26.

Novembre 2017

En trois jours, Ray a eu le temps de revivre cent fois leur échange comme de tracer sur ses feuilles la ligne droite, presque rigide d'Elizabeth tandis que sa voix lui revenait, en écho au vide que le crayon se refusait à remplir. Un feutre noir à pointe fine, un Staedtler de 0,05 mm, voilà ce qu'il avait choisi pour cette femme, jugeant la mine de son graphite trop grosse, pas assez précise, trop claire aussi, grise. Il voulait l'absolu de l'encre, son aspect franc et tranché, aucun droit à l'erreur, il fallait penser le geste avant de le graver. L'ensemble donnait une silhouette à la Giacometti, le tremblement des contours en moins. Raide comme une majuscule, fine et presque sans relief, tout se jouait dans ce qui n'apparaissait pas, dans les gestes retenus autant que dans les silences.

Ray observe ses dessins, trouve la ligne commune, constate les légères différences dans les attitudes qu'il a extraites de cette drôle de femme. Il fixe ses œuvres à la recherche de ce regard qui lui est propre, cette façon de saisir les autres du bout de son trait sans être capable de mettre des mots dessus, comme si ce n'était pas volontaire, un ressenti pur. Il cherche après, en contre coup, à comprendre ce qu'il a pu retenir sans s'en apercevoir. Une façon de se relire et de s'écouter, de se faire confiance.

C'est l'absence qui le frappe dans ses esquisses, l'espace qui entoure la silhouette et que rien ne semble combler. Il voudrait dessiner autour, le décor du studio par exemple, mais une chose l'empêche, une chose qu'il peine à définir. Le blanc de la feuille sied mieux à Elizabeth. Et puis il remarque enfin le petit détail qui fait toute la différence, celui qui prend tout son sens. Il examine à nouveau chaque dessin, une bonne dizaine, et entend la voix, cette voix étrange qui est sa présence plus encore que son corps, cette façon de parler au ralenti, de marquer les temps, d'attendre avant de se lancer enfin dans une phrase. Comme si elle prenait la pose. Comme Lilie avant de danser.

Sur chaque feuille, le sujet est décentré au troisième tiers à droite, ou à gauche, jamais il n'occupe le milieu. C'est un détail bien sûr. Mais le même détail répété à chaque fois, ce n'est plus un hasard, c'est un signe, et comme tous les signes, il possède son sens. Le tout est de comprendre lequel. Alors Ray imagine. Il creuse à sa façon. Pourquoi diable l'avait-il cantonnée au bord de son espace ?

À force de scruter le vide, il lui semble le voir. Là, près d'elle et qui lui fait face, il y a quelqu'un qui peuple l'autour de cette femme. Une personne que Ray ne peut pas dessiner, mais qu'il a saisi malgré lui, perçu dans les attitudes d'Elizabeth, et couché là, dans l'invisible des esquisses. Voilà pourquoi il n'arrivait pas à tracer le décor : elle ne répond pas à un lieu, elle répond à quelqu'un d'autre. Cette femme est l'empreinte d'un autre.

Cette idée qui paraît stupide, Ray ne peut s'en défaire. C'est qu'elle sonne en évidence. C'est idiot pourtant, personne ne devient le creux de l'autre et imaginer ça d'une danseuse paraît encore plus absurde. Mais il le ressent, oui, il éprouve cette vérité au-delà du raisonnable. De penser à Lilie qui se jetait partout dans le moindre recoin, qui s'imprimait sur tout et autant sur les gens, il se demande comment Elizabeth peut être aussi opposée à sa fille. Sans doute qu'elle aurait su la contenir, qu'elle aurait su être son empreinte justement. Ça restait une drôle d'idée tout de même.

Et puis en trois jours, Ray a eu le temps de sentir son impatience. Une attente qui monte, si grande qu'elle risquait fort d'être déçue, cette attente, tant elle se nourrissait d'espoirs et de préjugés. Tant elle prenait racine loin dans son cœur de père. Oui, il espérait Ray, fort, très fort, sans savoir quoi d'ailleurs.

