70. First Knight
Ils se cachèrent dans les buissons qui jouxtaient l'entrée du fortin tandis que Yann gravissait à nouveau les marches qui menaient aux portes. Hector l'entendit prendre une profonde inspiration, puis relâcher son souffle lentement. Les gonds grincèrent lorsqu'il entra, et un tumulte étouffé suivit bientôt, des exclamations qui se muèrent en murmures.
Aucun coup de feu, une victoire en soi.
Le bruissement d'un palabre distant leur parvint, sans qu'ils puissent en saisir la teneur. Nina, tendue, scrutait le porche à travers les branchages. Arthur respirait amplement, immobile, mais Hector percevait sa fébrilité dans les légères pressions, rythmiques, de sa paume contre son bras. Tôt ou tard, si le plan ne se déroulait pas comme prévu, Arthur voudrait intervenir, porter secours à son chevalier en danger. Même s'il était roi, habitué à être servi et protégé par ses sujets, il estimerait de son devoir de combattre en première ligne. Une impulsion que comprenait Hector, qu'il avait partagée, mais qui lui semblait soudain curieusement absurde. Une flèche – une balle – se perd si aisément. Une chef de guerre tué désorganise son armée, la laisse vulnérable, provoque sa défaite.
Sous ses doigts, le jeune roi se raidit brusquement. Hector crut d'abord qu'il se passait quelque chose à l'entrée de la tour, puis réalisa qu'il avait lui-même provoqué cette réaction. Sans en prendre conscience, il avait commencé à caresser son coude, un geste d'apaisement, anodin mais scandaleux, une transgression complète des limites tacites qu'Arthur érigeait autour de lui.
Mortifié, Hector le lâcha, un balbutiement d'excuses au coin des lèvres, mais Arthur lui saisit vivement la main, la pressa doucement, puis entrecroisa les doigts avec les siens. Dans l'ombre, le Troyen ne pouvait discerner ses traits mais il entendait son souffle court et devina qu'il s'était détourné. Son corps réagit, incontrôlable, il sentit ses joues s'enflammer, son coeur rugir. Il inclina la nuque, effleura les cheveux du roi du bout des lèvres, et inspira.
Un frisson les traversa tous les deux, presque synchrone. Hector ne savait pas s'il avait réveillé un souvenir chez Arthur, ou s'il s'agissait un sentiment neuf, mais dans l'urgence, alors qu'ils n'avaient aucune certitude de sortir vivants du complexe, il se satisfit pleinement de cet échange timide, de sa proximité, de son odeur.
Il se risqua à l'embrasser sur la tempe, Arthur étouffa un hoquet, et Hector le serra contre son épaule et sa hanche. Le roi breton se lova contre lui sans résister.
Le prince troyen manqua rire du ridicule de la situation, de Nina à deux pas devant eux, du feu qui lui ravageait le ventre, du palabre bien trop long qui se déroulait dans la tour. Dire qu'il reprochait ses errements à Pâris ! Il ne valait pas mieux.
Le grincement des gonds l'arracha à son délire, suivi de pas feutrés. On descendait précautionneusement les marches, sans se presser. Deux hommes se dessinèrent entre les troncs et prirent la direction de la clairière. Ils progressaient, aux aguets, leurs armes pointées vers le sol. Leurs ombres révélèrent que l'un tenait un pistolet, l'autre un objet de forme plus rectangulaire, qu'Hector finit par reconnaître.
Une petite foudre portative, comme celle que Leo avait utilisée contre Arthur.
Yann parut quelques mètres en arrière, les suivit un moment puis s'immobilisa et bifurqua vers les arbres. Tout semblait se dérouler exactement comme ils l'avaient espéré. Quelques secondes plus tard, le sas de sécurité se refermait dans le dos des deux gardes de sécurité, bloquant leur retraite.
— Magnez-vous, souffla Yann en courant vers la tour.
Nina suivit, révolver dégainé. Hector et Arthur lui emboîtèrent le pas, sans oser se regarder.
