Chapitre 2
"Et maintenant?"
Dans le rêve de Mélinoé, la voix se faisait insistante. Était-ce sa propre voix qu'elle croyait entendre? Ou celle de quelqu'un d'autre?
"Et maintenant? Qu'est-ce qui va se passer? Si tu n'es plus une Inanimée, c'est que tu es morte. C'est forcément ça. Tu es morte. Alors, pourquoi es-tu toujours là, à penser...?"
Son cœur. Elle commençait à l'entendre battre dans sa poitrine.
Elle sentait un souffle d'air sur son front. Non, elle n'était pas morte. Elle était vivante.
L'air dans sa gorge la brûla soudainement et elle ouvrit grand les yeux en toussant.
Le soleil brillait, à travers la fenêtre, et la réverbération de la lumière l'étourdit. Autour d'elle, tout était blanc, le lit, les draps, les murs... Elle était allongée, oui, mais où était-elle?
Elle essaya de se redresser sur ses coudes, mais sentit un brusque pincement à l'intérieur de son bras. Baissant les yeux, elle découvrit un cathéter logé dans la veine de son avant-bras... Une perfusion. Les pièces du puzzle commencèrent à se mettre en place dans sa tête. On avait dû l'emmener à l'hôpital après son évanouissement...
Mais elle n'avait pas besoin de perfusion. Elle allait l'arracher de son bras lorsque la porte de la chambre s'ouvrit sur une infirmière, qui la regarda avec de grands yeux écarquillés avant de se ruer vers elle:
- Mais mademoiselle, voyons, arrêtez, il ne faut pas ôter votre perfusion! Pour le moment, vous en avez encore besoin!
Mélinoé reposa ses mains sur les draps, surprise par la véhémence de l'infirmière:
- Excusez-moi, bredouilla-t-elle. Je... Où suis-je?
- Vous êtes à St Thomas' Hospital...
L'hôpital de Londres. Elle était toujours à Londres.
- Mademoiselle, pouvez-vous me donner votre nom, votre âge... Et si vous avez une connaissance que nous pouvons prévenir...?
Macaria... Macaria était une Inanimée, et c'était elle qui avait retrouvé Mélinoé, quand celle-ci était"née", c'est-à-dire apparue simplement sur Terre, un peu plus jeune... Les Inanimés vieillissaient, en effet. Et, un jour, comme ils étaient apparus, ils disparaissaient. En attendant... Macaria travaillait à St Thomas' comme aide-soignante!
- Je m'appelle Mel, finit par lâcher Mélinoé. Mel Smith. J'ai dix-neuf ans.
C'était l'âge que lui donnaient les humains, en général.
- Je connais quelqu'un qui travaille ici, termina-t-elle. Macaria Prevost. Aux soins palliatifs.
Une brève vision de Macaria s'imposa dans l'esprit de Mélinoé. Sa voix, où flottait un léger accent français: "Désolée, Mel, mais moi je suis non-violente. Je ne prends que les âmes qui sont prêtes à venir à moi... Ou du moins, qui m'en donnent l'impression..."
- Vous voyez de qui je parle?demanda-t-elle avec espoir.
L'espoir. Encore un sentiment.
Épuisée, perdue, elle se laissa retomber en arrière, sur les oreillers immaculés, tandis que l'infirmière murmurait:
- Je vais demander. Je reviens,d'accord? Juste, gardez encore la perfusion...
- Oui... souffla Mélinoé.
Elle était fatiguée... Elle ne s'était jamais sentie aussi faible. Macaria remarquerait-elle que quelque chose avait changé? Mélinoé ne voulait pas qu'elle sache. Si elle révélait son secret, l'Inanimée sentait confusément qu'elle serait dès lors potentiellement en danger. Pour l'instant, il ne s'était rien passé. Les choses devaient continuer ainsi.
Sans vraiment s'en rendre compte, elle sombra dans un sommeil comateux.
"Tu ne fais plus partie des nôtres. Tu es comme les vivants."
Mélinoé aurait voulu contredire ces voix, mais elle n'était pas assez sûre d'elle pour pouvoir hurler qu'elles avaient tort. Ses mots, trop faibles restaient piégés dans son esprit...
Elle était perdue. Perdue.
Elle devait se retrouver. Ou du moins se faire croire que tout allait bien.
- Mel! Mel, tu m'entends?
La voix de Macaria se fraya un chemin jusqu'à elle, depuis le monde extérieur dont elle aurait tout simplement voulu nier l'existence. Pourtant, elle se força à ouvrir les yeux, ne serait-ce que pour jouer la comédie:
- Macaria, chuchota-t-elle, tu es venue!
- Mel, bien sûr que je suis venue. Tu aurais voulu que je fasse quoi? Tu es ma... meilleure amie.
Oui, ce qui se rapprochait le plus d'une amie, pour une Inanimée.
- Tu as de la chance, soupira Macaria en rajustant distraitement son chignon blond. Dans quelques minutes, je débauchais. Bon, je vais m'arranger avec les responsables, attends-moi ici.
Elle partit d'un pas assuré, sa petite silhouette disparaissant hors du champ de vision de Mélinoé. Discrète, posée, consciencieuse... Macaria était tout son contraire, mais étant l'aînée de Mélinoé de quelques années, elle ne cessait de lui venir en aide lorsque celle-ci faisait face à des situations un peu compliquées à gérer seule... Comme en ce jour.
Peu de temps après, Mélinoé vit Macaria revenir, les talons qu'elle portait pour compenser sa petite taille claquant sur le dallage. L'Inanimée grimaça. Elle sentait la migraine renaître dans son crâne...
- Bon, allez Mel, c'est bon, je te ramène, ils te lâchent, du moment que je reste avec toi sur le retour...