Il espérait comprendre comme on tient sa révélation serrée dans le creux de ses mains, comprendre le sens de tout ça, une façon d'expliquer, de répondre à ses questions.

Il espérait se sentir mieux sans doute, ne plus toucher cette douleur, car elle le perçait tellement qu'elle devait bien être visible, il allait bien finir par l'attraper, la tenir, impossible autrement de faire autant de mal et qu'il n'y ait rien de tangible, que rien ne perce, à s'étonner même de constater que sa peau soit parfaitement intacte.

Et peut-être l'espoir plus fou encore de combler son vide, ce trou béant qui aspirait tout son être, ne laissant qu'une coquille où résonnait l'écho des regrets. Si seulement il pouvait juste fermer les yeux, un instant, un seul, et savoir que Lilie est là, savoir qu'elle n'a jamais été ailleurs, qu'il peut encore la voir quand il le souhaite, juste la regarder, ne rien dire, partager son silence quand elle parlera comme elle sait si bien le faire, en dansant sans musique, sans miroir. Sa fille, sa fille unique et uniquement elle, au centre, son centre à lui. Et lui, il serait resté tout simplement dans le troisième tiers de la page.

Trois jours donc, et le voilà avec son sac sur le dos, à hésiter, à rebrousser chemin, second demi-tour dans l'escalier pour finalement se retrouver à nouveau planté devant la porte du studio.

Il attend.

Comme ce jour devant les portes de la réanimation, celui où il est entré avec une boîte de biscuits et ressorti avec une lettre qui pesait lourd dans sa poche. C'était quand déjà ? Une éternité plus tôt sans doute. Depuis, le temps s'était arrêté. Il passait ses jours à attendre ses nuits et ses nuits à attendre que le jour se lève. Depuis, tout ce qu'il avait tenté de saisir était passé entre ses doigts. Depuis, il y avait eu quelques instants avec Sophie, comme si le réel avait réussi à percer quelque peu, pas longtemps, pas complètement, mais tout de même. Une façon de respirer, de ne pas sombrer tout à fait. Fallait-il cela pour se toucher à nouveau ? Le besoin de s'agripper à l'autre ?

Les bruits envahissent la cage d'escalier, des pas, des voix, des rires aussi, qui viennent d'un côté et de l'autre, se rencontrent et se percutent sur un Ray égaré au milieu. La salle s'ouvre sur des jeunes femmes en survêtement qui quittent leur cours, qui le saluent sans y penser vraiment. L'une d'elles lui tient la porte, il est bien obligé de la remercier. Derrière lui, le prochain groupe est déjà en train de le rejoindre. Pris dans le flux, il entre.

Elizabeth le salue d'un signe de tête, lui indique le vestiaire à côté et se dirige dans un angle de la pièce où pédale un jeune homme perché sur un vélo d'appartement. Ça, ce n'est pas banal dans une salle de danse. Ray s'arrête, il est noir comme on n'ose pas le dire, comme on le voit rarement aussi. Un noir magnifique, fascinant, une peau qu'on voudrait toucher, sculpter.

Il pédale tranquillement, une petite pince à l'oreille elle-même reliée au vélo et à l'écran qui orne son guidon. Elizabeth observe, parle lentement, attend ses réponses. De cet échange, Ray n'entendra rien, mais il voit l'attention qu'elle lui porte. Quel âge a-t-il ? Trente ans peut-être, difficile à dire, un peu plus jeune qu'elle il semblerait.

Le flot arrive, pénètre en grand bruit la pièce et s'étale. Des sacs posés ici ou là, à croire que le vestiaire ne sert pas à grand-chose. Ils sont une dizaine à peine, mais la place qu'ils prennent, incroyable ! Quatre sont venus avec des instruments qu'ils déballent sitôt arrivés : trompette, contrebasse, percussions – des bongos et un atabaque, mot dont Ray n'a jamais entendu parlé – et même un violon. Ça non plus, ce n'est pas banal dans un cours de danse, ni même dans un groupe de musique, comme si on avait pris des potes au hasard sans tenir compte du genre d'instruments qu'ils pratiquent. On met ensemble et on verra bien.

