82. Never Let Me Go

Hector enferma Miles dans un des caissons de maturation, un sarcophage à la mesure du monstre. Peut-être ses alliés arriveraient-ils à temps pour l'en délivrer, peut-être périrait-il étouffé, le Troyen ne s'en souciait guère. Il aurait pu le tuer, bien sûr, mais la pulsion meurtrière s'était effacée, emportée par les flots d'un épuisement trop longtemps négligé.

Hector pouvait se battre et protéger autrui, mais exécuter un homme à terre dépassait de loin celui qu'il avait le désir d'être. Cela prouvait-il quelque chose ? Là aussi, il ne s'en inquiétait plus.

Il traversa le couloir, déverrouilla la porte de la chambre avec peine, les mains tremblantes, les gestes imprécis, et retrouva Arthur.

Il le poussa pour s'allonger contre lui, sur un matelas bien trop étroit, scandale. Le jeune roi maugréa, et Hector nicha le visage dans le creux de son cou. Il prit une profonde inspiration et n'en garda que le meilleur. Les yeux clos, il pouvait imaginer le lit somptueux dans lequel ils étaient allongés, à Troie ou Camelot, le repos tant espéré après ces heures de lutte incessante. Il ne lui fallait plus rien d'autre, à présent.

Il soupira, Arthur soupira en écho.

— Alors ? demanda le jeune roi dans un souffle. Le Graal ?

— Le Graal est en sécurité, mais je crains d'avoir perdu Excalibur.

— Peu importe, si elle t'a servi.

— Bien servi. Le dragon est terrassé, les princesses sauvées, nous pouvons dormir.

— Tant mieux, murmura Arthur.

Hector resta silencieux, songea à l'hélicoptère distant, à Nina et Leo, Yann, Serena et Théo. À Max et Alex. Loin. Saufs. Sous sa paume, le Breton se crispa, un spasme subit, un nouveau soupir, profond.

— Je suis désolé, reprit Arthur, dans un murmure. Sans ma stupidité, nous n'en serions pas là. J'aurais dû rester auprès de Max, faire confiance à Alex... réaliser que je n'étais pas de taille...

— Chuuuut, l'interrompit Hector.

D'une main tâtonnante, il caressa sa joue humide, gardant son image rayonnante à l'intérieur de ses paupières closes.

— Tu as fait ce qu'il fallait. Agi comme je l'aurais fait. Tu n'as rien à te reprocher. Rien du tout.

Tu n'avais pas le choix. Nous étions bien dressés.

— Je suis pourtant désolé, tellement désolé.

— Ne dis rien. Repose-toi. Je veillerai sur ton sommeil, comme tu as veillé sur le mien.

Il se redressa sur un coude, lui embrassa doucement les lèvres. Le souffle d'Arthur s'était fait saccadé, superficiel.

— Où vont les héros pour se reposer, dans ton histoire ? demanda Hector.

— En Avalon, je crois...

— Et bien nous irons là. Nous l'avons mérité.

Arthur ne répondit rien mais Hector devina qu'il acquiesçait au léger mouvement de son menton contre sa paume. Il se lova contre lui, s'imprégna de son parfum de forêt, de source et de soleil, lui caressa la joue, la gorge et l'épaule, du bout des doigts, en cercles, en arabesques, encore et encore. 

Il le laissa glisser, sans chercher à le retenir, lui qui avait tant résisté, lui murmura des mots doux au creux de l'oreille, jusqu'au moment où le flux qui l'avait soutenu cessa de s'écouler sous sa peau froide. 

Inertie et silence.

Il frôla alors ses lèvres du pouce, chercha le souffle qui s'était tu, puis se força à ouvrir les yeux pour constater l'indicible.

En réalité, Arthur n'avait rien mérité de tout ça. Rien du tout. Il avait mérité la lumière et il avait reçu la nuit.

Hector l'embrassa doucement puis dénoua ce qui restait du pansement qui lui couvrait le flanc. Il affronta le carnage pour la première fois. Le sang se déversait en ruisselets tranquilles, presque épuisé d'avoir tant coulé. La présence des charognards, un étage plus bas, ne lui permettait pas de compter avec la chance, cependant.

Il se dépouilla de la robe de chambre de Miles, fouilla dans la poche, trouva la pilule de Leo et l'avala sans hésiter. L'effet ne fut pas immédiat aussi put-il chercher une position adéquate, contre son amant de quelques jours, de toute une vie. L'idée qu'on les retrouverait enlacés – des tueurs inhumains, des monstres – lui arracha un sourire.

Puis, comme un vent printanier, la torpeur chassa la souffrance, l'angoisse et la fureur.

Ils avaient triomphé, le rideau pouvait tomber.

La lumière qu'il avait cherchée s'épanouit dans son esprit, au coeur de l'ombre, une étoile formidable, qu'il eut envie de toucher. Il prit la main d'Arthur et l'emmena avec lui. 

En Avalon, enfin.

Ils se gorgèrent de merveilles, de silence, dansèrent sous l'arc-en-ciel, se laissèrent consumer.


Jusqu'au rien. 

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