51. A simple plan
Lorsqu'Hector entra dans les douches, après un court périple dans les couloirs endormis, les lumières se déclenchèrent automatiquement pour l'accueillir. Assise sur un tabouret en plastique, immobile, Leo s'y trouvait déjà et lui adressa un signe. Il se demanda comment elle avait fait pour ne pas déclencher l'illumination, mais ne posa pas la question. Peut-être fallait-il mesurer une taille respectable. Il ne voulait pas la vexer.
— Alors quel est le plan ? demanda la jeune femme, bras croisés, coupant court aux salutations d'usage.
— On entre, on les retrouve, on les libère, on détruit tout, on sort.
— Oui, alors, merci monsieur le grand stratège, mais ce plan-là, j'aurais pu le pondre sans toi.
— On va profiter du gala de ce soir. Tu vas nous trouver un sauf-conduit. Des... cartes d'identification, comme vous dites.
La dryade écarquilla des yeux stupéfaits.
— Rien que ça.
— Nina disait que tu avais des contacts. Je n'ai pas oublié.
— Mes contacts sont tout autour de nous, Hector. Et je ne suis pas certaine qu'ils aient validé cette rencontre dans les sanitaires.
— Oh.
— Je suis d'ailleurs surprise qu'ils t'aient laissé sortir.
— J'ai été sage. Poli. Obéissant. Apparemment, une attitude servile est valorisée, à votre époque. On la pense issue du respect et non de la peur.
Leo gloussa.
— Bon, mais ça risque de ne pas marcher chez Miles. Je suppose que tu n'as pas l'intention de te présenter la bouche en coeur, déterminé à reprendre ta place dans la boucherie.
— Ça aurait été une solution, surgir face à cette foule rassemblée, sous les caméras de la retransmission en direct... mais de ce que j'ai compris, les chances que je sois abattu sans sommation sont élevées. Je n'ai pas encore atteint ce stade de désespoir.
Leo hocha la tête.
— Mon idée est de profiter du gala pour nous introduire en toute tranquillité dans leur forteresse. En nous faisant passer pour des journalistes.
Son interlocutrice demeura muette, cligna des yeux.
— Des journalistes ? finit-elle par demander.
— Je comptais faire comme ce héros de votre temps. Mettre un costume. Des lunettes.
— Quoi ?
— L'homme super.
Leo le dévisagea, les yeux exorbités, puis explosa de rire.
— Tu crois qu'avec un costume et des lunettes, Miles ne te reconnaîtrait pas ?
— Il me croit mort, non ? Et j'ai perdu en carrure, mine de rien. Je peux me raser, aussi. Y compris les sourcils.
Il les palpa du doigt, la dryade secoua la tête.
— Hector, c'est de la fiction, ça.
— Je suis de la fiction, moi aussi.
Elle rit et passa les mains sur son visage.
— Donc, dans ton... film, tu seras Clark, et je serai ta co-équipière. Loïs, c'est ça ?
— Pas avec des cheveux verts.
— Non, d'accord. Pas avec des cheveux verts. Noirs. En chignon. Peut-être que je devrais aussi mettre des lunettes. Tu comptes mettre ton slip au-dessus de ton pantalon ?
— Est-ce que c'est obligatoire ?
Elle gloussa de plus belle.
— Tu es mignon. Mais il reste le problème des papiers. On n'est pas journaliste parce qu'on le prétend. Il nous faut une carte de presse. Une preuve. Et Miles est sur les dents, il va contrôler et surcontrôler chaque personne qui se pointe. L'idée est belle, mais me semble peu réaliste. On aurait beaucoup plus de chances de rentrer par les cuisines. Ils ont besoin de trente-six serveurs, hôtesses et autres marmitons, dans ce genre de situations. Mais je suis plus ou moins sûre que les listes sont aussi vérifiées des décennies à l'avance. Si ce ne sont pas des EBAs, en réalité. Franchement, profiter de la foule pour casser une vitre et entrer par une fenêtre me semblerait tout aussi efficace. Sans appui, nous n'y arriverons jamais.
— Alors je ferai pression sur Max, murmura Hector, pensif.
— Je propose que tu le fasses tout de suite.
La voix, courroucée, venait de derrière eux, et Hector se retourna pour découvrir le principal intéressé, accompagné de deux de ses hommes : le baraqué qui semblait diriger le service d'ordre et Jeroen, qu'on avait manifestement arraché aux bras de Morphée. Le fait qu'ils ne soient que trois indiquait qu'ils ne s'attendaient pas réellement à du grabuge. Même si le soldat était musclé, Hector le neutraliserait avant qu'il ait pu esquisser un geste.
— Laissez-nous y aller, dit simplement Hector, sans se laisser impressionner. Votre intervention nous offrira la diversion rêvée. C'est sans doute notre meilleure opportunité. Sans quoi votre coup d'éclat va tomber à plat. Ils éteindront les écrans, ils crieront au scandale. Vous n'obtiendrez rien de plus, juste un instant de tumulte, qu'ils étoufferont aussitôt.
Max grimaça. Hector savait qu'il voyait juste. Il avait eu le temps de regarder deux films sur Légendes, qu'il avait décidé de considérer comme des documents et non des contes. Il en faudrait plus qu'un héros caressant un chat et épaulant une grand-mère pour renverser leurs murs.
— Vous le combattez avec vos armes, qui sont sûrement très adaptées à ce temps où on s'écharpe à grands coups d'invectives et de preuves, au nom d'une... éthique qui m'échappe. Mais Légendes est, dans le fond, une institution barbare. Qui pliera devant des méthodes barbares. Comme les miennes. S'ils se sont élevés par le sang, ils périront par le sang. Laissez-moi y aller. Avec Dame Dackitt si elle le désire. Leurs portes seront ouvertes, ils voudront festoyer.
