Chapitre 2
TRITURANT NERVEUSEMENT la manche de son pull à carreaux, Clem regardait le gros nuage gris qui avançait, menaçant, vers son quartier. La météo avait enfin prévu grand soleil pour toute l'après midi, et voilà qu'une bonne pluie n'allait pas tarder à arriver, faisant tomber à l'eau ( c'était le cas de le dire ) tous les projets de la jeune fille. Ça faisait plusieurs semaines que la pluie tombait à grosses gouttes sur la ville, et le soleil ne montrait toujours pas le bout de son nez. Les plantes et potagers en profitaient mais derrière leurs fenêtres, les adolescents se languissaient de pouvoir sortir. Pour une fin d'été, c'était déprimant.
Clem avait prévu d'aller se balader sur les quais qui bordaient le fleuve, en espérant y croiser quelque ami avec qui continuer sa promenade. Ou juste profiter de l'air du mois d'août avant la rentrée.
Les quais longeaient la Seine, qui traversait Paris, là où vivait Clem. Quand on y marchait, les jours de pluie, le sol terreux claquait sous les bottes en plastique. La plupart des gens pensaient que les quais ne servaient qu'à être envahis par les jeunes bourrés à la tombée de la nuit, ou à accueillir des alcooliques. C'était peut être l'image que ce lieu donnait. Mais la réalité était que ces quais étaient magnifiques, de jour comme de nuit. Au printemps, au retour des beaux jours, les cerisiers qui bordaient les quais étaient en fleur, jusqu'à la fin de l'été. Au moindre coup de vent les pétales se détachaient et venaient se déposer par terre. Comme un tapis rose.
La nuit, les lumières de la ville se reflétaient dans l'eau claire de la Seine, comme dans un miroir. C'était magnifique, oui, mais il est vrai que la beauté de l'endroit était souvent ébranlée par les bandes de jeunes déjà bourrés qui chantaient à tue tête en brandissant leur bouteille de bière et en dansant.
Ces quais étaient un peu le quartier général nocturne de tous les jeunes du quartier.
Les adolescents venaient souvent s'y réunir, accompagnés de quelques bouteilles, d'une enceinte, et de leur bonne humeur à tout épreuve. Après avoir fait la fête, chanté, et bu, ils s'allongeait souvent dans l'herbe, fermaient les yeux, ou regardaient les étoiles, bien qu'il soit difficile de les distinguer, éblouies par les lumières de la ville.
Après quelques minutes de réflexion, la jeune fille se décida enfin à sortir. Elle pourra prendre l'air, respirer le vent qui passe sur les quais, passer sur le Pont de Arts, regarder les quelques canoës qui traversent le fleuve et éviter les chiens qui courent partout. Regarder les courants déferler sous le pont. Marcher sur les pétales de cerisier tombés sur le trottoir.
Clem sortit de sa chambre, attrapa une paire de baskets bleues, saisit ses clefs dans un tintement sonore et sortit en lâchant un bref "je sors !" en claquant la porte.
Alexandre, son père, passa la tête par l'encadrement de la porte :
─ Tu vas où ?
Trop tard. Sa question resta en suspens quelques secondes, sans réponse. Alexandre retourna dans la cuisine en soupirant. Clem, elle, était déjà loin.
Arrivée sur le pas de l'appartement, Clem leva les yeux. Le nuage gris était toujours là et avançait toujours vers la ville, menaçant de laisser tomber la pluie a chaque instant. Clem se rendit compte qu'elle n'avait pas pensé à emporter un parapluie avec elle, et qu'à la moindre averse, elle serait trempée jusqu'au os. Ce n'était pas son maigre blouson qui la protégerait de la pluie.
Mais plutôt que remonter dans la cage d'escalier morose de son immeuble, Clem enfonça ses mains dans son blouson et sortit pour de bon.
Il faisait frais, brumeux, comme avant chaque averse, et un léger vent vint emmêler les cheveux bruns de la jeune fille. L'air sentait bon.
Elle passa devant une boulangerie, et respira l'odeur du pain qui passait par les fenêtres entrouvertes.
Elle marcha un bon moment, évitant les lignes du sol bétonné comme si elle avait encore 10 ans. Marchant dans les flaques d'eau, et s'amusant à laisser des traces de pas sur le béton humide.
Enfin, elle atteignit les quais.
Elle descendit les escaliers en pierres et la voilà sur le quai principal. Elle entendait déjà les jeunes qui chantaient à tue tête dans la pelouse.
Clem ralentit le pas pour contempler le ciel nuageux. C'était sûr, elle n'allait pas etre rentrée avant la pluie. Elle approcha sa main à son visage, la porta à sa bouche, et arracha un bout d'ongle à son doigt. Se ronger les ongles. Un tic donc elle n'arrivait pas à se détacher depuis des années. Pourtant, ses parents avaient tout essayé. Du vernis amer à l'hypnose en passant par les punitions, rien n'y fit. Clem gardait ses ongles rongés. Au grand désespoir de sa mère qui n'attendait qu'un chose : faire une manucure entre filles.
