Chapitre 3
Mélinoé se réveilla très tôt le lendemain matin. Le soleil ne s'était pas encore levé, et Macaria dormait toujours. Elle se leva doucement, pour ne pas la réveiller, car il était à peine cinq heures du matin, et l'autre Inanimée avait sans doute une journée bien chargée qui l'attendait à l'hôpital. Le plus silencieusement possible, Mélinoé remit son blouson et enfila ses chaussures. Elle se rendit ensuite dans la cuisine, où elle attrapa un scone, qu'elle pourrait manger un peu plus tard. Ensuite, elle fouilla dans le tiroir du buffet et y dénicha un stylo et un morceau de papier, sur lequel elle inscrivit:
"Macaria, je suis rentrée. Je te remercie de m'avoir accueillie cette nuit, à présent, je me sens beaucoup mieux. On se reverra sans doute très vite.
Mélinoé."
Se sentait-elle vraiment mieux? Non, elle ne devait pas se poser la question. Elle ne devait pas y penser. Elle devait oublier.
Elle laissa son mot bien en évidence sur le plan de travail, où Macaria ne pourrait que le retrouver. Un dernier coup d'œil à son écriture déliée, volutes noires sur le papier blanc, puis Mélinoé rajusta son blouson sur ses épaules, ouvrit silencieusement la porte d'entrée, et se glissa hors de l'appartement, laissant la porte d'entrée se revérrouiller toute seule derrière elle.
La moquette beige couvrant le sol des couloirs amortit ses pas et, aussi silencieuse qu'une ombre, l'Inanimée finit par sortir dans la rue.
A cette heure-ci, elle était quasiment vide, hormis quelques piétons qui se rendaient peut-être à leur lieu de travail, tôt, très tôt.
Mélinoé marcha jusqu'à la station de métro la plus proche, Covent Garden, et patienta près de la rame faiblement éclairée, jusqu'à ce qu'elle puisse monter dans un compartiment. Après avoir changé plusieurs fois de ligne, elle parvint enfin à l'arrêt West Brompton.
Le soleil se levait.
Elle eut un léger sourire à l'adresse de l'Empress State Building, qu'elle pouvait très bien voir en grimpant les dernières marches qui la menaient hors de la station. Le commissariat de police était juste là, et personne n'avait jamais fait attention à elle, qui dépossédait les humains de leurs âmes.
Elle se détourna du grand immeuble pour entrer dans le cimetière de West Brompton, juste en face. Mélinoé marcha entre les tombes, s'éloignant du sentier, son pas dansant traçant un gracieux chemin entre les vasques et les épitaphes de marbre. En coupant hors des chemins préconçus, elle se retrouva bien plus vite face à son domaine. Tout d'abord, elle devait franchir le vieux mur qui lui barrait le passage, mais, grâce au lierre qui le couvrait désormais, Mélinoé n'eut aucun mal à grimper et à se laisser glisser de l'autre côté, là où la police ne venait quasiment jamais. La première station de métro de West Brompton, qui n'avait jamais été terminée, et que la municipalité avait condamnée. Mélinoé l'avait découverte dans l'année qui avait suivi sa "Naissance", et s'y était aussitôt installée.
Dans cet endroit, tout lui plaisait: l'entrée de la station, couverte de lierre, les murs tout autour, qui empêchaient les importuns de la déranger... De là où elle se tenait, elle pouvait voir les marches descendant dans l'obscurité de la station... Les voies avaient été condamnées longtemps auparavant, murées par un épais mur de briques, et Mélinoé s'était installée là où les voyageurs auraient dû attendre la rame... Macaria pouvait traiter son repaire de "sordide", si elle le souhaitait, mais Mélinoé se réjouissait d'être autant à l'écart de l'agitation de la capitale, au dehors. L'endroit n'était pas humide, et la chaleur restait en général la nuit, quand la journée avait été belle... Mélinoé s'était bien installée: elle avait son matelas, son réchaud, ses provisions et plusieurs petites lampes à gaz, qu'elle allumait la nuit et qui illuminaient le lieu comme de multiples petites lucioles... Macaria l'avait aidée à installer une petite douche qu'elle avait branchée aux circuits d'eau qui alimentaient les toilettes de la station. Heureusement, les ingénieurs n'avaient jamais coupé l'eau, ils avaient dû oublier...
Non, elle aimait vraiment cet endroit, elle s'y sentait parfaitement chez elle...Parfois, avant de s'endormir, cela lui arrivait presque d'oublier qu'elle était une Inanimée...
Certes, elle pouvait se souvenir de ce jour où de jeunes casseurs avaient pénétré sur son domaine. Ils étaient deux... Mélinoé les avait vus surgir un soir, entre chien et loup, la laissant ébahie. Mais très vite, elle s'était reprise et cela avait été fini pour eux, et désormais leurs corps étaient enterrés dans un emplacement reculé du cimetière. Elle avait volé leurs âmes, à eux qui n'auraient jamais dû s'aventurer dans les alentours. Elle était chez elle.
