Épilogue


Ils vécurent heureux...


— Et ensuite, Papy ?

Assis sur le banc, de part et d'autre de Max, Hector et Arthur trépignaient. Le premier balançait les jambes en rythme, le second ne cessait de se lever, gambader un instant dans l'herbe rase, puis venir se reposer, comme un oiseau curieux.

— Ensuite, reprit Max, nous avons ramené les deux héros dans l'hélicoptère et nous nous sommes envolés.

— Qui les a ramenés ?

Max fronça les sourcils, rassemblant ses pensées, puis haussa les épaules.

— Je ne sais plus bien. Sans doute... sans doute Simon et Khalid. Ou certains de leurs hommes. Je ne me souviens plus clairement, ça remonte à presque quinze ans, ma mémoire n'est plus ce qu'elle était.

— Il devait être drôlement grand, cet hélicoptère, pour mettre autant de gens dedans, remarqua Hector, sourcils froncés.

Max grimaça une seconde puis acquiesça, incertain.

— Peut-être que nous avons fait deux trajets, déposé Leo, Nina et Yann en sécurité, puis nous sommes revenus pour les autres. Toujours est-il que nous les avons emportés jusqu'à notre base, où Tati Alex attendait avec son équipe médicale. Ils se sont occupés de la blessure d'Hector et aussi d'Arthur.

— Il avait quoi, exactement, Arthur ? demanda l'enfant qui portait son nom.

— Il avait pris une balle... non... Je crois... Je ne sais plus. Ce n'est pas moi le médecin ! Il était très faible, en tout cas, après tous ces jours où il avait été emprisonné. Ils sont restés alités quelques temps, pendant que tout se résolvait. Miles Baden a été arrêté et les locaux de Légendes ont été perquisitionnés... fouillés, si vous voulez. On a découvert qu'il se livrait à toute une série d'expériences dangereuses, qui ont été arrêtées, qu'il truquait le Tournoi, et puis le film de ce qui s'était passé dans l'arène a commencé à circuler sur les réseaux. Les invités se sont plaints de la catastrophe, les langues du personnel se sont déliées... On a découvert qu'un nombre étrange de ses collaborateurs étaient décédés et qu'une partie d'entre eux...

— Et Hector et Arthur ? l'interrompit Arthur, que ce genre de détails techniques intéressait peu.

— Une fois qu'ils ont été rétablis, nous les avons accompagnés jusqu'à la Lisière de Big Blue Banana et nous les avons libérés dans la Nature.

— Papy, c'est interdit, d'aller dans la Nature, remarqua Hector.

— C'est vrai. Mais tu oublies qu'ils n'étaient pas des êtres humains. Seuls les êtres humains sont interdits de Nature.

— Tandis que les héros peuvent y aller, compléta Arthur.

Hector se retourna sur le banc, frôla le tronc du tilleul qui poussait derrière eux, puis y posa l'oreille.

— Mais pourquoi tout le monde dit que les héros sont tous morts, alors, quand il y a eu l'attaque ?

— Parce que s'ils avaient su que des EBA s'étaient échappées, ils les auraient poursuivies. Alors on a dû cacher que certaines avaient survécu.

Hector acquiesça, pensif.

— Est-ce que les acteurs étaient aussi des EBA ? demanda Arthur.

— Tous ont été testés. Seul Yann l'était, comme il l'avait correctement déduit, un fait dramatique qui a pesé très lourd au moment du procès de Miles. Tous les autres étaient eux-mêmes.

— Mais pourquoi Serena détestait Miles, alors ?

— Miles avait... des vidéos compromettantes sur Serena.

— C'est quoi une vidéo compromettante ?

— C'est une vidéo où tu mets tes doigts dans ton nez ou bien tu fais un prout, répondit Hector.

— Eeeek ! s'exclama son frère, scandalisé.

Max rit et ébouriffa les cheveux châtains de l'enfant.

— Voilà, il avait ce genre de choses. S'il les avait diffusées, ça aurait détruit sa carrière.