Elizabeth s'approche de Ray, il n'a même pas posé son sac qu'il tient toujours sur son épaule.

— Bonsoir, Ray.

— Bonsoir.

Et elle se tait. Forcément. Elle le regarde bien en face et n'ajoute rien, elle attend. Il a beau le savoir, ça reste assez perturbant. Ray en profite pour essayer de voir la scène sur son ensemble : le tapis au sol, le miroir qui couvre tout un mur, les barres de bois contre, le vélo et cet étrange cycliste qui n'avance pas, le groupe de jeunes, femmes et hommes, pantalons sur les hanches et torse nus pour certains, qui commencent à se maquiller le visage et les musiciens qui se posent en large cercle au milieu, qui accordent plus ou moins leurs instruments dans une cacophonie joyeuse.

— C'est pas banal ce qui se passe ici.

Elle sourit.

— Non, en effet. Mais j'espère que ça vous intéressera.

— J'ai quelque chose pour vous d'ailleurs.

Premier écart de conduite, première perte de contrôle de ce corps d'allumette sombre, un mouvement de recul, léger, faible, qui ne prend que ses épaules et son visage, une surprise apparemment. Comme quoi, elle peut se laisser surprendre.

Ray sort de son sac ses dessins d'elle. Après tout, c'est elle le sujet, à elle d'en faire ce que bon lui semble. Quand il lui tend les feuilles, elle ne s'en saisit pas tout de suite, laisse passer ce temps qui la définit tellement.

— Merci.

— Eh, Liz, mais c'est toi ! C'est fou, on te reconnaît rien qu'à ta silhouette !

Une tête bleue de singe, comme ces macaques qui se baladent les fesses à l'air et montrent leurs dents, passe par-dessus l'épaule d'Elizabeth. Cet homme avec le visage peint dénude lui aussi ses gencives dans un large sourire, tellement grand qu'on pourrait y inclure le monde entier. Un sourire pareil, ça ne triche pas, ça vous force à vous jeter dedans tête la première.

— Salut ! Moi, c'est Rafi !

— Bonjour. Ray.

— C'est quoi qui t'amène ici, Ray ?

— La curiosité ?

— Ben si c'est qu'ça, tu vas pas être déçu ! C'est presque dommage...

— Pourquoi ?

— Parce que la curiosité, c'est facile : tu t'assois, tu regardes et tu t'en vas. T'es satisfait quoi qu'il arrive. Le plus fun, c'est d'être surpris et de trouver ce qu'on cherchait pas. Là, ça devient intéressant.

Rafi s'échappe pour rejoindre le cycliste qui a arrêté de pédaler. A-t-il seulement remarqué qu'il vient d'épingler Ray comme un papillon ? Sans doute que non, trop franc, trop spontané pour avoir de telles intentions. N'empêche, les remarques les plus innocentes font parfois l'effet de clous, surtout quand ça jaillit au hasard d'un inconnu.

Elizabeth non plus n'a rien remarqué, elle se regarde sur le papier sans rien dire de ce qu'elle en pense.

— Je peux me mettre où pour ne pas gêner ?

— Où vous voulez, vous ne gênerez pas.

Elle a répondu vite, très vite pour elle. Son visage n'est plus si lisse, il voudrait parler, dire des émotions, mais ça sort mal, ça se mélange, c'est illisible.

— J'y vais, Ray, ça va commencer. Merci.

Elle va ranger les dessins avant de se placer en dehors du cercle des musiciens, près du cycliste. C'est quand même bizarre d'avoir un vélo dans une salle de danse.

