Chapitre 3
LE PARC MUNICIPAL était un des seuls espaces verts "potables" de la ville.
"Potable" c'est le terme qu'employait Ael pour parler des parcs qui ne servaient pas uniquement à faire crotter son chien. Un des seuls endroits de la ville où on ne risque pas de marcher dans la merde à chaque pas, avait dit Ael.
Et comme parmi les deux seuls endroits "potables" de la ville, le parc municipal était le plus grand, c'est souvent là-bas que les piques niques ou sorties en tous genres se déroulaient.
Comme ce jour-là, d'ailleurs. Il faisait beau. La pluie avait enfin cessé de tomber. Les flaques d'eau s'étaient évaporées, et les escargots étaient rentrés chez eux.
Pour la première fois depuis des semaines, le mois d'août ressemblaient à un mois d'août. À vrai dire, il était temps. La plupart des habitants en avaient assez des imperméables et des bottes de pluie. Enfin les chemises et les chapeaux sortaient du placard. Et les adolescents ne perdaient pas de temps, les revoilà sur les quais à longueur de journées, ou envahissant les places publiques, lassés de regarder la pluie tomber par la fenêtre.
Et Ael avait enfin pu sortir sans risquer d'innonder ses DocMartens neuves.
C'est ainsi que Noen et Ael prévurent de se retrouver au parc municipal en cette après-midi ensoleillée.
Noen était partie en Italie durant presque la totalité des deux mois de vacances, et venait tout juste de rentrer chez elle. Dès qu'elle avait apprit son retour, Ael s'était précipité sur son téléphone, avait composé le numéro de Noen et lui avait proposé de se voir. Bien sûr cette dernière avait accepté.
C'est ainsi que Noen se retrouvait, en ce dimanche du mois d'août, sur son vieux vélo bleu rouillé, dévalant la rue pavée, son sac se balançant derrière elle et ses cheveux flottant au vent. Sa veste en toile claquait sur les épaules tandis qu'elle pédalait en chantonnant.
Dans ses oreilles, il y avait l'éternel morceau dont elle ne se lassait pas, "Back in the U.R.S.S" par les Beatles. Une chanson qu'elle avait écouté probablement une cinquantaine de fois, jusqu'à en user ses CDs, mais pas sa passion pour le groupe. Elle avait découvert les Beatles à six ans, et avait toujours nourri une obsession pour leur musique, il était rare qu'on la voit écouter quoi que ce soit d'autre.
Noen atteignit une petite place, avec au centre, une petite fontaine qui crachait désespérément ses dernières gouttes d'eau. Assis sur le rebord de la fontaine, deux gamins riaient.
Noen sourit. Elle se souvint d'elle, huit années auparavant, alors qu'elle n'avait que neuf ans. Elle était assise ici, sur la fontaine, juste comme ces deux gamins. À cette époque-là, la fontaine coulait à flots, contrairement à les jours-ci, où le bassin de la fontaine n'était qu'à moitié rempli.
Elle s'était assise sur le rebord du bassin, regardant son père qui la prenait en photo, tout sourire, sous les yeux attendris de sa mère. Noen, le sourire édenté, posait dans sa robe jaune soleil toute neuve, attendant le clic de l'appareil photo.
Soudain au moment où le flash se déclenchait, un jeune garçon passa en courant devant elle, et la bouscula. Noen n'eut pas le temps de prononcer un mot qu'elle tomba à la renverse, directement dans le bassin de la fontaine.
Noen était sortie en larmes, les cheveux dégoulinant, triste d'avoir trempée sa robe neuve et son chapeau de paille.
Ses parents l'avait alors amenée boire un sirop dans un bar en la consolant, et en lui disant que ce n'était pas grave, que des chapeaux de paille, il y en avait plein.
La photo prise par son père, censée montrer une petite fille souriante, représentait plutôt une petite fille trempée qui pleurait dans sa robe jaune.
Finalement, la robe jaune fut séchée et la photo encadrée.
Noen sourit à nouveau en repensant à cette après midi. Elle était petite mais le souvenir était encore vif dans sa mémoire. Comme quoi, impossible de se rappeler des formules de mathématiques, mais se souvenir d'une après midi huit ans auparavant, aucun problème. Pas étonnant que ses notes avait finies en chute libre à la fin de sa première, c'est sa mémoire qui lui jouait des tours.
