54. About a boy

Hector échangea un regard belliqueux avec Leo, qui secoua vivement la tête. Devant eux, Marco Perrota cancanait comme une oie, leur exposant avec emphase ses prouesses imaginaires, anciennes et à venir. Lui tordre le cou demeurait une option alléchante, mais le Troyen devinait que les systèmes de sécurité qui protégeaient les couloirs de Max devaient hérisser ceux de Miles et qu'un geste prématuré mettrait fin à leur escapade.

Celle-ci s'incurva bientôt lorsqu'ils bifurquèrent dans un cul-de-sac étroit, sur lequel s'ouvraient quatre portes. Trois étaient coiffées de lumignons verts, la quatrième d'une ampoule rouge.

— Ah putain, la forêt est occupée, remarqua Marco.

Il se tourna vers eux, la mine songeuse, tapota son menton de l'index.

— J'ai une idée !

Chaque parole semblait accompagnée d'une grimace, comme s'il craignait qu'ils ne comprennent pas ses propos. Il ouvrit une autre porte et s'écarta pour les laisser passer. Hector s'engagea le premier à l'intérieur, sur ses gardes, et déboucha dans un petit espace sombre, terminé par un épais rideau noir. Il le repoussa et découvrit une pièce minuscule encerclée de pierre jaune et de colonnes, un brasero rougeoyant sur pied, la nuit tranquille par une fenêtre, les lumières d'un campement sous les murs. Cet endroit, qu'il connaissait, lui sembla à la fois familier et factice, comme il prenait conscience du plafond nu, des fausses braises dans la coupe de métal, des spots étincelants, des câbles et des boulons tout juste dissimulés.

— C'est pas un vrai décor, expliqua Marco en le frôlant pour atteindre un siège en cuir et bois sommaire, sur lequel il se jucha. C'est juste pour les interviews.

Il leur décocha un sourire étudié et désigna le cadre d'un geste enthousiaste.

— Je commence en live, la saison qui vient. Chez Hector. Vous aurez l'exclusivité !

Le Troyen peinait à reprendre pied. La salle exiguë l'affectait d'une manière désagréable. Il cherchait des sons et des odeurs qui n'existaient pas, des silhouettes invisibles. Son costume lui parut plus étriqué, la transpiration lui noya les omoplates. Sensible à son malaise, Leo serra la main sur son poignet, il s'accrocha à sa manche.

— En live ? demanda la jeune femme, sur le ton de la conversation.

— Ouais. Je vais jouer Antiphos. Un des frères.

Le nom fit frémir Hector, mais n'évoqua aucun visage. Son père, Priam, avait soixante-deux enfants ; il n'en identifiait qu'une poignée, les autres se réduisaient à des taches floues, des impressions furtives. Marco se para d'un sourire satisfait.

— Achille me capture, me malmène, et me libère contre rançon. Du coup, Hector est encore un peu plus furax. Je vais jouer avec les deux. Enfin, Achille, sans doute seulement dans des séquences enregistrées et retouchées au montage. C'est trop dangereux de jouer un rôle d'adversaire directement avec lui. Même Yann Lefloch a les boules, alors qu'il a Patrocle à la bonne, normalement.

Il gloussa.

— Bref. C'est quand vous voulez.

Il s'installa plus confortablement, enchaîna quelques poses théâtrales.

— On doit attendre Wanda, mais on va faire les tests, proposa Leo.

Elle décocha un coup de coude à Hector, qui frissonna avant de se positionner de son mieux, caméra à l'épaule. Marco rit à nouveau.

— C'est pas mal, hein, l'envers du bazar ? Je comprends, moi aussi, j'étais vachement impressionné la première fois. Mais vous avez rien vu : ici, c'est juste du toc.

Il tapa du doigt sur la colonne voisine, qui renvoya un son creux.

— Sur les plateaux et dans les chambres, c'est du vrai, construit par des maçons, des menuisiers... Mon oncle emploie une équipe d'artisans du tonnerre. Les meilleurs de la Grosse Banane.

La brume se déchira au rythme brutal du sang qui pulsait dans les tempes du Troyen.

Mon oncle ?

Les doigts de Leo se crispèrent sur son bras, en miroir de sa tension.

Ce gamin pouvait-il être le neveu de Miles ? Un otage potentiel, un levier formidable ? Ce devait être la raison pour laquelle Alex les avait aiguillés vers ce gosse. Mais Miles l'aurait-il laissé circuler sans gardes du corps ? Avait-il à ce point confiance dans son système de sécurité ? Dans la bienveillance de ses invités ?

Marco s'étira, étouffa un bâillement. Il ne ressemblait en rien au maître de Légendes. Peut-être son oncle était-il le responsable des décors, simplement. La question brûla les lèvres du Troyen, mais il devina qu'un journaliste informé aurait dû connaître la réponse, et qu'avouer son ignorance attirerait les soupçons.

— Est-ce que les combattants sont déjà dans l'arène ? demanda Leo, pour briser le silence.

Elle tendit le micro, Hector observa le gamin à travers l'oeilleton de son appareil, le coeur emballé.

— Non, ils sont en train de les préparer, là maintenant. Dès qu'on va les lâcher, ils vont s'entretuer. Je sais pas si vous avez vu le dernier combat d'Hector, mais il est chaud ! Alors avec Achille en face, il va falloir les garder sous contrôle jusqu'à la dernière seconde. Comme le combat risque d'être très court, on a prévu un petit divertissement juste avant, mais je peux rien dire.

Un sourire malin étira ses lèvres.

— Surprise, surprise !

