62. Fast and Furious
NdA : Je déteste écrire des scènes d'action. Je le pose là. Mais quand il faut, il faut.
L'acteur obéit à l'injonction du garde de sécurité, sans pour autant oser se relever, et crapahuta à quatre pattes dans sa direction. Privé de son massacre, Achille poussa un cri de rage, tangua sur ses pieds, mais, à nouveau, la prudence l'emporta sur la fureur.
Sur le sable, le Troyen qu'ils croyaient tous mort se redressa sur un coude dans un grognement sourd. Surpris par la survie de sa cible, le garde de sécurité pivota, pointa son révolver et le déchargea dans le crâne de sa victime, d'un nouveau coup sourd, cette fois définitif.
Achille profita de son inattention pour charger.
Tout alla très vite. Le Grec fut au corps à corps avant même que l'homme en noir n'ait le temps de réajuster un tir. Celui-ci partit néanmoins, et la détonation s'agrémenta d'un ricochet métallique, puis d'un craquement sourd lorsque le bouclier d'Achille entra en contact avec le garde. Le glaive traça un arc de cercle, rencontra une gorge exposée, poursuivit sa route comme l'intrus s'écroulait dans un cri étouffé et humide. Achille, indemne, salua l'hallali d'un nouveau hurlement.
De son côté, Pâris cessa d'avancer, tomba à la renverse sur son séant, et n'émit pas un son. Sans doute était-il conscient qu'il n'y avait plus d'échappatoire, plus personne pour le protéger, et que même si Miles envoyait quelqu'un d'autre pour le secourir, il n'aurait pas le temps d'intervenir.
Le Grec, cependant, prit le temps de vérifier qu'Hector 29 était bien mort. Il le retourna de la pointe du pied, avec une désinvolture qui emplit son double d'une fureur froide et meurtrière.
Achille tue Hector et profane son cadavre, le traîne dans la poussière, humilie sa famille, contrainte d'aller le supplier de rendre sa dépouille pour lui conférer les derniers honneurs.
Voir ce pied fouler sa poitrine, ces orteils effleurer son visage, ceux d'un autre, les siens, peu importait, l'intention était la même, injurieuse, méprisante, celle d'un vainqueur qui se croit tout permis au nom d'une prétendue supériorté divine. Ce n'était même pas lui qui avait tiré !
Les yeux d'Achille quittèrent le cadavre, revinrent se poser sur Pâris, et un sourire mauvais étira ses lèvres. Pendant une seconde, Hector se souvint des paroles de l'homme qui incarnait Patrocle, sur les humeurs de son prétendu ami, et se demanda si le Grec avait vraiment l'intention de tuer son petit frère, ou s'il avait d'autres projets avant de lui trancher la gorge. Ou après l'avoir fait, en réalité. La perspective semblait abominable.
— VIENS AFFRONTER QUELQU'UN DE TA TAILLE, PLEUTRE !
Quelque part derrière lui, une femme poussa un cri de frayeur mais la tension bruissait dans ses oreilles, pulsait sous sa peau, le coupant du réel. Ce qui l'avait mené à s'exposer dans le sable, à moitié nu, devant ce monstre, il n'en était pas complètement sûr. Mais il était trop tard pour reculer.
— SORCELLERIE ! éructa Achille en brandissant son glaive.
Rien de nature à le faire hésiter, bien au contraire. Un défi à sa mesure, un affront à laver dans le sang. Hector manqua rire de sa propre stupidité : avait-il vraiment cru pouvoir le raisonner ? Cette créature démente n'avait qu'un objectif, tuer et tuer encore. Sous ce vernis meurtrier, il n'y avait absolument rien.
La mécanique du tempérament, incompréhensible, avait dit Max.
Qu'est-ce que tu as fait, pauvre fou ?
Ils se portèrent l'un vers l'autre dans un même mouvement. Hector avait conscience de n'avoir aucune protection, seulement le chiton de Patrocle, une lame unique, peut-être un accessoire de théâtre fragile malgré son poids. En face de lui, Achille portait toute la panoplie du soldat grec aguerri, à l'exception du casque. Le glaive était mortel, le bouclier à peine moins, les faiblesses rarissimes.
Ils se heurtèrent cependant comme des danseurs au son d'une musique familière. Hector porta le premier coup, Achille le détourna sans mal, frappa à son tour, le Troyen esquiva d'un pas leste.