Modeste, la chambre de la tour n'abritait qu'un lit, un coffre, une petite étagère et une table. Lancelot reposait sur son matelas, pâle et inerte, toujours vivant. Arthur et Yann s'agenouillèrent à son chevet tandis qu'Hector et Nina gardaient leurs distances.
À nouveau, le danger que le chevalier représentait frappa le Troyen. Même s'il n'avait pas la masse musculaire d'un colosse, il était plus grand que son roi, et sans doute à peine moins que lui-même. Une fois réveillé, il serait en pleine possession de ses capacités, certainement le plus solide d'entre eux, physiquement incontrôlable. Hector croisa le regard de Nina et vit qu'elle partageait ses réserves. Yann lui glissait un comprimé entre ses lèvres : trop tard pour empêcher quoi que ce soit.
La jeune femme se campa en face de lui.
— Pendant qu'il émerge... Je dois refaire ce pansement, Hector.
Il acquiesça, un peu absent.
Il garda les yeux fixés sur le preux assoupi tandis qu'elle s'affairait sur son ventre. Il avait la sensation que mesurer l'ampleur de la blessure ne lui servirait à rien. Nina ne prononça pas un mot, ne lâcha pas un cri, se contenta de travailler rapidement, en silence. Il ne sentait qu'un engourdissement désagréable, ses mains froides, l'humidité du sang.
Pendant un moment, Lancelot demeura immobile. Hector songea que le remède ne fonctionnait peut-être pas contre le gaz dont on avait empli la pièce et qui s'était heureusement dissipé. Yann secoua son ami factice par l'épaule. Arthur, agenouillé à ses côtés, avait baissé la tête et posé le front sur ses mains jointes. Il priait. Cette position de recueillement ramena Hector aux ténèbres de l'église, à ce moment de désespoir et de lumière, à ce qu'Arthur lui avait offert, sans réserve, avant la nuit.
Il frôla sa nuque d'une main nerveuse. Alex avait estimé que son sommeil avait été programmé à l'avance et non déclenché par une décision de son maître, mais qu'en était-il exactement ? L'idée que Miles puisse appuyer sur un bouton, quelque part, et le plonger dans l'oubli, lui crispa un instant les entrailles.
— Ne serre pas les abdos, bourrique, grommela Nina, et il se força à la détente.
Lancelot et Arthur étaient d'anciens modèles d'EBA, ils ne risquaient rien. Lui-même était protégé par Alex. Mais qu'en était-il de Yann, s'il était vraiment l'un d'entre eux ?
Le guerrier endormi bougea. Ses paupières se contractèrent, sa bouche forma une ligne pincée, puis il remua l'épaule, leva un bras jusqu'à son visage, et relâcha un long soupir. Ses cils sombres papillonnèrent, révélant bientôt des iris d'un bleu surnaturel.
— Galeh... Arthur ?
— C'est bien moi, mon ami. Je suis heureux de te voir émerger de cette torpeur maléfique.
Hector n'avait pas manqué la manière dont le preux s'était adressé à son roi. Par son prénom. Arthur n'avait pas tiqué.
— Que fais-tu ici ?
Le tutoiement termina de l'inquiéter. Il avait espéré une franche relation de sujet à seigneur, il n'en était rien. Lancelot et Arthur étaient des pairs, peut-être des amis, et l'emprise du roi sur son chevalier semblait soudain bien incertaine. Après tout, Miles les avait forcés à s'entretuer plus d'une fois, leur lien ne pouvait être si solide. D'autant qu'ils ne s'étaient, en réalité, jamais rencontrés. Si Lancelot était obsédé par l'épouse de son souverain, ce dernier ne semblait pas au courant de cet amour interdit. Pour l'heure. Sans doute était-ce le levier habituel qu'utilisaient les scénaristes de Légendes s'ils devaient s'affronter.
Nina était toujours penchée, dos au spectacle, manifestement peu désireuse d'être découverte. Elle finit par se relever, mais garda la tête tournée vers Hector, lui révélant un instant son inquiétude, avant de retrouver une mine impassible.
