43. Kiss of the Spider Woman

L'ouverture vint plus tard, sans prévenir.

— Je sais que tu es conscient, annonça une voix sèche.

Les autres appelaient cette femme « Doc » ou « Alex ». Leur chef, indéniablement, vu la manière péremptoire dont elle délivrait ses ordres, sans jamais les adoucir.

— Tes ondes cérébrales te trahissent, poursuivit-elle, dans son langage sybilin.

Hector l'entendit bouger, puis un frottement près de son crâne, un mouvement sur sa gauche. Des émotions fugaces s'entrechoquèrent dans son esprit : colère d'avoir été découvert, crainte quant à ses intentions.

Puis un grand calme.

Omniprésente depuis son éveil, cette Alex reflétait compétence et détermination. Quelle que soit sa motivation, elle travaillait à sa guérison. Elle le savait conscient, peut-être était-ce un avantage. Ils pouvaient être alliés, ou du moins le prétendre. Le temps nécessaire. Composer. À l'instant présent, Hector aurait tout donné pour récupérer son corps. Dame Dackitt allait et venait librement en ces lieux. Amie ou ennemie ? Elle avait blessé Arthur. Elle était proche de Nina, qui les avait arrachés à leur monde, soi-disant pour leur sauver la vie.

De toute façon, il ne pouvait ni parler, ni bouger, juste attendre.

Attendre, apprendre, aviser, avancer.

— Dans quelques secondes, je vais t'injecter un liquide. Tu vas ressentir un grand froid au niveau du poignet gauche, puis un picotement qui va se diffuser peu à peu dans tout ton corps. Tu pourrais développer un léger mal de tête, avoir la gorge sèche, des fourmis dans les jambes qui prendront quelques heures à s'estomper. Mais tu devrais être capable de bouger, si j'ai bien compris le mécanisme du kill switch.

La perspective de reprendre pied termina de rasséréner le Troyen. Il ferait face, quoi qu'il découvre en ouvrant les yeux. On ne gaspille pas une seconde chance.

L'inconnue gloussa, un rire presque mauvais.

— Je me demande si Miles a vraiment cru qu'il pouvait me battre, murmura-t-elle à mi-voix.

Un nom de plus à assimiler.

— Oh, au passage, je t'informe que tu es attaché à ton lit : chevilles, poignets, taille. Simple précaution. Je tiens à la vie, tu vois.

Hector n'eut guère le temps de s'en scandaliser : le froid qu'elle lui avait promis lui saisit aussitôt le bras. Il se sentit frissonner, une sensation bienvenue, tandis qu'une armée de cancrelats fantômes se répandait dans sa carcasse. Il retrouva son coude, son épaule, sa gorge et sa poitrine, son ventre et son sexe, ses jambes, son front, et la douleur s'invita derrière ses yeux, tolérable. Il toussa, frémit à nouveau.

Bougea les orteils.

Éprouva ses entraves. Solides.

Compta jusqu'à trois.

Ouvrit les paupières et la reconnut.

— Athéna.

Face à lui, la déesse eut un sursaut puis éclata de rire.

— Athéna, rien à dire, je suis flattée. Évidemment, je suis du bord adverse, sans quoi ce ne serait pas drôle.

Elle sortit de son champ de vision, il tourna le cou pour la suivre du regard. Les insectes dansaient sous sa peau, ses muscles gourds pesaient chacun une tonne, ses articulations grinçaient à la moindre torsion.

La pièce dans laquelle il se trouvait ne ressemblait à rien de ce qu'il ait déjà vu, mais sa stupeur était épuisée depuis longtemps. Cellule ou chambre, difficile d'en juger. Il reposait presque nu, un drap relevé jusqu'aux hanches, le torse constellé de ronds blancs et de fils noirs. Il ne sut qu'en penser.

Une chose semblait certaine : la femme s'appelait Alex, et non Athéna. Comme Cassandre, elle n'était pas ce qu'elle semblait être. Peut-être une parente, ou seulement un reflet. Il demeurait persuadé qu'il y avait un sens, là-dessous, et qu'il ne devait pas complètement négliger de ce qu'il ressentait dans ses tripes.

Athéna, déesse de la guerre, de la sagesse, alliée des Grecs et du roi Ulysse en particulier. Impitoyable. Intelligente. Immensément dangereuse. Capricieuse et jalouse, comme l'étaient tous les dieux.

Elle s'était appuyée à une table, un objet noir à l'oreille.

— Max, tu veux bien descendre ? J'ai envie de rire.

Elle parut écouter quelque chose, son sourire perdura.

— Bien sûr que ça en vaut la peine ! Je ne t'arracherais pas à ton marasme pour rien !

Par réflexe, le Troyen testa à nouveau les liens qui le retenaient à sa couche. S'il avait disposé de toute sa force, il aurait pu les arracher, mais tant souplesse que puissance lui faisaient défaut. Ses courbatures suggéraient qu'il avait été empoisonné ou frappé d'un sortilège, à moins qu'il n'ait simplement dormi trop longtemps.

La femme en toge blanche revint vers lui.

— Comment ça va, mon prince ? Les fourmis, le mal de tête ?

Elle lui toucha son poignet emprisonné, puis posa deux doigts à la base de sa gorge. Il s'interdit de broncher malgré le malaise que lui procura ce contact imposé.

— Tolérable, répondit-il.

La dénommée Alex acquiesça, puis sortit à nouveau son rectangle noir.

— Jeroen, je t'attends au labo d'ici quinze-vingt minutes max.

Pas une once de politesse. Si cette femme n'était pas vraiment une déesse, elle s'attendait à ce qu'on lui obéisse de la même manière. Au moins une reine. Une sorcière puissante. Ou quelque chose de tout à fait différent, dont Hector n'avait aucune notion.