Le sifflement des armes, le sifflement du sang.
La folie qui étincelait dans les prunelles du Grec agissait comme un aiguillon, contraignant Hector à une concentration sans failles. Les glaives fusaient, claquaient l'un contre l'autre, le sable leur fouettait les chevilles, le Troyen percevait, maîtrisait, chaque fibre de son organisme, tendons et muscles, la mécanique d'un corps conçu pour combattre.
Une fabrication, un automate de chair, qui répondait désormais à sa fonction première. Luttaient-ils en direct, sauvant la soirée de Légendes ? Qui aurait pu deviner qu'il n'était pas l'Hector prévu ?
Mauvaises pensées, qui l'arrachaient à l'urgence.
Un coup de bouclier puissant, asséné de revers, le cueillit sur le flanc droit et l'envoya valser dans le sable. La violence du choc le projeta heureusement hors de portée de la lame du Grec, et il se redressa rapidement, les côtes douloureuses mais intègre, et recula de quelques pas.
— Achille, nous ne devons pas nous battre, souffla-t-il, une main levée devant lui. Tout ceci est... une manipulation des Dieux. Toi et moi sommes semblables et contraints...
Son adversaire s'approcha, lame basse, les traits tirés sur un rictus malveillant.
— On essaie de sauver sa misérable vie en palabrant ? railla-t-il. Garde ton souffle pour combattre, fils de chienne, je te le ravirai bien assez tôt.
Hector ravala un soupir. Il ne s'était pas attendu à autre chose, en réalité. Prisonnier des foutaises rassemblées sous son crâne, sans déchirure dans le voile, Achille était hors de portée, comme il l'aurait été lui-même quelques jours plus tôt.
Il accueillit l'assaut suivant avec la conviction d'être démuni face à la certitude assassine de son ennemi. Achille n'avait qu'un dessein, un seul, celui de l'abattre. Lui-même devait lutter contre la sensation que vaincre le Grec ne solutionnerait rien.
Il trébucha à nouveau, la faute à une sandale mal ajustée au moment du changement de costume, glissa à genoux, se redressa in extremis pour bloquer la lame d'Achille qui cherchait son cou. Le Grec ne lui ménageait aucune ouverture, conscient de la supériorité de son équipement, et redoubla d'ardeur. Le Troyen para, para encore, esquiva et frappa à son tour, sans succès.
Même s'il ne se sentait nullement fatigué, grâce sans doute aux injections d'Alex, Hector n'entrapercevait aucune faille chez Achille, et le Grec ne paraissait pas plus affecté par leur duel qu'il ne l'était. La sueur mouillait ses épaules et son front, mais elle semblait presque décorative. Ses gestes conservaient leur fluidité létale et sa respiration s'accordait au rythme de leur duel, tantôt précipitée, tantôt ample, en fonction de la nécessité.
Distractions à nouveau.
Danger.
Il repoussa in extremis le glaive qui visait son ventre.
Avec un cri rageur, Achille accéléra brusquement la cadence ; sa patience avait atteint ses limites. Sans doute son ego de demi-dieu s'offusquait-il de n'avoir pas encore terrassé l'individu médiocre qui lui faisait face. Débordé, Hector fut contraint de bloquer et d'éviter les assauts sans plus pouvoir répliquer. Son talon buta soudain contre une surface dure, son épaule heurta la pierre. Le héros grec l'avait acculé dans les ruines qui bordaient l'arène. Le Troyen perçut une satisfaction sinistre dans le regard clair de sa Némésis.
Achille tue Hector, lui rappela une voix maudite.
Il se laissa tomber au sol et la lame claqua sur le roc, juste au-dessus de sa tête. Roulant sur une épaule, il bouscula le Grec, se redressa derrière lui et, au moment où il faisait volte-face, lui lança une pleine poignée de sable vers le visage.
Achille se protégea d'un reflexe du bouclier, mais sans parvenir à éviter complètement le petit nuage. Sa fureur et son désir d'en finir n'en furent que décuplés. Il chargea comme une brute, visa la gorge de la pointe de son glaive et Hector crut entrapercevoir la chance qu'il avait tant guettée.
Une feinte.