Ce sont les musiciens qui ouvrent le bal. Ils ont fini de s'accorder dans leur coin, il est temps de jouer ensemble. C'est surtout le percussionniste et le contrebassiste qui se lancent, les deux autres oscillent pour marquer le tempo. Un rythme qui part vite, d'emblée, fort aussi. Un début comme une graine plantée dans du sable chaud, des sons issus des racines africaines. Les mains battent la mesure, Rafi s'avance au centre du cercle, petits sauts sur place, bras détendus qui oscillent, puis le corps démarre. Le torse se propulse vers le sol, genoux fléchis, bas jusqu'à le frôler presque, il s'écrase ainsi à chaque frappe sur la membrane du tambour. Ça va vite, très vite, comme ces pluies de mousson qui percutent la tôle et le sol trop sec. Le danseur se redresse un peu, crache son torse vers le ciel, tandis que ses bras frappent l'air et le repoussent loin. Il se propulse à droite, à gauche, il se détend comme un ressort le tout à une vitesse folle. Par moment, la trompette hurle sur deux temps et le corps bondit plus fort encore. Il accélère, comme s'il n'allait pas assez vite déjà dans ses mouvements. Il accélère comme s'il voulait exploser.

Le batteur claque de ses paumes et de ses doigts à une vitesse impressionnante lui aussi, à penser qu'il s'en arrache la peau sur son tambour. Ses mains volent et retombent aussitôt, elles impriment une frénésie dont le corps de Rafi s'empare, une danse qui ressemble à une transe. Et cette transe, Ray la reçoit en plein visage.

Il garde les yeux grands ouverts, craignant qu'un battement de cil ne lui fasse perdre l'essentiel. Il s'imprègne du mouvement, fasciné, s'avançant vers le danseur sans même s'en rendre compte, absorbé par lui comme les autres qui se rassemblent, se resserrent. Le cœur de Ray bat vite, fort, en cadence avec le tambour. Son cœur pulse jusqu'au fond de la gorge, étale le sang à chaque coup jusqu'au bout des doigts, du crâne, des jambes.

Ray n'a jamais vu une chose pareille. Ce n'est pas comme Lilie, c'est plus sauvage, plus libre aussi, plus fou sans doute, mais bon sang, ce que ça lui aurait plu ! Comme ce lâcher-prise lui aurait plu, comme elle aurait aimé cette liberté, elle qui contrôlait tellement son corps, elle qu'il fallait constamment canaliser. Ici, personne ne canalise Rafi, il déborde de partout, il a le droit de déborder.

Ray se force à détourner le regard pour le poser sur Elizabeth. Elle se tient en retrait, elle observe, attentive. Elle contrôle son corps, ne l'avance pas, n'entrave rien. Elle leur laisse leur espace. Tous ces jeunes peuvent exploser ici, elle les contient autant qu'elle le leur permet.

Puis Ray croise le regard du cycliste resté à ses côtés, deux émaux blancs qui jaillissent de sa peau noire, si noire qu'Elizabeth apparaît presque pâle en comparaison. Il est en mouvement, une danse lente qui sonne en écho lointain à celle qui se joue au centre, complètement frénétique. Il est en mouvement quand elle reste immobile. Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai. Elle s'écarte à son rythme.

C'est alors que Ray comprend. Celui qui occupe le centre du dessin, c'est cet homme. Celui dont elle est l'empreinte, qui courbe son corps aux mouvements du sien, qui remplit ses silences, c'est lui.

La trompette hurle tout ce qu'elle peut, ramène Ray au centre du spectacle, devant Rafi qui s'élance et s'écroule au sol, ivre, rompu. C'est fini. Il se relève en sueur sous les applaudissements et les accolades, il a donné tout ce qu'il avait, ça oui, c'était bien hein, putain oui, c'était bien, c'était bon et c'était bien.

Son maquillage coule un peu et son sourire montre des dents à bouffer la lune.

— Eh Denis ! C'est, ton tour !

Le cycliste sourit et part serrer Rafi dans ses bras avant de se positionner.

Ray profite du silence qui s'est installé pour rejoindre Elizabeth, étonnant ce silence d'ailleurs.

— Qui est-ce ?

— Denis, mon petit frère.

Là encore, elle a répondu aussitôt, une drôle d'émotion dans la voix, comme si elle retenait son souffle, comme si elle était aussi fière qu'elle avait peur.

Denis se place pieds nus au centre de tous les regards. Les musiciens le fixent, prêts à jouer, aucun n'ose commencer. Il place alors ses deux paumes sur sa poitrine, juste à l'emplacement que prend le cœur sous le t-shirt. Les yeux fermés, on dirait qu'il écoute quelque chose que lui seul peut entendre. Est-il possible d'attendre quelqu'un au point de retenir sa respiration ? De le faire sans y penser, juste d'émotion ?