Une porte s'ouvrit.

— Tu voulais me montrer quelque chose ? annonça une voix.

Hector la reconnut d'emblée. Il l'avait entendue plus d'une fois, vitupérante, furieuse, pathétique. Hermétique à toute sagesse, tout compromis, toute discussion. Son estomac se contracta de colère et de mépris, et à nouveau, il tira sur les lanières de cuir qui le retenaient. Son impuissance lui parut soudain intolérable, et il craignit de perdre la vie, qu'il venait de retrouver, sans pouvoir se défendre.

— Hum, il te déteste, remarqua Athéna.

L'infâme Ménélas s'approcha du lit.

— Il est éveillé ? s'exclama-t-il.

— Depuis peu, oui.

Le visage honni de l'ennemi se pencha sur Hector et, contre toute attente, lui adressa un sourire sincère, et même ravi. La discordance entre ce que l'homme lui évoquait et son attitude prit le Troyen au dépourvu et les insultes qu'il avait voulu proférer moururent sur ses lèvres.

— Bonjour. Je suis Max.

Max et pas Ménélas. Autre monde, autres protagonistes. Cassandre était fiable, Athéna s'appelait Alex, et Ménélas paraissait bienveillant.

— Merde, Alex, tu l'as attaché ? Pourquoi ?

— Tu veux qu'il te torde le cou ? C'est une EBA dernier cri. Miles lui a fatalement inséré des souvenirs qui nous desservent.

— Il n'a pas le droit d'utiliser nos images sans notre accord, protesta l'homme.

— Il n'a pas le droit, gnagnagna.

Elle refit face au Troyen.

— Dis-moi, Hector, qui est-ce ? Selon toi, pas selon lui.

— Ménélas, avoua-t-il.

Le visage de Max se para d'une grimace.

— Ménélas ? C'est une blague ?

— Moi je suis Athéna. J'ai toujours été la préférée de Miles.

— Je ne sais pas si j'en ferais une source de fierté, grommela le roi de Sparte.

À les voir de si près, Hector réalisa qu'ils partageaient des traits, dans la forme du visage, des sourcils, du sourire, comme s'ils étaient issus du même moule. Frère et soeur, probablement, d'une naissance unique.

— Je ne suis pas Ménélas, reprit le nouveau venu. Je n'ai rien à voir avec lui. Notre ressemblance est purement... superficielle. Et mensongère. Elle a été créée pour que tu te méfies de moi.

— Et accessoirement pour se foutre de ta gueule, Max, ajouta Alex en gloussant.

L'homme adressa un regard noir à la femme qui venait de l'insulter, mais elle n'en parut guère impressionnée. Il céda le premier, confirmant le rapport de force qui s'était esquissé. Hector trouva étrange qu'ils exposent leurs dissensions devant un étranger potentiellement hostile, mais il en tira la conclusion évidente qu'ils ne le considéraient soit pas comme un ennemi, soit pas comme une menace. Peut-être un peu vexant, mais aussi utile.

Pourtant, Alex l'avait appelé « mon prince », signe qu'elle savait qui il était, au moins dans les grandes lignes. Nina se trouvait-elle quelque part ? La présence de Leo pouvait le suggérer. Arthur et lui s'étaient enfuis et avaient été repris. Sans doute neutralisés en traître : Hector n'avait aucun souvenir au-delà de leur étreinte magnifique dans son temple obscur. Il songea à s'enquérir du jeune roi, mais se ravisa à la dernière seconde. Révéler ses affections risquait d'en faire un moyen de pression. Vu la position humiliante dans laquelle il se trouvait, il refusait de donner un levier supplémentaire à l'ennemi.

Non. Max et Alex. Faire abstraction de ce qu'il ressentait envers leurs doubles n'avait rien d'évident, des bouffées de détestation le saisissaient en vagues qu'il s'efforçait de réprimer.

Ménélas, le roi trompé qui avait mené l'armée grecque sous leurs murs.

Athéna, la déesse meurtrière qui la soutenait.

L'un et l'autre auraient eu tout intérêt à lui trancher la gorge tant qu'il était en leur pouvoir. Sans quoi, c'est lui qui tenterait de les tuer dès qu'il en aurait l'opportunité.

Ménélas – Max, il s'appelait Max – le dévisageait désormais avec inquiétude. Sans doute le Troyen avait-il mal contrôlé son expression.

— Je crois que tu as raison, Alex.

— Bien sûr que j'ai raison, répondit-elle.

— Hector... Je vais... d'abord tout t'expliquer. Et ensuite nous aviserons.

Il se pencha le long du lit et manipula quelque chose d'invisible. Ensuite, dans un chuintement, le matelas se déforma pour redresser le buste du prince en position assise. Ce dernier réalisa alors qu'il était relié par de fins cordages à divers artefacts étranges, aux pouvoirs incertains. Certains clignotaient d'étoiles miniatures, d'autres reflétaient des mosaïques en mouvement, les derniers semblaient remplis de potions mystérieuses. Il agita la tête pour se débarrasser de ce qui lui collait aux tempes et lui chatouillait le cuir chevelu.

— Je veux bien retirer celles de la poitrine, mais tu gardes celles du crâne encore un moment, grogna Alex.

Sans attendre, elle joignit le geste à la parole, arrachant un à un les ronds blancs disposés sur son torse.

— Désolée pour les poils.

En voilà une qui ne partageait pas la pudibonderie d'Arthur. Hector trouva sa familiarité presque agréable, même s'il aurait préféré qu'elle ne le touche pas sans son autorisation.

De son côté, Méné-Max avait invoqué des images sur une vaste surface suspendue au mur et s'était assis sur un tabouret voisin. Il attendit que sa soeur en ait terminé avant de prendre la parole et de tout lui raconter.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top