Elle passa devant sa couchette, se dirigeant vers le petit escalier dérobé qui montait à l'étage, conçu dans cette station. La verrière.
L'étage de cette station était une grande verrière. Les extrémités plus proches des murs avaient été recouvertes par le lierre, mais le centre de la verrière arrondie, lui, était dégagé, et Mélinoé avait toujours adoré s'installer ici pour contempler les constellations, la nuit.
S'asseyant sur le sol, elle sortit le scone pris chez Macaria de sa poche et commença à le grignoter en observant le ciel bleu et pur de ce début d'automne. Un avion volait, haut, très haut dans le ciel, minuscule point traçant laissant derrière lui une traînée cotonneuse. Le soleil était radieux, illuminant tout le dôme de verre, sa lumière se frayant un chemin même entre les vrilles de lierre qui couvraient le grand plafond vitré. Elle resta quelques instants en silence mais alors, un craquement retentit, et Mélinoé sursauta. Le bruit n'avait pas été si fort que ça: il s'agissait d'un craquement normal, qu'elle avait déjà entendu autrefois. C'était sans doute la structure de la verrière qui bougeait légèrement et, dans le silence, tous les bruits paraissaient amplifiés...
Mais en cet instant, Mélinoé sentait de nouveau le malaise l'envahir. Et si quelqu'un la traquait vraiment?
Elle se leva d'un bond, et redescendit dans la station. Toutes ses affaires étaient exactement là où elle les avait laissées en quittant le lieu la veille. Personne n'était venu. Elle ne connaissait aucun casseur qui aurait laissé l'endroit strictement en ordre. Donc, personne n'était venu. Le réchaud, le matelas, les provisions dans leurs caises et tout le contenu de la petite étagère qu'elle s'était fabriquée avec des cageots étaient strictement à la place où elle les avait laissés.
Vraiment, personne n'était venu.
Fermant les yeux,elle attrapa l'une de ses bouteilles d'eau, et but plusieurs gorgées, sans se laisser le temps de respirer. Elle n'avait jamais eu si soif,auparavant...
Perturbée, elle chercha son sac à dos, qu'elle n'avait plus utilisé depuis... très longtemps. Elle le retrouva derrière son étagère et l'épousseta. Inconsciemment, Mélinoé sentait bien qu'elle devait se préparer à quelque chose... Ou plutôt, à un possible départ. C'est pourquoi elle se décida à remplir le sac de quelques objets utiles, savait-on jamais. Elle attrapa un paquet de fruits secs et de biscuits ainsi qu'une bouteille d'eau, qui furent très vite rejoints dans le sac par une lampe-torche, ainsi qu'un t-shirt et des sous-vêtements de rechange. Ses doigts effleurèrent la tranche des quelques livres qu'elle possédait, des recueils de poèmes, pour la plupart. Non, quoi qu'il arrive, elle ne pourrait les emporter. Ils auraient pris beaucoup trop de place, auraient pesé trop lourd. Elle ne devait prendre que le strict nécessaire.
Elle se dirigea alors vers le coffre qui renfermait ses affaires de valeur. Affaires de valeur: tout simplement un ordinateur portable et un téléphone mobile, que Macaria lui avait confiés lorsque sa protégée s'était installée dans la gare. Pourtant, Mélinoé ne les avait que peu utilisés. Elle rangea l'ordinateur dans son sac, et, machinalement ,alluma son portable. Un unique message apparut, un message de Macaria, envoyé quelques heures plus tôt, quand elle avait dû se rendre compte de son départ:
"Tu es bien rentrée? Est-ce que ça va? Si tu as le moindre problème, je veux que tu saches que tu peux compter sur moi."
Mélinoé répondit aussitôt:
"Merci, Macaria. Je te tiens au courant."
Là-dessus, elle éteignit l'appareil et le glissa dans la poche de son blouson.
- OK, murmura-t-elle en posant son sac sur sa couchette.
Si jamais elle avait besoin de fuir, elle reviendrait le chercher. Ce serait un détour, certes, mais si elle parcourait Londres avec un sac de voyage sur le dos, elle se ferait repérer à coup sûr. Par qui? Elle ne le savait pas, mais elle ne tenait décidément pas à rencontrer cette personne, qui qu'elle puisse être.
- Back to job, susurra-t-elle en quittant la station de métro.
Alors qu'elle marchait à travers les rues, elle commença à se sentir coupable. Elle avait toujours pris les âmes sans se soucier de ses victimes, mais à présent... Elle s'en voulait de prendre la vie de personnes qui n'avaient rien demandé... Qui avaient peut-être des années de vie devant elles... Peut-être devait-elle envisager de faire comme Macaria, et chercher un emploi dans un hôpital, où elle pourrait simplement prendre l'âme des personnes condamnées...
Toute à ses réflexions, elle ne remarqua pas que, dans sa poche, son portables'était rallumé.
Il s'était rallumé et, comme si une main fantôme l'avait effleuré, la localisation GPS de l'appareil s'était mise en marche.
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