Noen rehaussa sa veste sur ses épaules et descendit de son vélo, en prenant garde à ne pas se prendre les pieds dans les pédales.
Elle contourna la fontaine, passa devant l'épicerie et marcha vers le parc municipal.
"Been away so long I early knew the place
Gee, it's good to be back home"
Le morceau résonnait toujours dans les oreilles de Noen, qui murmurait les paroles en silence, marchant et poussant son vélo en rythme avec la musique.
Elle passa devant la terrasse d'un petit café. En ce début d'après midi, il n'y avait que quelques personnes qui discutaient entre elles autour d'un soda ou d'une bière plus si fraîche.
Noen sourit et retira ses écouteurs. Sur le côté de la terrasse, juste à côté d'une gros pot de fleurs, elle avait repéré Laurent et François.
Des vieux amis de son père.
Ils s'étaient connus alors qu'ils avaient 15 ans. À ce moment, Yann, le père de Noen n'avait alors que 12 ans. Ils étaient tous les trois voisins, et habitaient dans le même lotissement. Bien que Yann eut été le plus jeune, les trois été très soudés, faisant les 400 coups dans le dos de leur parents, échangeant des billes dans la cour de récré et dépensant leur argent dans les chewing gum à la menthe et les salles d'arcade.
François repéra Noen depuis la terrasse er lui fit signe d'approcher d'un mouvement de la main.
La jeune fille appuya son vélo sur la rambarde de la terrasse, y mit son antivol et rejoint les deux hommes.
― Alors, comment qu'elle va notre Noen internationale ? dit Laurent quand Noen arrive à leur niveau.
― Elle va bien elle va bien, répondit la Noen en question.
― Bientôt la rentrée ! Tu rentres en qu'elle classe déjà... seconde ? Non... troisième ?
Noen rigola.
― Eh non. Terminale ! Je suis vieille maintenant !
― Oh non dit pas ça, je me suis trouvé mon premier cheveux blanc ce matin, dit François, d'un air dépité.
Laurent, les cheveux déjà poivre et sel, éclata de rire et donna une tape dans le dos de François.
― T'sais, on s'y fait ! Tant que ta femme t'aime toujours !
François marmonna quelque chose à propos du toujours célibataire Laurent puis se tourna vers Noen.
― Pas trop stressée ? C'est important quand même la terminale. Le bac, tout ça...
― Ho tu sais, ça ira. Je compte travailler comme je l'ai fait l'année passée et tout ira bien. Enfin je pense. De toute façon, il le faut bien, ou maman me privera de sortie jusqu'à mes 21 ans. Au moins.
― Surtout, ne prends pas exemple sur ton père, Noen. Il a eu son bac de justesse, et après avoir redoublé. Deux fois ! chuchota Laurent.
Noen sourit, espiègle.
― Vraiment ? Lui qui se dit être un exemple scolaire ! Et qui se permet de me critiquer quand je ramène un 16/20 ! Comme quoi, les anges ne l'ont pas toujours été.
Noen rigola.
― Et oui, maintenant tu le sais, il était nul à l'école. De la primaire au lycée. Trop occupé à regarder ta mère pendant les cours !
─ Surtout durant les cours de sports ! ajouta Laurent. Alala les filles avec leur petits shorts en cours de gym...
François éclata de rire et avalant sa bière de travers. Son rire communicatif envahit la terrasse, et Laurent et Noen ne tardèrent pas à rire à leur tour.
― Et d'ailleurs comment il va ton papa ? Le boulot ? demanda François après avoir finit sa bière.
Laurent fit signe à une serveuse de venir prendre la commande de Noen, qui demanda un jus d'orange.
La serveuse, jolie jeune femme dans la trentaine, blonde, un air nonchalant plaqué sur le visage et ne se privant pas de mettre ses seins en avant devant Laurent, acquiessa et reparti en tombant le torse et roulant les fesses.
― Il va très bien, répondit Noen en jetant un air étonné vers la serveuse. Il a enfin eu quelques semaines de vacances, donc il a pu profiter un peu, faire une pause et se remettre à la cuisine.
