75. Up
Hector n'était pas certain d'adorer ce mode de déplacement confiné, sans aucune vue sur l'extérieur, dans une direction improbable. Son estomac se contracta pour le lui confirmer. C'était malgré tout un instant de répit, dont il devait absolument profiter.
— On va où ? demanda Yann.
— J'ai encodé le vingt-troisième étage, répondit Nina. Les appartements de Miles sont au vingt-deuxième. Si Serena veut vraiment que Thésée fasse son sale boulot, elle l'y aura peut-être emmené. Mais je me suis dit qu'il valait mieux ne pas débarquer directement dans son salon... et les étages supérieurs sont sûrement moins protégés.
— Y'a quoi dans ces étages ?
— Aucune idée.
Elle haussa les épaules.
— C'est un pari, je n'en sais rien.
— Le principal, c'est de mettre un maximum de distance entre nous et eux, je suppose.
Elle acquiesça et posa une main amicale sur son épaule, tandis qu'il grimaçait.
— Je suis désolée pour Lancelot.
— Ne le sois pas. C'était ridicule de ma part. Ça n'aurait rien rattrapé.
Il soupira. Hector observait son visage, y guettant des signes de mensonge, de duplicité, mais n'y voyait que fatigue et désarroi, reflété tout autour d'eux par les miroirs qui tapissaient la cabine. Ils avaient tous la même mine, en vérité, sauf Arthur qui semblait s'être endormi, la joue contre son épaule.
Pendant un instant, Hector le contempla, attendri, son relâchement, son souffle léger, un abandon inspiré par la confiance, comme dans les suites de l'extase. Dans la pénombre de son temple, le Troyen l'avait regardé sombrer peu à peu, l'avait caressé du bout des doigts, le chaume naissant de ses joues, la douceur de sa gorge, tracé des courbes sur sa poitrine, sur son ventre, lui arrachant des frissons alors même qu'il s'offrait au sommeil.
Hector, avait-il murmuré alors, une fois, deux fois, dix, comme pour ancrer son nom au plus profond de lui-même. Le prince avait souri et l'avait embrassé avant de le laisser reposer. Il avait su, en cet instant, que cette union imprévue, un peu brutale, inspirée par la confusion autant que par le désir, n'était pas comme les autres.
Puis le néant avait tout emporté.
Un vent d'inquiétude, ténu, désagréable, souffla soudain sur ses pensées.
— Arthur, murmura-t-il. Arthur ?
Il imprima un léger mouvement au Breton, qui oscilla mollement, inerte.
— Arthur !
Le jeune roi ouvrit brusquement des yeux vitreux et Hector le sentit tomber. Dans l'étroitesse de la cabine, il le maintint tout juste debout, en le coinçant contre la paroi.
— Je me sens très faible, murmura Arthur.
— Il a quoi ? demanda Yann, déjà paniqué.
Ils n'étaient qu'au onzième étage, l'ascenseur grimpait tranquillement, dans un mouvement discret, fluide, parfois animé de vibrations.
— Arthur, reste avec nous, souffla Nina.
Elle sortit une des bouteilles fluorescentes qu'elle avait emportées, la tendit à Hector, qui en dévissa le capuchon puis porta le goulot aux lèvres du jeune homme. Le liquide lui coula sur les joues et il se mit à tousser, puis détourna la tête.
— Il faut qu'on lui donne autre chose, annonça Hector, en contrôlant sa voix. Qu'est-ce qui nous reste ?
Yann fouilla dans les poches de ses braies et exhiba la poignée de pilules.
— On ne sait pas à quoi elles servent, leur rappela Nina.
— Quoi qu'on tente, ça ne peut pas être pire que maintenant, répondit le Troyen.
Il leur restait trois pilules d'éveil, et Hector opta pour l'une d'entre elles. Si elles levaient les effets d'un gaz ou d'un poison incapacitant, sans doute pouvaient-elles balayer un épuisement plus naturel. Il poussa le comprimé entre les lèvres grises du Breton, garda le doigt dans sa bouche jusqu'à sentir qu'il se désagrégeait sur sa langue. Arthur papillonna des yeux, poussa un gémissement discret, tenta de retrouver son aplomb.
— Il a besoin de repos, murmura Hector.
Chose impossible, ils le savaient tous.
— Une fois en haut, nous pouvons peut-être lui trouver un endroit où attendre, le temps de récupérer Leo, offrit Nina.
Un grain de poussière dans cette plaine immense, songea Hector. Qu'imaginons-nous, au juste ?
Il faillit verbaliser l'interdit, que Leo s'en sortirait peut-être mieux toute seule, qu'ils étaient en train de s'enferrer dans un délire qui les condamnait tous. Mais il s'abstint. Pas seulement parce que c'était inutile, que Nina refuserait d'abandonner son amie, mais aussi parce qu'il avait en lui de lutter jusqu'à la mort. N'aurait-il pas dû ouvrir une porte de sortie aux deux acteurs, qui jouaient les héros sans en avoir la nature ?
Qu'est-ce que ça veut dire, dans le fond ?