— Que comptes-tu faire, au juste, une fois que tu seras à l'intérieur ?
— Torcher la cité, bien sûr. Détruire ce qui peut l'être. Libérer les prisonniers.
— C'est absurde.
— Délivrer Nina.
Il avait failli mentionner Arthur mais s'était retenu in extremis. Max en profiterait pour échapper à la conversation, pour réduire leur initiative à un délire mal inspiré.
— Non, annonça néanmoins l'érudit. Non, non, non, et non.
Il fit un signe et le gros bras s'approcha.
— Tu vas retourner dans ta chambre, et toi...
Il leva un doigt vers Leo.
— Je ne sais pas ce qu'on va faire de toi, Aliénor.
— Nina a besoin d'aide, Max, tu le sais.
— Nous avons prévenu la police. Et sa meilleure chance, en réalité, est d'obéir à Miles.
— Il l'a sortie de la trame d'Hector ! Arthur est éliminé ! Il n'a plus besoin d'elle.
— Il peut s'en servir pour Lancelot et Perceval, encore. Elle lui est toujours utile.
— Il a dû comprendre qu'elle avait sauvé Arthur pendant le duel, intervint Hector. Elle est en danger.
— C'est quoi cette histoire de sauver Arthur ? demanda Leo.
— Peu importe ! s'emporta Max.
— Tu n'as pas le droit de nous séquestrer, s'offusqua la jeune femme.
— Pas le droit non plus de vous offrir asile ! Ça suffit ! Vous allez rentrer tous les deux sagement dans votre chambre, et oublier ces plans absurdes.
— Non, gronda Hector.
Max soupira.
— Je me doutais que ta nature de général autoritaire reprendrait le dessus. C'était trop beau, trop facile.
Son garde du corps se déporta sur la gauche, une arme à la main. Hector savait exactement comment ce genre d'engin fonctionnait, pour l'avoir vu en action plusieurs fois ces dernières heures, dans de multiples séquences qu'il avait regardées sur l'écran. Il ne tuait pas que dans les récits fictifs, malheureusement. C'était un objet réel de ce temps, plus efficace que les flèches d'autrefois, dont les dégâts étaient pourtant déjà sérieux.
— Tu ne vas pas lui tirer dessus, souffla Leo. Tu bluffes.
— Seulement s'il est sage, dit le soldat. Allons, mon grand, viens par ici, retourne d'où tu viens.
Sa voix vibrait d'une joie mauvaise, Hector devina qu'il ne ressentait aucune bienveillance envers les êtres de son type. Dans une organisation vouée à la disparition des EBAs, tous ne pouvaient pas l'être pour des raisons d'empathie, bien sûr. Certains étaient mus par une détestation franche, le dégoût, la fureur.
Max avait reculé, comme s'il refusait d'être responsable de la suite, alors même qu'il avait lâché les chiens sur lui.
— Qu'allez-vous faire de moi ? lui demanda Hector néanmoins d'une voix ferme, sans se démonter. Après tout ça. Après ce soir.
L'érudit en blanc soupira.
— Tu pourras encore servir. Nous aviserons en fonction des résultats.
— Ils vont me traquer. Ils sauront que c'est vous qui m'avez. Toute cette organisation pourrait être mise en péril, juste parce que vous m'abritez dans vos murs.
— Nous aviserons, j'ai dit. Simon, ramène-le. Aliénor, tu vas avec Jeroen.
Le jeune scientifique paraissait mortifié d'avoir assisté à toute cette scène, mais il tendit la main vers la dryade. Elle demeura derrière Hector, qui ne bougea pas davantage.
— Ne m'oblige pas à te tirer dans le genou, remarqua le dénommé Simon. Ça va salir les douches et te faire très mal. Tu risques de boiter à vie, malgré toutes tes supers cellules.
Il agita son arme d'un mouvement de poignet, en désignant la sortie.
— S'il te plait, Hector, ajouta Max.
Le Troyen manqua rire. Hésita. S'ils se laissaient capturer, toute marge de manoeuvre disparaîtrait en fumée, pour un certain temps. Mais que leur apporterait la lutte ? Il n'avait aucune idée de l'endroit où se trouvait la sortie, de ce qu'il ferait une fois dans la rue, s'il parvenait à l'atteindre. Il ne disposait que d'un savoir parcellaire sur ce monde, ses lois, ses mécanismes. D'autres gardes se trouvaient dans les couloirs, il les avait vus pendant la journée. S'il parvenait à neutraliser celui-ci – ce qui n'était pas une certitude, loin de là – il en viendrait d'autres. Devant sa rébellion, Max serait contraint d'autoriser une force de plus en plus létale, à la mesure du risque qu'il présentait. S'il jaillissait seul de son complexe, il risquait de révéler son emplacement, ou leur connivence, à ceux qui vivaient, ignorants, en surface. Et la gueule du révolver de Simon présentait déjà un premier obstacle, qu'il n'était pas certain de parvenir à franchir sans casse.
Frustration. Il finirait par exploser, par détruire, mais il devait conserver sa fureur pour le moment propice. Qui n'était pas celui-ci. Il gratifia les nouveaux venus d'un regard meurtrier, puis céda. Dans son dos, Leo s'époumona de fureur, le traita de lâche, d'imbécile, mais affronter un peuple ennemi pendant des années, même virtuelles, l'avait blindé contre l'insulte. Dans le couloir, d'autres gardes attendaient en embuscade, et il se félicita de s'être montré raisonnable, tout en espérant n'avoir pas tout compromis.
Il prierait pour Arthur, il ne pouvait guère lui offrir mieux.
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