Deux

En arrivant dans les jardins, Adeline laissa derrière elle les sentiments négatifs et et les pensées noires qui germaient dans son esprit. Pendant quelques heures, elle pourra se détendre et apprécier pour la dernière fois ses fleurs chéries. Ce n'était qu'une échappatoire, elle le savait. Après, elle devrait affronter le souper avec ses parents qui s'annonçait pénible et larmoyant puis, le lendemain, supporter les adieux déchirants de sa famille et de sa patrie pour partir en jet vers la France. Mais avant le voyage aérien, il y avait le voyage terrestre. Et oui. Elle devait faire la route reliant Québec et Montréal, en utilisant le chemin le plus long*, pour saluer tous les habitants. Ce trajet était effectué, comme le voulait la tradition, en calèche.

Elle chassa toutes ces idées avec sa main, comme lorsqu'on chasse un moustique indésirable. Elle marcha vers les hortensias, les admira quelques temps et continua son chemin vers les echinecea. Les couleurs éclatantes de ces plantes émerveillaient toujours la jeune fille depuis sa plus tendre enfance. Tranquillement, elle se dirigea vers le petit pont de l'étang, qui a fièrement été construit par son grand-père.

Ce qu'elle pu voir au milieu de l'étang la combla.

Il y avait un magnifique grand héron qui pêchait dans l'étendue d'eau. Ce volatile, devenu très rare, était l'emblème de la royauté québécoise. Adeline n'en croyait pas ses yeux. L'oiseau était là, devant elle ! Il était si près d'elle qu'elle pouvait l'entendre faire des vagues.

- Ah bin j'ai mon voyage...

Ce fut les seuls mots qu'elle pu trouver pour exprimer sa surprise. Elle admira le héron longtemps. Apres un quart d'heure, elle alla plus loin, laissant l'animal vaquer tranquillement à ses occupations.

La princesse gambada vers la tonnelle en bois. Elle arrivait dans sa partie préférée : Le champs des roses. En fait, ce n'était pas vraiment un champs; la famille Barnabé-Leduc possédait une culture de roses. Elle créait de nouvelles variétés de fleurs, pour le plus grand bonheur d'Adeline, qui adorait ces fleurs.

La jeune femme s'assit sur le banc, qui était à côté de son espèce favorite créée en son honneur: la Rosa adelina. Ses pétales étaient de couleurs lilas, tirant parfois sur le bleu pâle, parfois sur le violet. Le dégradé était magnifique. Ces roses composeraient le bouquet de mariage de la future Dauphine, tel que stipulé dans le contrat des épousailles.

Mariée, mariage, épouse. Tout ces mots résonnaient dans la tête de l'adolescente. Dans 4 jours, elle ne serait plus célibataire. Cet engagement semblait immense sur ses épaules. La seule chose qu'elle pouvait souhaiter, c'est que son fiancé lui donne un peu d'amour.

Elle soupira.

Elle devait le faire. Elle devait partir pour l'Europe, elle devait épouser Philippe de Braguard. C'était pour le bien de sa famille, de sa province, pour son bien.

Un jappement familier la tira de ses rêveries.

- Marguerite !

Un berger australien marchait gaiement, s'approchant d'un pas vif. C'était Marguerite, la chienne de la princesse. Elle venait quémander des caresses, après avoir passé une longue journée couchée dans un des bosquets du jardin.

- Jolie petite, viens là ma chérie !

L'animal lécha sa main. Elle gloussa. Elle aimait profondément Marguerite. La princesse l'avait appelée ainsi à cause du pelage du chien. C'était un berger australien bleu merle, avec un œil bleu et un autre brun.

Après plusieurs caresses, bisous et petits mots doux, Marguerite tira sur la manche de la jeune fille.

- Mais que veux-tu ? gronda Adeline.

Mais le canidé tira de plus belle.

-Tu veux me montrer quelques chose ?

- Wouaf !

-Bien. Alors emmène-moi !

Il s'ensuivit une course folle dans les sentiers. Certains domestiques purent apercevoir, à travers les fenêtres du célèbre château Frontenac, une fille courant et riant derrière un petit chien qui jappait pour démontrer sa joie. Quel spectacle !

Éreintée, ébouriffée et échauffée, la princesse s'arrêta en même temps que son chien. Devant elle se dressait la cabane du jardinier, le sieur Basile. D'ailleurs, où était-il ? Elle entra dans la cabane. Il y avait des pots de fleurs dispersés ici et là, des sacs de terre à jardins et de l'engrais biologique accompagnés de nombreux outils à jardinage tel des pelles, des gants, des sécateurs, des râteaux. L'intérieur sentait le bois, la terre et le travail. Derrière sa robe, Marguerite commença à s'agiter. Un grand bonhomme barbu, costaud et à l'air fatigué par les années passées souriait sur le seuil.

- Basile !

- Ma chère Adeline...

La jeune fille accourra vers l'homme et lui sauta dans les bras. Elle éprouvait beaucoup d'affection pour le maître jardinier, elle avait souvent passé ses après-dînées avec lui. Basile était un homme de confiance de la famille, il était haut placé dans l'estime du roi. C'est lui qui avait enseigné à Adeline comment prendre soin des semis, comment bien arroser une plante ou transplanter une fleurs. Basile s'occupait également de l'élevage familial des roses et c'est avec la jeune princesse qu'il a créé la Rosa adelina.

Après une longue étreinte, il reposa Adeline à terre.

- J'avais envoyé Marguerite à ta recherche, pour pouvoir te revoir avant votre départ, lui avoua-t-il.

- Je ne serais jamais partie sans avoir reçu un dernier conseil de votre part...

- Les fleurs peuvent ressentir en quelques sortes nos émotions. Aujourd'hui, lorsque j'ai fait le tour du parc, j'ai remarqué que la plupart des plants avaient un air triste, ils étaient un peu fanés. Les fleurs pleurent votre départ, chère princesse.

- Oh... Tout ceci va me manquer. Les jardins, les fleurs, les leçons d'horticulture, et vous Basile.. dit-elle, en sanglotant.

- Vous aussi, mon enfant vous allez me manquer. Mais je prendrai soin de vos jardins avec toute ma passion. Et puis, je demanderai l'autorisation de son Altesse votre père pour aller vous rendre visite...

- Vous êtes un homme de coeur, Basile. Vous méritez toute ma confiance et celle de ma famille.

Elle donna un long câlin à son vieil ami qui lui rendit la pareille.

* Un voyage en voiture, aujourd'hui, entre Québec et Montréal dure environ 2 heures.

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