― C'est bien ça ! Le travail c'est important maos les vacances, c'est mieux ! dit Laurent en finissant sa bière à son tour.
François ajouta :
― Dit lui de venir nous voir de temps en temps. Maintenant que vous êtes partis à l'autre bout de la ville, on n'vous voit p'us !
― C'est vrai ça. renchérit Laurent. D'ailleurs qu'est ce que tu fais ici ?
Noen regarda sa montre et répondit :
― Une amie m'a invité à la retrouver au parc municipal pour l'après midi, et comme j'étais en avance, je suis passée par là. Et je vous ai croisé ! C'est bien de revenir un peu dans ce quartier.
La serveuse revint avec le jus d'orange. Elle versa le jus dans un verre et se penchant au maximum vers Laurent, éxagerant ses mouvements et tentant de mettre sa poitrine en avant. Ce qui n'eut pour effet que de faire éclater de rire François et Noen qui avait très bien remarqué les mimiques ridicules de la serveuse. Laurent rit aussi, mi surpris mi amusé. La serveuse lui adressa un clin d'oeil coquin et glissa un papier dans le verre à bière vide de Laurent.
Une fois la serveuse partie, François s'empressa de saisir le papier et lut ce qu'il contenait. Un numéro de téléphone était écrit en pattes de mouche sur le bout de papier.
─ Hohoho ! Alors, tu comptes l'appeler ?
Laurent rougit.
─ Mais...bien sûr que non. Ce n'est pas parce que je suis encore célibataire que je dois sauter sur toutes les filles qui passent !
Noen jeta un coup d'oeil furtif à sa montre, et en déduit qu'elle ferait mieux de partir, elle était déjà bien en retard à son rendez vous, et elle entendait déjà Ael lui servir son sermon habituel. Elle finit son jus d'orange en vitesse, attrappa sa veste et son sac, promit à Laurent et François de demander à son père de venir les voir, puis elle remonta sur la selle de son vélo, en direction du parc municipal.
Le soleil tapait et la brise soufflait.
Ael de son côté, franchissait tout juste les grilles métalliques du parc. Elle se dirigea automatiquement vers la carte de pelouse à la gauche de l'entrée. C'est toujours là que les filles se retrouvaient. Ici, elles étaient à l'abris des ballons ou des enfants qui courent.
Elle vint déposer son sac au pied d'un arbre et s'adossa au tronc. Elle tenta de trouver Noen parmi les passants, mais ne la vit pas. Elle était sûrement encore en retard, comme à son habitude.
Ael attrappa ses écouteurs et les glissa dans ses oreilles. La guitare électrique résonna dans sa tête sur l'air de "Welcome to the jungle" . Elle ferma les yeux, battant discrètement la mesure de son pied gauche et profitant des notes qui retentissaient dans ses oreilles.
Ael réouvrit les yeux et regarda les badauds qui passaient par là. Les enfants qui couraient après un ballon. Les mamans et les papas qui poussaient une poussettes. Les vieux qui jouaient la pétanque. Un peu plus loin, une monsieur qui jouait de la guitare en chantant.
La jeune fille balaya le paysage du regard, à la recherche d'une Noen probablement accompagnée de son vieux vélo rouillé. Après une brève analyse des alentours, Ale en déduit qu'il n'y avait aucun signe de Noen à l'horizon. Toujours en retard celle là. Cela faisait 20 minutes qu'elle était censée être arrivée, et comme à son habitude, elle n'était toujours pas là.
Ael saisit son sac et y chercha son portable. Elle le trouva, enseveli sous un vieux paquet de cigarettes, son briquet à l'effigie des gun n' roses, et une grosse paire de lunettes de soleil. Elle composa le numéro de son amie puis déposa le téléphone contre son oreille.
Une sonnerie. Deux. Trois. Puis la messagerie.
"Bonjour ! Vous êtes bien sûr la messagerie de Noen, je ne suis pas disponible pour le moment mais laissez moi un message, ke vous rappelerais !"
Classique, pensa Ael. Une boîte vocale comme les autres. Classique mensongère aussi. Noen ne rappelait que rarement.
