Chapitre 1
La boîte de nuit était illuminée par de multiples rais de lumière, verts, bleus, mauves.
La musique, un fracas assourdissant de basses, résonnait si fort que l'on aurait presque pu se noyer parmi les sons. La salle était pleine à craquer de danseurs, une foule qui semblait bouger comme une seule masse en suivant les pulsations jaillissant des enceintes. Des corps, si proches les uns des autres qu'ils en devenaient un seul, ou presque...
"Je n'ai pas d'âme."
Parmi la foule, une fille dansait. Ou plutôt, une jeune femme. Ses boucles sombres voltigeaient alors qu'elle agitait la tête au rythme de la musique, captant les rayons rouges des projecteurs. Elle n'attirait pas toutes les couleurs, mais le rouge, lui, semblait la nimber comme une aura.
La danseuse se retourna, dans un mouvement gracieux, dévoilant un visage aux pommettes hautes et aux yeux couleur caramel. Sa bouches'étira en un sourire enjôleur.
"Mais comme je ne suis pas humaine, je n'en ai pas vraiment besoin."
A côté de la jeune femme, un garçon d'environ vingt ans apparut en riant, deux verres à la main dans lesquels chatoyait un cocktail aux reflets ambrés. Elle le força à les poser sur une table non loin d'eux pour passer ses bras autour de son cou, lentement, possessivement.
Puis, elle l'embrassa.
Et elle le laissa l'embrasser en retour, se figeant au milieu de la marée humaine qui dansait toujours.
"La seule chose que j'ai à faire, c'est voler l'âme des humains. C'est facile. Si j'en avais une, je trouverais peut-être ça drôle. Ou pas. En général, je ne ressens rien. Non, en fait, je ne ressens jamais rien.
Je ne suis pas un fantôme. Un fantôme, vous ne le verriez pas. Il prendrait votre âme, et, comme ça, d'un instant à l'autre, vous seriez mort. Ou frappé de démence.
Je suis une Inanimée.
Je n'ai pas d'âme, mais je suis ici pour prendre la votre."
Les ombres avaient toujours existé. Elles avaient pu symboliser un jeu, une danse, ou encore, un cauchemar.
Depuis la nuit des temps, elles avaient souvent représenté la mort.
Et l'inconnu, ce que les hommes n'avaient jamais réussi à comprendre entièrement.
Mais au final, la mort et l'inconnu avaient énormément de points communs.
"Dans chaque légende, il y a une part de vérité. Vos monstres, sirènes, banshies, changelings, existent, mais pas comme vous autres humains les avez toujours imaginés. Nous vous ressemblons. Mais nous n'avons pas d'âme. Notre seule quête est de voler la votre, mais elle n'est pas pour nous."
Et plus les ombres avaient été nombreuses, plus les ténèbres s'étaient faites épaisses, plus elles avaient effrayé les hommes.
"L'âme que nous volons revient à un être que je n'ai jamais vu. Celui auquel nous sommes assujettis. Nous, nous avons droit à ce frisson lorsque l'âme quitte le corps. C'est tout. Et c'est sans doute assez. Certaines banshies prennent la liberté de manger les corps. Ça ne m'intéresse pas. Je fais mon travail. Et je peux dire que je suis assez professionnelle."
Dans la boîte de nuit, la fille aux cheveux aux reflets de sang entraîna son compagnon vers une porte dérobée, à la poignée couverte d'une épaisse couche de rouille , qu'ils franchirent tous les deux. Après avoir dévalé les quelques marches menant à une cour vide, elle plaqua le jeune homme contre le mur et se remit à l'embrasser.
"Je m'appelle Mélinoé. Mais la plupart des gens me connaissent sous le nom de Mel."
Les mains fines de Mélinoé glissèrent sur la poitrine de sa proie, qui continuait de l'embrasser, sur la bouche, le front, les tempes. Puis elles se mirent à scintiller, gagnant en éclat à chaque seconde.
Au départ, le jeune homme n'eut pas l'ombre d'une réaction. Mais, brusquement, un air horrifié s'afficha sur son visage, et il tenta de s'écarter de Mélinoé. En souriant, celle-ci le retint, l'obligeant à garder son front proche du sien, tandis que sa proie commençait à suffoquer, incapable de s'arracher à son étreinte.
Finalement, le jeune homme s'effondra ,et Mélinoé relâcha sa prise, laissant son corps s'affaisser à terre tel un pantin inerte.
Dans les yeux de sa proie, l'Inanimée entrevit son reflet, dénué de toute vie. Il était mort.
Il avait eu les yeux noisette, avec quelques paillettes dorées, un mélange plutôt agréable à regarder, et...
Brusquement, Mélinoé perçut un flash, sur la pupille de sa proie. De sa proie morte.
Surprise, elle bondit en arrière:
- Putain... souffla-t-elle. C'était quoi, ça?
En respirant profondément, elle leva les yeux vers le ciel nocturne de Londres. Une étoile filante le traversa furtivement, une étoile un peu plus transparente que celles que contemplaient habituellementles humains ordinaires.