Le Grec modifia sa trajectoire d'un torsion du coude, Hector eut tout juste le temps de venir défendre sa hanche, et la violence du choc se répercuta de l'épaule au poignet. Il sentit trop tard que le manche de son arme lui échappait, alors que le bouclier bourrait dans sa poitrine, l'envoyant à nouveau à terre.
Je vais mourir, songea-t-il.
Achille repoussa le glaive du pied, puis s'avança vers lui, tranquille, tandis qu'il cherchait à se relever. Désarmé, il ne lui restait plus que la fuite. Le Grec s'immobilisa à quelques pas, passa une main agacée sur ses yeux rougis et larmoyants.
— C'est l'heure, vermine.
Hector n'avait aucune intention de capituler. S'il manoeuvrait habilement, il pouvait récupérer son arme. Achille, malgré toute son arrogance, semblait partiellement aveuglé.
Ses mouvements suivants le lui prouvèrent. Même si l'Achéen conservait des intuitions dangereuses, il ne parvenait pas à le toucher avec sa précision coutumière. Mais on n'obtient pas une victoire en fuyant son adversaire et Hector ne pouvait se contenter de reculer. Achille, cependant, n'était pas né de la dernière pluie, et avait deviné ses intentions. Même sans parvenir à le faucher, il l'empêchait d'atteindre son objectif et le repoussait à nouveau vers les ruines, où il pourrait le coincer dans un angle dont il ne pourrait plus s'échapper.
Petit à petit, Hector eut la sensation de se muer en un animal rétif qu'on guide vers l'abattoir. Achille contrôlait sa retraite avec une rage muselée, les larmes de douleur ruisselant sur ses joues, le regard injecté de sang. Malgré cette prise de conscience, le Troyen ne parvenait pas à se délivrer de sa transe, l'esprit épuisé par un combat futile. Bientôt, son dos rencontrerait un pilier factice, le billot où son bourreau l'exécuterait.
J'aime les animaux, avait dit Serena. Tu es bien dressé.
Réveille-toi.
Achille tue Hector.
N'était-ce pas dans l'ordre des choses ? Le vrai héros, porté par la conviction, la haine, le bon droit, l'emporte sur le plus faible, celui qui ne sait plus pourquoi il lutte.
Chaos, brouillard, tout ce vide.
Une carcasse animé d'un souffle, rien d'autre, vouée à détruire, vouée à mourir, pour rien. Il était complice du spectacle. Le premier duel de la phase finale, qu'il allait perdre dans un instant.
Hector éliminé.
Il s'immobilisa dans le sable, résigné. Achille s'arrêta en miroir, décontenancé par son attitude, flairant le coup fourré.
— ACHILLE, FILS DE MORUE !
L'insulte, vociférée d'une voix perçante, les figea l'un et l'autre.
— TREMBLE, MISERABLE MORTEL, CAR ATROPOS DECIDE ET ATROPOS CONDAMNE !
Debout sur un rocher aux allures d'autel, Cassandre venait de surgir, échevelée, le visage strié de noir, les poings brandis, la robe en lambeaux, agitant un voile noir au-dessus de sa tête. C'était une vision horrifique, mais moins que ce qui se trouvait juste à sa droite.
Arthur était enfermé dans une cage à peine assez grande pour l'accueillir. Tout dans son attitude reflétait la stupeur. Hector croisa son regard écarquillé, n'y trouva nulle reconnaissance, seulement l'angoisse.
— TON TOUR VIENDRA, CATIN ! hurla Achille, nullement impressionné par le spectacle.
S'il abandonnait le combat, Hector condamnait Nina et Arthur. Achille les tuerait tous les deux, comme il égorgerait...
Pâris.
L'acteur avait reculé vers la sortie mais sans trouver d'ouverture et, debout près du cadavre de son frère, il contemplait le spectacle, hypnotisé de terreur.
Sa seule chance.
Hector profita de la distraction d'Achille pour le contourner et filer dans la direction opposée, vers la Troie factice.
— Pâris ! La lance ! s'exclama-t-il comme le Grec le prenait aussitôt en chasse. Envoie-moi la lance !
Dans un geste ridicule, le jeune homme se désigna. Hector fut forcé de faire volte-face pour éviter un nouveau coup, bondit en arrière et vit le tranchant argenté fuser sous son nez, de bien trop près. Il osa un coup de pied vers le genou de son adversaire, le forçant à un pas de côté.