— Mais si Yann était une EBA, il aurait dû aller dans la forêt avec Arthur et Hector, reprit le jeune Hector.

— C'est vrai, admit Max.

Il secoua la tête, haussa les épaules, se tapota le front d'un doigt. L'âge le rendait parfois hésitant.

— Je ne me souviens plus pourquoi ça ne s'est pas fait comme ça. Peut-être parce que Yann ne l'a pas voulu, qu'il n'imaginait pas aller vivre dans la Nature, lui qui ne connaissait que notre modernité. Toujours est-il que son cas a été débattu dans les plus hautes assemblées. Certains voulaient... qu'il soit endormi.

— Tué, tu veux dire, Papy, le corrigea Hector.

Arthur frissonna, sauta du banc, grimpa dessus à nouveau puis se blottit contre l'épaule du vieil homme.

— Tué, oui. Ils avaient peur de ce qu'il aurait pu faire.

— C'était juste un acteur, remarqua Hector.

— Oui. C'est ce que nous avons plaidé, et nous avons obtenu qu'il soit épargné. Nous l'avons accueilli ici, à l'institut, où il a vécu jusqu'à son décès, un an plus tard.

— Un an seulement ? s'étonna Arthur.

— Oui. Tu vois, les EBA avaient des capacités de croissance exceptionnelles, elles passaient de petite cellule à adulte très très vite... mais leur corps vieillissait aussi à un rythme accéléré.

— Alors ils étaient bébés puis grands, puis vieux, tout de suite ? demanda Arthur.

— Oui. Nous le savions, nous l'avions étudié. C'est Leo qui avait fait cette découverte la première, dans ses travaux, quand elle était encore à la grande école. Certains de leurs organes internes, une fois lancés dans le processus de maturation, continuaient à accélé...

— Donc Arthur et Hector, dans la forêt, ils sont aussi morts depuis longtemps, l'interrompit Hector.

Max en fut décontenancé. Le gamin marquait un point.

— Je crois... Oui, sans doute, tu as raison. Mais Yann était une version que Miles pensait avoir améliorée, en le faisant grandir encore plus vite. Donc ils ont pu survivre plus longtemps, qui sait ?

— Tu n'as jamais eu envie d'aller voir ? demanda Arthur. Ce qu'ils sont devenus ? Trouver leur squelette ?

— Leur squelette ?

— Moi j'aime bien les squelettes, remarqua le gamin. Celui d'éléphant, au Musée, il est juste in-cro-ya-ble ! Et la baleine ! C'est la seule manière qu'on sait qu'ils ont vraiment existé, en plus. Parce que les images, ça fait que mentir.

Max rit tandis que le garçon escaladait ses genoux décharnés et s'y installait à califourchon.

— Arthur et Hector avaient un squelette humain. Comme le tien, ou le mien. Mais non, je n'ai jamais voulu aller voir. Comme ton frère l'a dit, c'est interdit. Et puis... Savoir qu'ils ont eu cette seconde chance, ça m'a suffi. Je n'avais plus rien à faire dans leur vie.

Son front se barra d'un pli, peut-être l'ombre d'un regret. Avait-il eu cette envie, d'aller voir, est-ce qu'on l'en avait dissuadé ? Il n'était plus certain. 

— Et Nina ? Et Leo ? Elles ont fait quoi, après ? demanda Arthur.

— On s'en fiche de Nina et Leo, aboya Hector. Moi je veux savoir pour Miles.

Max posa une main apaisante sur son dos, mais se tourna vers son jumeau.

— Nina et Leo... ont repris leur vie. Dès que Nina en a eu l'autorisation, elles sont parties au Canada, un endroit où toute l'histoire de Légendes n'a pas pu les poursuivre. Depuis, Nina joue dans des films, Leo est retournée travailler à l'université.

— Elles étaient amoureuses ? demanda Arthur.

Hector se fendit d'une grimace monumentale, lui qui n'était guère sentimental.

— Non. Juste bonnes amies. Je pense. Je ne leur ai jamais demandé.