Une âme traversa la voûte céleste, et Mélinoé soupira de soulagement. Elle avait accompli sa mission, quoi qu'ait pu signifier cette étincelle dans les yeux de sa proie...
- Visiblement, chuchota-t-elle pour elle-même, le Big Boss va recevoir le colis...
L'Inanimée jeta un dernier regard à sa victime:
- Le pauvre, quand même, chuchota-t-elle pour elle-même.
Elle se tut un bref instant, tandis qu'un frisson glacé remontait le long de sa colonne vertébrale,puis plaqua sa main sur sa bouche.
- Non, lâcha-t-elle d'un ton incrédule. C'est une blague. Je m'en fous, de tuer quelqu'un.Pourquoi je me sens comme ça? Pourquoi... Attendez. Pourquoi je ressens quelque chose? C'était pas comme ça, avant. Bon sang, mais qu'est-ce qu'il se passe?
Ce n'était pas normal. C'était tout ce que Mélinoé parvenait à penser.
Voilà ce qu'elle se répétait intérieurement, tel un refrain ensorcelant.
"Ce n'est pas normal."
Elle sentait son cœur se serrer, en regardant le corps qui gisait à terre. Et étonnamment, elle connaissait le mot qui correspondait à ce sentiment. La... Culpabilité.
Elle était coupable.
Et pourtant, elle était une Inanimée! C'était son devoir qu'elle avait accompli, elle n'avait pas à se sentir coupable!
Elle n'avait pas à ressentir quelque chose!
Elle frissonna convulsivement, comme si quelqu'un l'avait touchée à son insu, mais il n'y avait personne autour d'elle.
Il y avait quelque chose dans cet endroit qui n'allait pas. Elle ne devait pas rester là.
Mélinoé se détourna et s'empressa de quitter la ruelle à grands pas, essayant à tout prix de faire taire la voix qui murmurait en elle.
"Ce n'est pas cet endroit qui a un problème, c'est toi. C'est toi qui as un problème."
"Tout va bien. Point. A la ligne."
Mélinoé se répétait inlassablement ces mots qui, peu à peu, perdaient leur sens. Qui, peu à peu, l'effrayaient, plus qu'ils ne la rassuraient.
"Tout va bien."
Un pas. Un autre.
Mais où allait-elle ainsi? Elle ne savait même pas. Il lui semblait que ses jambes ne lui appartenaient plus, qu'elles avançaient simplement pour se faire croire que tout était normal. L'angoisse la submergea.
L'angoisse! Elle faillit rire de dépit: enfin, elle était une Inanimée! S'il y avait quelque chose qu'elle n'était pas censée connaître, c'était bien l'angoisse, ou la peur!
"Tout va bien."
Elle passa devant un bar, resserrant son blouson d'aviateur autour d'elle. Il faisait froid en ce début d'automne à Londres, et elle ne portait qu'un top et un short sur de minces collants noirs. L'une de ses Doc Martens buta sur le rebord du trottoir, et cela la déstabilisa de plus belle. Avant, elle n'avait jamais trébuché!
Elle fit quelques pas de plus, et reconnut vaguement l'entrée d'une des autres boîtes de nuit où elle traquait ses proies... Mais alors, sa vision se brouilla, et elle manqua tomber.
Tomber vraiment, cette fois, et plus seulement trébucher.
Elle se força à se redresser et continua, mais alors qu'elle passait devant le videur, elle se sentit faiblir. Elle n'arrivait même plus à voir clairement!
- Mademoiselle, ça ne va pas?
La voix du videur se fraya un chemin à travers le brouillard pourpre qu'elle ressentait autour d'elle, se resserrant, en core et encore...
- Mademoiselle?
Elle remarqua qu'il avait une cicatrice sur la joue, une petite coupure en forme de demi-lune... Sa peau était loin d'être parfaite comme celle de Mélinoé...
Alors, l'Inanimée sentit ses genoux se dérober sous elle. Elle vit le gardien accourir pour l'aider, devenant une silhouette de plus en plus floue, puis sa vue l'abandonna à son tour.
- Elle fait un malaise... Mademoiselle, vous m'entendez? Je crois que... Vous, appelez les urgences! Elle perd connaissance!
Avant de sombrer définitivement dans l'inconscience, Mélinoé repensa à nouveau à la cicatrice sur la joue du videur. Il n'était pas parfait, il était humain... Mais elle, l'Inanimée... Elle non plus, elle n'était plus parfaite. Ils'était passé quelque chose, mais cela avait eu des conséquences qu'elle n'osait pas se représenter. Mais quelque chose venait de se terminer. Désormais, c'était comme si elle avait franchi un seuil,sans possibilité de retour.
"Ton passé est mort, Mélinoé. Il est mort. C'est fini."
* * *
J'espère que ce premier chapitre de ma toute nouvelle histoire vous aura plu!
N'hésitez pas à me laisser votre avis, ou même si vous avez des idées sur la suite, ce qui va pouvoir arriver à Mélinoé...
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