Maigre répit.
— Hector !
Un coup d'oeil en biais, un seul.
Pâris lui jeta la lance avec une maladresse consommée. Le prince troyen s'élança, grimaça lorsqu'Achille le frôla, rattrapa l'arme du bout des doigts, l'ajusta dans sa paume, et remit aussitôt de la distance entre eux. Le Grec, fulminant, s'élança sans s'en inquiéter, comme si ce revers n'avait aucune importance.
Frapper, repousser, percuter, écarter, Hector pouvait désormais lutter pied à pied avec son adversaire, dont l'allonge était bien moindre que la sienne. À son tour, Achille était contraint de reculer. Sa détermination n'en semblait nullement affectée, et la violence qu'il mettait dans ses parades risquait, tôt ou tard, de briser la lance. Hector devait le toucher, le plus vite possible, sans tergiverser.
À la faveur d'une tentative risquée du Grec de renverser son offensive, il écarta la lame du glaive de la pointe de sa lance, puis percuta le bouclier du manche, espérant déséquilibrer son adversaire. Si Achille conserva son aplomb, sa précieuse protection se fendit sous le choc, avant de tomber en fragments sur le sol. Surpris, l'Achéen recula, contemplant son bras exposé. Peut-être le tir du révolver, qu'il avait bloqué par réflexe, l'avait-il fragilisé malgré tout.
Hector n'hésita pas. Il cueillit le Grec dans l'épaule, du manche plutôt que de la pointe, et l'envoya au sol. Franchissant vivement les quelques mètres qui les séparaient, il posa le pied sur son plastron pour le clouer à terre et lui mit la lame sous la gorge.
— Rends-toi.
Muet, écarlate, Achille le fusilla d'un regard de gorgone. Il ne desserra pas les lèvres.
— Je ne veux pas te tuer.
Hector de Troie le voulait, pourtant, de toute son âme. D'un simple mouvement du poignet, l'épingler dans le sable comme un insecte, le regarder se contorsionner d'agonie, ce monstre hautain, qui s'était cru invulnérable.
La haine d'un autre, pas la sienne.
Il contracta son bras pour s'empêcher de frapper, avala sa salive dans un frisson.
Guettant ce genre d'hésitation, Achille saisit alors la lance d'un mouvement de scorpion et la détourna vers son épaule. Déséquilibré par cette initiative démente, Hector chuta vers l'avant, droit sur le sol dont se dégageait le Grec. La lance heurta le sol la première, s'y brisant sous l'impact, puis son épaule gauche suivit. Il s'en servit, par réflexe, comme point appui pour rouler.
— HECTOR ! Derrière toi !
La voix de Nina retentit comme le claquement d'un fouet, il pivota sur le dos, redressa ce qui restait de son arme, un maigre manche cassé, pour contrer l'assaut d'Achille. Le bois fendu cueillit le Grec dans les tripes, lui coupant le souffle. Il bascula de tout son poids sur lui. Les gestes frénétiques, Hector le repoussa sur le côté et tâtonna pour retrouver la tête brisée de la lance.
Le souffle lourd d'Achille lui effleura la nuque avant d'une main la saisisse dans une poigne ferme.
— À présent, tu meurs, gronda le Grec dans son oreille.
Les doigts d'Hector se refermèrent sur la pointe de la lance et il frappa à l'aveugle, juste derrière son épaule gauche, d'un geste brutal, désespéré.
Achille émit une plainte étranglée, bientôt un gargouillis, et un liquide brûlant se déversa sur le cou d'Hector tandis que les doigts qui l'enserraient se convulsaient dans ses cheveux.
Dégoûté, le Troyen donna un coup de rein pour se dégager de sous son ennemi et se redressa, à quatre pattes dans la poussière. Renversé sur le flanc, la lance plantée à jointure entre le torse et la gorge, Achille, les yeux déjà vitreux, cherchait à juguler son hémorragie d'une main maladroite. Hector le regarda agoniser sans esquisser le moindre geste, hypnotisé par ses mouvements saccadés, le sifflement mouillé de sa respiration tenace, l'écarlate du sang répandu, l'accomplissement d'une destinée.
Hector tue Achille.
Achille éliminé.
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