Tailler la haie, arroser les plantes

T a i l l e r  l a  h a i e , a r r o s e r  l e s  p l a n t e s

  Leurs bagages sont remballés à la hâte. Ils embrassent une dernière fois le paysage, le canal, le camping, et se dirigent en direction de la gare de Châteaulin où ils prendront le TER pour Quimper. Gaël ne souffre plus du tout à la jambe mais ses épaules tirent un peu, plus habituées à porter une charge lourde. Encore une fois il ne cesse d'être impressionné face à la force d'Alice qui n'a jamais rechigné. Il se dit qu'elle a dû porter un plus lourd fardeau et rien que pour cela, il en tombe amoureux.

Une fois leurs billets achetés puis installés dans le train, ils échangent sur les prochains jours à suivre. Alice pourra bien évidemment rester chez le père de Gaël si elle le souhaite ou bien prendre campement en campagne. Elle préfère pour l'instant la dernière option, n'aspirant pas à interférer dans l'intimité d'un père et de son enfant. Celui-ci est soucieux. Il a gigoté toute la nuit ne donnant aucun répit à Alice. Elle prend sur elle. D'ailleurs, en signe d'encouragements, elle caresse sa main délicatement. Elle lui indique qu'elle est là, qu'elle ne partira pas.

Une heure à peine plus tard, ils arrivent enfin à Quimper.

-          C'est dommage que nous soyons que de passage. Tu aurais adoré cet endroit, surtout pour son architecture et son énergie. Je te promets que l'on y retournera et que ce sera à mon tour de conter son histoire.

-          Attention je serai prête à te prendre au mot ! Dit-elle dans le but d'alléger l'atmosphère plutôt tendue depuis la veille.

  Après le TER, c'est le car qu'ils prennent pour rejoindre Douarnenez. Gaël somnole. Epuisé. Sa jambe tressaute, signe de stresse. Dans quel état va-t-il retrouver son père ? Et si c'était trop tard ? Et s'il ne pouvait plus rien faire pour lui ? Et s'il avait chuté dans ce fameux trou noir... ? Le supporterait-il ? C'est déjà bien assez difficile de l'observer se murer dans son mutisme... Il se sent tout à coup impuissant. La sensation d'irresponsabilité reprend le dessus. Ils auraient dû se soigner à deux, pas lui de son côté... Dehors le temps aussi est morose. Les gouttes s'abattent sans scrupule sur la vitre. Gaël les observe, pensif.

  Une heure de remords écoulée, ils empruntent le bus comme dernier transport en commun puis marchent pour se rendre chez le père de Gaël. En arrivant la voisine les accueillent, à la fois soulagée et affolée.

-          Je suis contente que tu sois là. C'est de pire en pire... Si je n'avais pas été là, j'ignore s'il se serait nourrit totalement. Depuis hier il refuse en secouant sa tête et en fermant la bouche !

-          Merci infiniment Jeanne de t'être occupée de lui. Remercie-t-il en entrant dans le hall d'entrée. Pardon d'être parti si longtemps...

-          Ne t'excuse pas pour ça mon petit. Tu as raison de vouloir guérir à ta sauce. Mais c'est bien que tu sois rentré. Il va vraiment falloir que l'on s'occupe sérieusement de lui. Oh je vois que tu es venu accompagné ! Mes excuses ! Enchantée, je suis Jeanne. Se présente-t-elle en l'étreignant. Entre donc ! Tu vas être trempée.

-          Voici Alice. On a parcouru un bout de route ensemble. Elle va être ici, à mes côtés.

-          Enchantée, Jeanne. Sourit chaleureusement Alice.

-          Comment ça ? Tu veux dire qu'elle dormira là ? Non non non. Le climat est beaucoup trop maladif ici. Tu peux séjourner chez moi si tu le souhaites. J'ai une chambre de libre qui appartenait à ma fille, mais tu te doutes qu'elle a grandi et donc qu'elle est inoccupée depuis bien trop longtemps.

  Pendant que les deux femmes font connaissance, Gaël entre dans le salon où son père est installé sur le canapé. La télévision est éteinte. Rien n'a changé depuis son départ, si ce n'est que des cernes se sont gravement creusés sous ses yeux et que ses phalanges sont plus saillantes qu'avant. Il s'agenouille à ses pieds. Il ne semble même pas le remarquer.

-          Papa ?

  Pas de réponse. Même pas un mouvement oculaire. Le néant. Seul sa respiration lente indique qu'il vit encore.

-          Papa c'est moi, c'est Gaël. Je suis là. Je suis de retour. Est-ce que tu m'en veux ?

  Toujours rien. Gaël attrape sa main. Elle est glacée. Alice et Jeanne retrouvent Gaël dans la salle à manger. Il est terriblement soucieux.

-          Il ne réagit même pas à ma présence... Constate-t-il peiné en se frottant la barbe qu'il a finalement laissé pousser. 

-          Ça ne m'étonne pas. Je l'ai sorti du lit chaque matin et je l'ai couché chaque soir. Il a l'air absent. Non, il est absent.

-          Je pense qu'il a besoin de réagir. Comme toi Gaël, il vaudrait mieux que ton père renouvelle son oxygène. Ici il revit en permanence les souvenirs qu'il avait avec son épouse. Il doit s'imaginer son fantôme entre ces quatre murs... Suggère l'invitée.

  L'idée n'est pas mauvaise. Que perdent-ils à essayer ? Jeanne évoque un placement en maison de repos. L'un de ses amis y est allé et a pu se reconstruire tranquillement. De plus, c'est une occasion de s'ouvrir à nouveau aux autres, de rencontrer des gens vivants la même situation, ce qui peut être bénéfique, tout comme ça l'a été pour Gaël. Il est temps de tailler la haie avant qu'elle ne prenne trop d'ampleur. Avant qu'elle n'enfouisse toutes les jolies fleurs, toutes les lumières environnantes. Tailler la haie afin de garder une vue splendide. Retrousser les manches. Y aller franco.

  Alice propose à Jeanne de l'aider à changer les draps pendant que Gaël prépare le repas. Il refuse que son père se laisse mourir de la sorte.

  Le restant de la journée oscille entre prise de rendez-vous et rangements. Gaël a réussi à convenir d'un entretien avec la directrice de la maison de repos se trouvant à Brest. C'est un peu loin, mais peu lui importe. Alice quant à elle a émis l'avis de redonner des couleurs à leur maison en repeignant des murs, accrochant quelques cadres, mettre des fleurs, pourquoi pas des hortensias d'ailleurs. Ils s'affaireront les jours à suivre.

  Une semaine file. Il est temps que des personnes qualifiées s'occupent du père de Gaël. Evidemment celui-ci ne peut s'empêcher de pleurer. Néanmoins il se rassure en se disant qu'il est entre de bonnes mains. Il séjournera là-bas pour une durée de trois mois. C'est ce qu'il lui a été conseillé. En revanche si cela ne suffit pas il pourra bien-sûr demeurer plus longtemps. Il a à sa disposition un terrain neutre avec de nouvelles personnes et une psychologue attitrée. Synonyme de nouveau départ s'il le souhaite et s'il se sent prêt.

  Voir son père a été le déclic qu'il fallait à Gaël. Ne pas vouloir sombrer. S'accrocher aux pans d'une vie qui malgré tout est alléchante. Il y arrivera. Il le sait désormais.

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