- Génial! Merci, Macaria...
- Tu peux te lever?
- Je vais essayer.
Mélinoé repoussa ses draps et s'assit au bord du lit, posant ses pieds sur le sol. Lorsqu'elle se leva, la tête lui tourna un peu, mais son vertige se dissipa très vite, tout comme la douleur dans sa tête.
- C'est bon, assura-t-elle, on peut y aller.
- Tu n'avais rien avec toi en arrivant? demanda l'Inanimée blonde en parcourant la salle du regard.
- Non, rien du tout, soupira Mélinoé.
Elle était tellement soulagée. Voir sa "tutrice" à présent, maintenant qu'elle en avait besoin, maintenant que ce qu'elle craignait le plus était de se retrouver seule... C'était un véritable soulagement. Comme toujours, Macaria arrivait à point nommé. Peut-être ressentait-elle que Mélinoé, qu'elle avait pris sous son aile dès sa "naissance" avait besoin d'elle... Peut-être les deux Inanimées partageaient-elles un lien spécial...
- Allons-y, décréta Macaria. Le moins longtemps tu seras vue ici, le mieux ce sera. Je ne sais même pas si tu es recensée à l'état civil, il vaut mieux qu'on s'en aille avant que l'hôpital ne créée un dossier et ne fasse des recherches approfondies sur toi...
- D'accord, acquiesça Mélinoé. N'empêche, je ne vois pas à quoi ça les mènerait. J'ai donné un faux nom... Je donne toujours des faux noms.
- Je sais. Allez, partons.
Et Macaria lui prit le bras pour l'entraîner hors de la chambre blanche, tandis que Mélinoé se laissait gagner par le soulagement de quitter les couloirs immaculés de St Thomas' Hospital.
Plus tard, installée dans le petit salon de l'appartement de Macaria, une pièce que Mélinoé appréciait beaucoup car elle s'y sentait étrangement protégée, elle commença à se raviser. Peut-être devait-elle lui dire ce qui lui arrivait... S'il y avait une personne en laquelle elle pouvait avoir confiance, c'était bien Macaria...
Cette dernière lui tendit un verre d'eau fraîche, et alors, Mélinoé se décida:
- Macaria...
- Oui?
- Je ne suis pas sûre, mais... Je crois que j'ai... ressenti quelque chose, tout à l'heure.
Les mots avaient roulé dans sa bouche avec un goût étrange, le goût de l'inconnu, sans doute. En quelques secondes, Macaria était auprès d'elle et lui enserrait les épaules de ses bras, la forçant à la regarder droit dans les yeux:
- Non, Mélinoé, ce n'est pas possible, ça, tu m'entends? Si tu ressentais quelque chose, tu serais morte. Si tu ressentais quelque chose... tu n'aurais plus de but, tu m'entends? Et ça, ça te tuerait.
Macaria insista sur le dernier mot, la voix pressante.
"Tu m'entends? Ça te tuerait."
Mélinoé écarquilla les yeux. Ce n'était pas une simple phrase, une phrase quelconque. Ce n'était pas une phrase à prendre à la légère. Sa"tutrice" essayait de lui faire passer un message. Il fallait qu'elle reste une Inanimée, ou du moins, continue à agir comme telle. Ou elle allait mourir. Pour de bon. Sans retour possible.
C'était une mise en garde.
Elle se figea, et Macaria ôta sa main de son épaule, devinant qu'elle avait compris.
- Je vais te préparer quelque chose à manger, déclara son aînée. Pour cette nuit, tu dormiras ici. Et ne discute pas. Tu regagneras ton QG sordide demain.
- Ce n'est pas sordide... protesta faiblement Mélinoé.
Mais elle ne pensait pas vraiment aux mots qu'elle prononçait, en réalité. Elle parlait pour meubler le vide de l'inconnu qui hurlait en elle.
Elle pensait à autre chose.
Elle pensait que si quelqu'un d'autre apprenait son secret, cela signerait sans doute son arrêt de mort.
- Allez, mange, insista Macaria en voyant que Mélinoé remuait sa cuillère dans son plat de haricots à la sauce tomate sans vraiment y toucher. Ça te remettra d'aplomb.
Sa cadette se força à avaler une bouchée, mais il lui semblait avoir le cœur au bord des lèvres.
- Il faut que tu manges, Mel, parce qu'il faut que tu reprennes très vite le... boulot. Tu sais que nous ne sommes pas censés prendre de vacances.
- Oui, je sais, soupira Mélinoé, la bouche pleine.
Sa bouchée avait décidément du mal à passer...
Elle réussit finalement à l'avaler et continua:
- Ne t'en fais pas, demain, je retournerai chez moi, vérifier que tout est en ordre, et le soir, je recommencerai comme avant.
- Bon. C'est bien. Tant mieux.
Mélinoé entraperçut furtivement les mains de l'autre Inanimée se tordre, à moitié cachées par l'angle de la table. Macaria était inquiète... Ou tout du moins mal à l'aise, mais... Non! Elle ne devait pas l'oublier, c'était une véritable Inanimée, elle! Elle ne ressentait rien... Si elle agissait ainsi... C'était qu'elle devait être indécise. Elle ne devait pas savoir quoi faire. Mélinoé commença à s'inquiéter: et si elle l'abandonnait? Et si elle la dénonçait?
Entre-temps, Macaria s'éloigna pour déplier le canapé-lit qui faisait l'angle de la pièce. Non. Elle devait lui faire confiance. Elle n'avait que Macaria. Si elle la perdait, maintenant, cela signifierait que son existence deviendrait un enfer. Alors, si cette hypothèse se confirmait, pourquoi s'obstiner à survivre?
- Merci, Macaria, répéta encore une fois Mélinoé.
Advienne que pourra.
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