— Nous avons été capturés par le Malin, expliqua Arthur. Mes souvenirs des derniers jours sont confus... mais Perceval a réussi à s'évader de ces terres funestes et a envoyé Sire Hector et Morgane pour nous guider vers l'extérieur.
— Morgane ?
Au moins, Lancelot affichait ses émotions sans le moindre vernis. Un acteur de moins à gérer, c'était presque rafraichissant. Mais son dégoût ne présageait rien de bon. Ses yeux lumineux fixaient désormais Nina, qui resta tout contre Hector, comme si elle espérait qu'il puisse la protéger en cas d'escalade.
— Ne t'inquiète pas, elle est de notre côté, intervint Galehaut d'un ton tranquille. Le Seigneur lui a rendu visite et l'a ramenée dans notre droit chemin.
La parole de Yann eut un effet immédiat sur Lancelot, qui gratifia son ami d'un sourire chaleureux, et se détendit.
— Nous devons nous dépêcher de partir, poursuivit le compagnon fidèle, car les sbires de l'adversaire ne tarderont pas à revenir.
Hector devina les mots de Lancelot avant qu'il ne les prononce.
— Et nous les recevrons comme il se doit !
Le visage de Yann conserva la plus parfaite indifférence. Il devait avoir anticipé ce genre de bravoure déplacée. Du moins, Hector l'espérait.
— Notre roi est gravement blessé. Nous devons en priorité le mettre en sécurité. Ensuite, nous pourrons combattre. Mais les sortilèges du Malin sont puissants en ces lieux, la lutte serait inégale. Il nous faut nous armer...
Lancelot s'était assis et se pencha alors sous son lit. Il en extirpa une épée encore au fourreau, gigantesque, potentiellement meurtrière. Hector se morigéna de ne pas y avoir songé plus tôt.
— Je suis armé, déclara le chevalier, avec une assurance totale.
— Bien sûr, admit Yann.
— Et nous avons une sorcière, ajouta le chevalier en désignant Nina d'un geste dédaigneux. Tout ira bien.
— Le roi a besoin de soins, intervint Hector. Nous ne pouvons pas nous attarder.
Lancelot se leva, ce qui suffit à encombrer la pièce. Sa prestance les écrasa tous, comme une aura rayonnant d'un corps ciselé à cet effet. Son charisme outrancier avait frappé Hector lorsqu'il avait regardé les duels, mais le contempler dans la réalité était bien pire.
— Et rappelle-moi qui tu es ? l'apostropha le chevalier.
Une fureur désormais familière naquit dans ses entrailles malmenées. Lancelot, Achille, même combat.
Je suis le prince héritier de Troie, songea-t-il. Dix fois plus honorable que toi.
Arthur s'était redressé à son tour, avec l'aide de Yann. Son visage reflétait une indécision à la mesure du doute que Lancelot était en train d'insinuer en lui.
— Je suis Sire Hector, répondit le Troyen, d'un ton mesuré, peut-être pas aussi déférent qu'il aurait dû l'être.
Nina serra son poignet, un mode de communication manifestement en vogue en ces lieux pervertis.
— Je suis honoré de faire la connaissance d'un seigneur de votre noblesse, messire. Vos prouesses sont parvenues jusqu'à la contrée lointaine dont je suis originaire.
Il s'inclina mais sans aller jusqu'à poser le genou en terre. Lancelot était peut-être le bras droit d'Arthur, mais pas le roi.
— J'en suis flatté, annonça Lancelot, d'une humeur déjà plus joyeuse.
Se désintéressant d'Hector, le chevalier entreprit de ceindre son épée. Le Troyen en profita pour décocher un regard furieux à Yann, qui eut la décence de grimacer. L'expression d'Arthur s'était faite distante, à nouveau, comme s'il dérivait.
— On bouge, décréta Nina.
Cette fois, Lancelot ne protesta pas, et ils regagnèrent les couloirs.
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