Arthur tenait à nouveau sur ses jambes mais ne semblait pas tiré d'affaire. La magie d'Alex avait atteint ses limites, piétinées par les mauvais traitements infligés par Miles. Hector songea à soulever sa tunique, à nouveau. L'absence de sang sur ses vêtements devait suffire. C'était de l'épuisement, rien d'autre, le fruit de plusieurs jours de privations cruelles.
Pourtant Miles n'aurait jamais pris le risque d'opposer Arthur à un de ses précieux mécènes sans s'assurer que le jeune roi n'avait aucune chance. Comptait-il simplement sur des entraves physiques ?
Hector s'empêcha de penser plus loin, revint à l'instant présent.
— Je ne suis plus en état de m'opposer à Thésée, murmura-t-il. S'il est belliqueux, si Serena le monte contre nous... Je ne sais pas ce que nous pourrons faire.
Le tirer comme un lièvre, lui souffla une petite voix assassine.
Il se félicita de ne pas avoir emporté de révolver.
— Nous nous débrouillerons, trancha Nina. Je suis Artémis, tu te souviens ?
Il acquiesça, enserra la taille d'Arthur avec plus de fermeté. Autour d'eux, la cabine semblait ralentir, de petites oscillations l'agitaient. Un rectangle gris sombre, placé en hauteur, s'illumina subitement, leur arrachant un cri de surprise conjoint.
Le dessin d'un oiseau stylisé s'y afficha, argent sur fond noir.
Une chouette.
Suivit l'image granuleuse d'une caméra de sécurité : une chambre au lit immense, une femme assise sur l'édredon, Serena, seule. Après quelques secondes, la vue d'une vaste salle de bain se substitua à la chambre. Une petite silhouette s'agitait dans la baignoire, manifestement attachée. La chouette argentée reparut, clignota, disparut, et l'écran redevint noir.
— Qu'est-ce que c'était que ça ? souffla Yann.
— Un message d'Athéna, répondit Hector.
Alex avait parlé d'alliés dans les rangs de Légendes. Ils avaient enfin décidé de se manifester.
— Je me sentirais mieux si Athéna nous avait montré Miles, murmura Yann.
— Elles sont dans ses appartements, murmura Nina, avec un soulagement manifeste.
Mais où est Thésée ? songea Hector.
— Miles est fatalement encore occupé avec ses invités, continua Nina, répondant à Yann. Avec le bordel que c'était dehors...
— Mais tu l'as vu, Miles ? Je n'ai reconnu que Sullivan, Maora et Reine.
— Il était sans doute encore dans le hall.
— Ou alors il a laissé les rênes à Gavin et Stanislas et il s'est replié à l'endroit le plus sécurisé du complexe. C'est-à-dire dans son loft.
Sa déclaration fut suivie d'un court silence. La question du destin de Miles s'était estompée dans l'urgence de leur fuite. Pourtant, Hector était arrivé en ces lieux avec l'intention de mettre fin à son règne, une bonne fois pour toutes. Ce dessein s'était perdu quelque part en route. Il ne fallait plus y songer.
Le monte-charge s'immobilisa dans un sursaut élastique, un étage plus tôt que prévu, au niveau 22, celui des appartements de Miles.
— Tu avais dit vingt-trois ? osa Yann.
Nina pianota avec énergie sur les touches, mais l'ascenseur ne repartit pas.
— Peut-être que le code de Miles ne mène que chez Miles, lâcha Yann.
Ou Athéna nous force à agir comme elle l'entend, songea Hector.
Il resta muet. Yann dégaina son révolver et le pointa sur les portes argentées, par dessus l'épaule d'Hector.
— Tu sais te servir de ça ? demanda Nina.
— J'ai joué « policier 4 » dans le reboot XXème siècle d'Inspecteur Lespadon.
— Voilà qui est rassurant.
— C'est l'impression qui compte.
Elle secoua la tête et dégaina à son tour. Hector et Arthur, entrés les derniers, leur servaient de boucliers de chair. Dans un chuintement, les miroirs commencèrent à glisser, révélant peu à peu une pièce longue et étroite, bordée de plaques de bois lustré. Comme un oeil, une fenêtre ronde au verre dépoli fermait cet étrange couloir, quelques mètres plus loin. La lumière dorée qui s'en diffusait leur permettait tout juste de percevoir les limites de leur environnement.
— Très nautique, chuchota Yann, nerveux.
Nina se faufila sous le bras d'Hector et sortit la première de la cabine. D'un doigt, elle fit coulisser un des pans luisants qui bordaient le passage et glissa la main à l'intérieur de l'espace révélé.
— C'est son dressing, murmura-t-elle. La chambre doit être juste là au bout.
Les lueurs de l'ascenseur s'éteignirent, comme pour les inviter à sortir.
— Tu es sûre que c'était la chambre de Miles et pas celle de Serena ? souffla Yann.
Hector la vit hausser les épaules. Il aida Arthur à quitter leur alcôve. Nina se rapprochait de la porte, le révolver toujours à la main. Yann resta en arrière, davantage parce que les deux combattants lui bloquaient le passage que par couardise. Il faudrait qu'ils atteignent un endroit plus large avant qu'il puisse passer.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top