient servies et quelles seront les personnes qui auraient droit à un accès vip.

Noen se tourna vers Luce et déclara :

─ Bon, toi pas besoin de te demander ce que tu ferais si tu étais multi-milliardaire : tu t'achètes un meilleur vélo que celui que tu as actuellement et tu te casses faire le tour du monde avec. C'est ça ?

Luce bougonna et reboucha la bouteille de jus de pamplemousse qu'elle avait à la main.

─ Super. Tu me poses une question et c'est toi-même qui y réponds...

Noen haussa un sourcil et afficha un petit sourire en coin.

─ Oui bon d'accord t'as raison. J'achèterai un vélo et je partirais faire le tour du monde, dit Luce avec une moue boudeuse.

─ Quelle surprise ! lâcha Clem, un brin sarcastique.

Luce lui tira la langue et demanda :

─ Plutôt que faire des commentaires, dis-nous un peu ce que toi tu ferais si t'étais riche.

Clem réfléchit un court instant - instant suffisant pour que Ael ait le temps de voler une tomate cerise à Marie, qui ne s'en rendit même pas compte, trop occupée à rêver.

─ Honnêtement... Je sais pas. Sûrement qu'une partie de mon argent ira à green peace, ou wwf.

─ Pourquoi green peace ? Pourquoi une association britannique et pas une française.

─ Because i'm american, bitch, répondit Clem, l'air ridiculement sérieuse.

Luce pouffa et Marie leva les yeux au ciel.

─ Tsss, t'es même pas américaine, fit remarquer Ael - ce qui lui valu une coup de pied.

─ Ce qui est sûr, reprit Clem, c'est que une fois riche, j'arrête les études, ou mon métier si j'en ai un. Je vois pas l'intérêt de perdre du temps à travailler si t'as déjà tout l'argent qu'il te faut .

Marie intervint, la bouche plein de chips, manquant d'en faire tomber à côté.

─ Y a des gens dont le métier est leur passion, tu sais. Les artistes par exemple, les danseurs, les peintres, les dessinateurs, pas sûr que tout l'or du monde suffise à leur faire arrêter leur métier.

─ Évidemment, mais c'est pas le cas de tout le monde. Je pense pas que les caissières et caissiers du petit casino du coin rêvent de vendre des paquets de jambon à des retraités depuis leur tendre enfance !

─ Mais il y a un juste milieu quand même ! dit Marie en faisant tomber une chips de sa bouche. Les filles éclatèrent de rire tandis que Marie rougissait.

Les nuages de pluie s'étaient dissipés, le soleil semblaient retour pour de bon, ça sentait la rentrée jusque dans les parcs, mais le temps étaient bon.

Pas un doute, rien de mieux qu'une veille de rentrée, une nappe à fleurs et une bataille de tomates cerises pour finir en beauté un été pluvieux.

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