Puis les mains frappent le torse, comme un tam-tam. Le bruit résonne dans la salle en rythme régulier, deux rapides, un silence, deux rapides, un silence et ainsi de suite. Si Ray s'était amusé à compter, il aurait noté une fréquence de cent vingt battements par minutes. Ni plus ni moins.

Cent vingt battements par minute, c'est le rythme du cœur de Denis à cet instant, après l'échauffement nécessaire pour prendre de la vitesse. Cent vingt battements par minutes, il n'ira pas au-delà, ne le peut pas, c'est plus lent que la danse de Rafi.

Le tempo est repris par les percussions, deux rapides, un lent. Denis commence alors à placer son corps, face à la contrebasse. Lui et le musicien se regardent droit dans les yeux, se guettent, à celui qui ouvrira le bal. Le danseur donne le signal, il place ses gestes, ses mouvements, l'autre traduit en notes. Le corps parle en silence, le corps parle en musique, il ne suit plus, il compose. Ça dure ainsi sur plusieurs mesures, un dialogue où ils se répondent autant qu'ils se superposent.

Denis se lance ensuite vers le trompettiste et poursuit sa danse. Le cuivre rend son écho, tente d'interpréter le mouvement en le propulsant dans les airs à travers les notes. Les deux entrent en résonnance, deux respirations qui se mêlent. Le trompettiste roule des yeux, il suit Denis qui tourne autour de lui, qui répète les mêmes gestes pour lui faire jouer la même phrase. Il impose ainsi sa propre mélodie.

La danse se poursuit, toujours au rythme des cent vingt battements par minute, c'est au tour du violon. Sur les couleurs de l'Afrique, de blues aussi, de jazz un peu, le violon grince avec un côté manouche. Sa musique accélère, chaque coup d'archet dicté par les sauts et les élans du corps de Denis. Ils se tournent autour, s'apprivoisent, se parlent. Puis Denis s'éloigne, se jetant tantôt vers l'un, tantôt vers l'autre. Il possède son orchestre, le dirige surtout, en véritable maestro dont le corps entier est à l'origine du son. Il devient la musique, la ressent dans chacune de ses fibres, la projette sur toute l'assemblée qui le regarde, qui commence à reproduire sa chorégraphie, des phrases entières, oui, on peut parler de phrases tant elles sont ponctuées autant que prononcées par les instruments, tant elles s'incarnent dans leurs chairs, mais aussi dans le son, tant elles ont du sens.

Denis continue, il invente au fur et à mesure, il crée à partir de ce qu'il ressent.

Ça percute Ray comme ça, d'un coup, et le jeune homme envahit tout l'espace. Tout son être se concentre là, dans ce corps à la peau si noire qu'on a envie de le toucher, dans cette façon étrange de danser, de composer à partir de rien, d'un rythme, d'un prétexte à une origine, tout est question d'origine : les battements de son cœur. Une image où se superpose celle de Lilie, comme si elle était là, qu'elle dansait elle aussi. Denis contrôle son corps comme Lilie le faisait ; il prend la pose parfois, imposant le silence avant de basculer comme Lilie le faisait ; il répète les mouvements en saccade comme Lilie le faisait.

Ses jambes tendues, le coup de pied, cette façon de se dresser sur la demi-pointe comme pour s'envoler, puis de s'écraser au sol. Ses bras qui miment, des mains qui poussent l'air loin devant lui, qui en marquent la résistance, donnant au vide une densité nouvelle, des mains qui montrent le combat, simulent la lutte. Et son absurdité.

Faut le voir bouger son corps et saisir son monde.

Le rythme diminue doucement. Denis fait taire petit à petit chaqueinstrument jusqu'à ce qu'il ne reste que lui et les autres danseurs qui lesuivent. Ils reproduisent l'enchaînement, fidèles et synchrones, le claquementde leurs pas sur le tapis est la seule musique qui s'entend à présent. Puistout s'arrête.

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