— J'aimerais bien voir un film avec Nina, murmura Arthur, rêveur, la joue contre la poitrine de son grand-père.

— Et Miles ? Est-ce qu'ils ont puni Miles ? répéta Hector.

— Miles est mort en prison, il y a huit ans, un peu après votre naissance. Il a développé une maladie du cerveau qui l'a tué en quelques mois.

— Je comprends pas pourquoi Hector l'a pas tué.

— Je pense que... c'est parce que pour Hector, c'était important de se prouver qu'il pouvait ne pas le tuer, alors qu'il en avait envie et qu'il pouvait le faire. Que les héros n'étaient pas des meurtriers, contrairement à ce que tout le monde disait.

Hector ne parut pas convaincu, croisa les bras.

— Moi je trouve qu'il aurait pu le tuer.

— Je comprends.

— Et lui, ce n'était pas une EBA, Miles ?

— Non. Il aurait bien aimé changer de corps quand le premier aurait été trop vieux, mais il n'a jamais réussi à copier un esprit pour le transférer dans toute sa richesse et sa continuité, et non comme un nouvel être aux souvenirs artificiels... ni à créer un corps assez solide. Pourtant il essayait.

— C'est Tati Alex qui va y arriver la première, s'exclama joyeusement Arthur. C'est la plus forte !

— Tati Alex ne travaille pas sur ce genre de choses, Art.

Les deux garçons le dévisagèrent comme s'il proférait le plus gros mensonge de tous les temps, puis s'égaillèrent subitement dans le gazon, bondissant comme des cabris. Une fois en mouvement, ils devenaient interchangeables, deux garnements adorables, identiques, un miracle de la nature, fréquent chez les Devereux.

— Bon, alors, toi tu es Miles ! s'exclama l'un.

Son frère se figea, outré.

— Quoi, non mais non, moi je suis Hector ! répondit-il.

— Tu es TOUJOURS Hector ! Cette fois c'est MOI !

— Mais tu t'appelles déjà Hector dans la vraie vie ! Alors quand on joue, c'est moi !

C'était donc Arthur.

— PAPYYYYYY ! beugla Hector.

— Oui, oui, je ferai Miles, intervint Max. Pas de problème.

Il leva les yeux au ciel, croisa le regard de sa soeur qui l'observait depuis l'ombre du porche, et se leva.


Dans le dos d'Alex, l'Institut Devereux pour la Santé Génétique Responsable se déployait, tout en courbes, ombres et lumière. Appuyée au bras solide de son neveu, la vieille dame prit une profonde inspiration et invita l'automne dans ses poumons anciens.

— Chaque fois, je me demande... est-ce qu'on a bien fait ? murmura Jeroen.

Alex soupira. Rumination régulière, monotone, inutile.

— Bien sûr, qu'on a bien fait, répondit-t-elle.

Le neuroscientifique acquiesça.

— Quand même... Je me sens...

— Arrête de culpabiliser. Le passé est passé. La seule chose qui s'est produite, c'est celle dont il se souvient. Si nous ne l'avions pas fait, connaîtrait-il ce bonheur ? Il n'y avait pas d'autre solution, tu as vu dans quel état il était.

Un enfant débraillé jaillit devant eux.

— Papaaaaa ! Tu peux faire Nina ?

Alex gloussa et se détacha de son bras.

— J'arrive, j'arrive, protesta Jeroen, tandis que le gamin – Arthur, Alex n'hésitait jamais – le remorquait vers la pelouse où les attendaient Hector et Max.

L'ultime combat prit corps sous les yeux fatigués d'une déesse de la science.

Des héros de légendes, version culottes courtes, contre un monstre sanguinaire, aux traits de grand-père obligeant.

Invincibles, immortels.

Interprétation, transformation, sublimation.

La vérité, un récit formidable, un souvenir perverti.

Peu importait.


Ce qui compte et perdure, au final, c'est ce dont on se rappelle. Ce qui s'est produit, ma foi, peut rester dans l'oubli. 


En somme, tout est bien qui finit bien.

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