Ael soupira, attendit le "bip sonnore" et lâcha :
"Ouais, salut Noen. Bon ça fait juste 23 minutes qu'on avait rendez-vous, je sais pas c'que tu fiches mais moi j'ai faim, et c'est toi qui a la bouffe donc ramène toi par pitié Noen. À toute."
Ael soupira à nouveau puis posa son téléphone, en prenant bien soin de le laisser sur vibreur, de sorte à ne pas rater l'éventuel appel de Noen.
La jeune fille regarda autour d'elle, cherchant désespérément les vieilles chaussures de son amie parmi la foule de gens qui défilaient devant ses yeux.
─ ALORS, ON ME CHERCHE ?
Ael sursauta en sentant deux mains se poser brusquement sur ses épaules. Une jeune fille avait surgit derrière elle. Vieilles converses trouées, chaussettes remontées, pantalon avec ourlets, veste démodée et cheveux décoiffés, Noen était enfin arrivée.
─ Tu m'as fait peur vieille folle ! s'écria Ael en recouvrant ses esprits. Et pourquoi t'es à ce point là en retard ! Pis tu pouvais pas venir normalement ?
─ Merci pour cet accueil chaleureux Moss Ronchon. Pour répondre à tes questions : j'ai croisé des amis et c'est tellement plus drôle de t'embêter plutôt que de faire les choses normalement.
─ J'suis pas ronchon déjà. Et je te signale que ton amie c'est moi donc tu n'as aucune excuse. Na.
Noen vint s'assoir à côté de Ael, retira ses chaussures et chaussettes, et remua ses orteils dans l'herbe.
─ Técoutes quoi, demanda Noen en saisissant un des écouteur d'Ael.
La guitare de "Welcome to the jungle" retentit dans les oreilles de la jeune filles qui balança ses pieds au rythme de la musique.
─ Mouais. J'aime bien. Ça vaut quand même pas les Beatles mais-
Ael la coupa dans sa phrase d'un geste de la main.
─ Ne change pas de sujet. T'es encore à la bourre et moi j'ai faim. Donne les chips.
─ T'es pas drôle.
Noen rendit son écouteur à Ael, qui coupa la musique. Puis elle sortit les chips de son sac.
Ael s'en empara d'un air farouche, ce qui fit rire Noen.
─ Bon alors. Quoi de neuf cet été ? demanda cette dernière tandis que Ael ouvrait le paquet de chips.
─ Pas grand chose. Ah si. J'ai rencontré un type. Sympa.
─ Attends quoi ?? Et tu me dis pas "grand chose" ?? Raconte !
Ael leva les yeux au ciel et attrappa une chips qu'elle mit dans sa bouche.
─ Non mais c'est fini. On s'est rencontré à la fête du camping ou j'étais cet été. On s'est vu, on a parlé, on a dansé, on a bu, encore, on à finit complètement bourrés et il m'a ammené dans sa tente. Puis je t'épargnes les détails, petite pucelle que tu es.
Noen rougit et envoya son pied nu dans ma jambe de son amie.
─ Arrête ! J'ai juste pas encore trouvé le bon, déclara Noen en croisant les bras.
─ On dit toutes ça au début. Puis on en trouve un qui est pas le bon mais qui es beau et qui sait y faire puis c'est parti.
─ Pff. On est pas tous comme toi hein !
─ Tu verras le jour où tu iras en soirée avec des beaux mecs et des belles filles partout autour de toi.
─ Je suis déjà aller en soirée !!
─ Noen. Une vraie soirée. Avec plus de sept personnes, de l'alcool, et où on écoute autre choses que les Beatles. Ah et surtout où on joue à autre chose qu'aux cartes.
Noen prit un air boudeur. Ael la regarda en haussant un sourcil. Puis toutes les deux éclatèrent de rire.
─ Je vois pas pourquoi on écouterait autre chose que les Beatles en soirée !
─ Dans ce cas, chère Pucelle je te souhaite une bonne vie pleine d'innocence, entourées de John Lennon et Paul McCartey. Qui sont pas très sexy...
Le pied de Noen vint à nouveau s'abattre dans la jambe de Ael qui rigola et avalant une nouvelle poignée de chips.
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