Clem ajusta son blouson et avança. Tant pis pour la pluie, elle profiterait tout de même de la ballade.
Elle passa devant un groupe de jeunes garçons qui lui demandèrent en riant si elle voulait prendre une bière fraîche avec eux. La jeune fille déclina l'offre d'un sourire timide, et continua sa route d'un pas assuré.
Elle regarda les pétales de cerisiers qui s'étaient déposés au sol, tâchant de ne pas trop les écraser en marchant, peine perdue.
Soudain Clem heurta quelque chose. Ou plutôt quelqu'un. Elle releva la tête en rajustant une mèche de cheveux. Un grand dadais qui ne lui était pas inconnu se tenait face à elle en riant.
─ Clémentine, que me vaut le plaisir ! Dis donc, apprend à regarder devant toi quand tu marches !
Clem grinça des dents à l'entente de son prénom complet. Ça faisait plusieurs années maintenant qu'elle avait annoncé à son entourage qu'elle ne voulait plus qu'on l'appelle Clémentine, car ce prénom faisait beaucoup trop enfantin à son goût. C'est vrai quoi, quelle ado de dix sept ans se fait appeler Clémentine ? Pourquoi pas Fraise ou Abricot...
Toujours est-il que la voilà face à Bastien Bauvoird en personne, grand crétin d'un mètre 85 et accessoirement son dragueur de service. Clem avait eu la malédiction de l'avoir comme voisin, puis comme camarade de classe durant ses années primaires et collèges.
Quand Clem et Bastien se sont connus, au début tout allait bien. Ils étaient encore petits, c'était vers la fin de leur école primaire, ils s'étaient croisés pour la première fois dans la cage d'escalier de leur immeuble et s'étaient tout de suite bien entendus. Ensemble, ils avaient échangé leur premières billes et partagé leur goûters. Parfois ils allaient sur le balcon de Bastien, la nuit, et regardait les étoiles ou les derniers passants. Quand les parents de l'un n'étaient pas disponibles, les parents de l'autre accueillaient les enfants pour le goûter. Ce fût comme ça pendant deux ans.
À leur rentrée en cinquième, Bastien avait déménagé mais ils étaient resté amis au collège, même si ils ne se voyaient plus en dehors.
Seulement, qui dit collège dit arrivée des premiers sentiments. Et bien sûr, Bastien commença à s'intéresser de près aux filles. Avant, Clémentine était seulement "l'amie de Bastien". Celle avec qui il chipait des bonbons à l'épicerie et pour qui il n'éprouverait jamais plus qu'une simple complicité. Mais quand Bastien se rendit compte qu'elle aussi était une "nana", qu'elle aussi avait des seins qui poussaient sous son tee-shirt, il se mit à lui sortir le grand jeu. Par le grand jeu, Bastien entendait seulement un grand verre de limonade au Bar de l'Angle, mais plus les mois passaient, plus il la draguait pour de bon, l'invitant au cinéma une fois par semaine et lui offrant des bijoux en plastique à toutes les occasions.
Clem, de son côté, découvrait peu à peu qu'elle aimait les filles et non pas les garçons. Quelle préférait les cheveux longs et les lèvres douces aux hommes.
C'est ainsi qu'après des mois à subir les compliments, les cinémas et les avances de Bastien, elle se résolut à lui avouer son attirance pour les filles. Depuis ce jour, Bastien ne la drague plus vraiment, mais prend un malin plaisir à lui faire des compliments ou à lui sortir ses disquettes de drague de beauf pour l'embêter. Leur complicité s'était envolée, et Bastien était juste "le gros lourd". Et il continuait obstinément à l'appeler Clémetine.
Clem ferma les yeux et soupira. Elle voulait seulement regarder le ciel, attendre la pluie, écouter les oiseaux et la musique des quais. Pas se retrouver face à ce crétin qui ne tardera probablement pas à s'inviter dans sa promenade.
─ Bastien. Commence pas. Premièrement, mon nom c'est Clem. Deuxièmement, c'est toi qui m'a foncé dedans, pas l'inverse.
Le jeune homme recula en riant, mains en l'air, d'un air innocent. Il tenait une canette de bière à moitié vide à la main, laissant supposer qu'il était là depuis un petit moment.
─ Ho ho mes excuses ! On dirait que Mademoiselle est de mauvais poil. Que puis-je faire pour me faire pardonner ?
Clem leva les yeux au ciel et lâcha :
─ Ficher le camp.
─ Toujours aussi cordiale.
─ Toujours un humour aussi hilarant.
─ Merci je sais.
─ Tu me laisses tranquille s'il te plaît ? J'étais juste passée faire un tour, je suis pas ici pour que tu me répètes tes éternels "alors toujours pas de copine ?". Maintenant oust.
Bastien abandonna, revula dun pas en soupirant et lui dit :
─ Tu m'appelles ?
─ Sûrement pas.
─ On peut toujours rêver.
─ Rêve bien, moi je vais finir ma balade.
Et Clem repartit sans se retourner, priant pour que Bastien ne tente pas de la rattrapper.
Au même moment, les premières gouttes de pluie s'abattirent sur la ville.
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