La désinvolture du gosse commençait à sérieusement irriter le Troyen. S'il ne pouvait lui broyer la nuque, il pouvait peut-être lui fracasser la caméra sur le crâne ou le balancer par la fenêtre. Illusoire. Il crèverait la toile du trompe-l'oeil placé dans l'encadrement et atterrirait dans la poussière. À moins qu'il n'y ait un mur, là-derrière. Peut-être pourrait-il s'y briser en mille morceaux.

— Est-ce qu'on peut aller voir ? poursuivit Leo.

— Voir ?

— La préparation. Juste jeter un oeil. Prendre quelques images. Exclusivité With Fizz.

L'écuyer parut incertain.

— Y'a pas d'accès. Tout se fait par caméras interposées. Ces séquences-là sont pas filmées, juste surveillées en cas de pépin. Qu'on puisse rapidement reprendre la main si l'EBA déconne.

— Et on peut voir ça ? La salle de contrôle ?

L'adolescent lorgna la porte, puis ses interlocuteurs, la porte à nouveau, haussa les épaules.

— Heu... mais Wanda...

— Elle écoute certainement la déclaration de Mil... Monsieur Baden, non ?

— La déclaration, c'est après le premier duel, murmura Marco.

Leo échangea un regard avec Hector, assorti d'une grimace indécise. Le Troyen prit une profonde inspiration.

— Montre-nous la salle de contrôle, dit-il d'une voix ferme.

Le jeune acteur se tourna vers lui, surpris par le subit tutoiement, le ton impérieux.

— Quoi ?

— La salle de contrôle, reprit Hector, plus dur. Conduis-nous à la salle de contrôle.

— Je ne peux pas...

Marco hésitait, Hector le voyait, les yeux légèrement écarquillés, les prémisses de la frayeur inscrites dans la ligne de sa nuque, le pli de son front, la crispation de sa mâchoire. Il allait obéir... ou il allait le reconnaître, malgré le costume, la barbe, les lunettes, la torture infligée à ses sourcils. Hector céda, baissant son engin.

— Bon, dans ce cas, tant pis, retournons dans le hall, déclara-t-il. On peut trouver mieux.

— Non, non, attendez ! s'exclama alors Marco, une vibration de panique dans la voix. Je peux vous montrer la régie. Oui. Bonne idée. Vous pouvez m'interviewer là, aussi, ce sera parfait.

Il avait sauté de son perchoir, attrapé le Troyen par la manche. Leo paraissait décontenancée par le retournement de situation, mais Hector sentait que l'intimidation qu'elle avait voulue n'aurait pas le même effet que la terreur, chez l'acteur, d'être relégué dans l'ombre d'un collègue.

— Par ici.

Lorsqu'ils gagnèrent le sas, ils tombèrent sur un autre trio qui s'apprêtait à entrer. Une femme sculpturale, aux cheveux d'ébène, dans une robe scandaleuse, leur jeta à peine un regard. Dans son sillage, deux hommes en costume, la carte de presse autour du cou, leur adressèrent un sourire blasé. Ils avaient levé un lièvre autrement plus dodu qu'eux. Marco remorqua Hector vers le couloir, comme pour s'assurer que la présence d'une rivale ne les détournerait pas de lui.

Ariane, songea le Troyen.

Il l'avait vue sur les écrans, séduisant Thésée de ses oeillades mensongères, lui glissant la bobine de fil entre les doigts. Le héros grec buvait ses paroles, quêtait sa tendresse, tandis qu'elle le manipulait sans vergogne. La bile lui monta aux lèvres et il s'immobilisa brusquement. Leo lui bourra dans le dos avec un cri outré.

— Il nous la faut, murmura-t-il.

— Quoi ?

— Ariane. Il nous la faut. Il nous faut les acteurs. Pour la suite.

Marco avait froncé les sourcils.

— Bien sûr, mais chacun à leur tour, déclama Leo à haute voix, tout en le fusillant du regard.

— Je vous présenterai, si vous voulez, glapit l'adolescent. Après.

L'écuyer paraissait désormais vraiment inquiet de les perdre. Hector leva les yeux sur le plafond, croisa l'oeil sombre d'une caméra, acquiesça.

— D'accord.

La trajectoire lui paraissait toute tracée. Les acteurs possédaient une emprise sur les héros qu'il ne réussirait jamais à égaler, même en haussant le ton, peut-être surtout s'il le haussait. S'ils parvenaient à rassembler les comédiens, à les convaincre ou les menacer, ils disposeraient du pouvoir nécessaire pour contrôler les EBA au coeur de la tempête. Merlin, Ariane, Patrocle, Pâris, les autres. Tous étaient rassemblés en cette occasion festive. Certains en costume, pour les combats du jour, d'autres dans la salle, à deviser avec les invités.

Combien de temps leur restait-il avant le premier combat ? Pouvaient-ils se permettre d'en perdre encore en suivant Marco jusqu'à la salle technique ? Le gosse n'avait d'autorité sur personne, n'avait d'emprise que sur Arthur, et Arthur était hors jeu.

— J'ai oublié mon sac, déclara le Troyen.

— Quoi ?

— J'ai oublié mon sac dans la salle d'interview. Continuez sans moi, je vous rattrape.

Leo avait écarquillé des yeux stupéfaits, mais Hector reculait déjà.

— Clark, souffla-t-elle.

— Reste avec lui. Ne le perds pas. J'arrive.

Marco paraissait tout aussi décontenancé.

— J'arrive, répéta Hector, d'un ton autoritaire et tranquille, qui moucha la rébellion naissante de l'adolescent. Dans une seconde. Continuez sans moi.

Sans se hâter, il fit volte-face et retourna vers les salles d'interview et la belle Ariane, qu'il avait bien l'intention de ravir à ses courtisans. 

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