36. Prêt
Dans l'aube obscure, Arthur passa une dernière fois entre les mains d'Alex, vit une dernière fois Hector allongé sur son drap immaculé, tandis qu'un inconnu en blouse blanche lui manipulait les jambes, lentement, pour « empêcher la masse musculaire de fondre et les tendons de s'atrophier ».
La guérisseuse au regard de serpent lui tendit une gélule jaune, la promena sous son nez, mais la retira avant qu'il ne puisse la saisir.
— Un poison violent. Au cas où. Je le mettrai avec les balles. Sers-t'en au besoin.
Il la dévisagea sans comprendre ; elle rit sans joie.
— Tu pourrais te trouver dans une situation où mourir est préférable à ce qui t'attend. On t'a dit que Miles était un gars dangereux, non ?
Le jeune roi secoua la tête, mortifié par ce qu'elle lui suggérait sans la moindre honte.
— Mourir de sa propre main est un péché. Dieu seul...
— Blablabla, l'interrompit-elle.
Elle agita une main, claquant des doigts comme le bec d'un corbeau devant son visage, puis s'écarta avec un reniflement de mépris. Arthur n'en prit guère ombrage et ne chercha pas à parlementer. Il commençait à connaître Alex et son tempérament peu amène. La Sorcière blanche au coeur de glace.
Puis, soudain, il comprit.
— Vous avez peur que je parle sous la torture. S'ils me capturent. Qu'ils déduisent que je viens d'ici.
— Ha !
Elle se retourna et secoua la tête de plus belle, les lèvres pincées.
— Que crois-tu savoir que Miles ignore, au juste ? demanda-t-elle d'un ton grinçant. Qu'il s'est fait des ennemis de ses anciens collègues ? Que ceux-ci travaillent à sa chute ? Ne sois pas ridicule, Arthur. Tu ne lui apprendrais rien.
L'index dressé, elle semblait prête à ajouter autre chose mais se ravisa en levant les yeux au ciel. Arthur attendit mais elle se détourna et en revint aux données qu'elle compulsait sur son écran.
— Fais à ta guise, lâcha-t-elle en le chassant d'un geste. Souviens-toi quand même que Miles n'est pas un chevalier courtois. L'honneur, la décence, toutes ces âneries, ne font pas partie de son vocabulaire. Ne t'attends pas à ce qu'il se montre magnanime. Tu lui as filé entre les pattes, tu reviens pour te venger...
— Pas pour me venger.
— Étiquettes, étiquettes. Tu vois ce que je veux dire. Dommage qu'Hector roupille. Il t'aurait expliqué ce que tu risques. Son mythe est autrement plus sadique que le tien.
— J'ai vu des films... sur l'histoire...
— Théorie. Tu n'en as rien vécu.
— Je n'ai rien vécu de toute façon, lâcha-t-il, faussement désinvolte.
— Discutable.
Elle fit volte-face à nouveau.
— Je mettrai la pilule dans tes affaires. On ne sait jamais que trois grains de bon sens viennent se nicher dans ta caboche imbécile.
Le jeune roi manqua rire en songeant à ce que de telles paroles auraient valu à Alex si elle avait vécu à la cour de Camelot. Le pilori, le fouet, l'exil, la hache du bourreau. Pensées vaines, bien sûr. Il ravala l'insulte.
— Vous prendrez soin d'Hector ?
— Je ne fais que ça, rétorqua-t-elle avec humeur.
— Je ramènerai un antidote.
Elle ne répondit rien et se contenta de faire pivoter sa chaise tournante. Elle le congédia à nouveau d'un signe, sans un encouragement, sans un au revoir. Là encore, il ne s'en formalisa guère.
Max et Khalid l'attendaient dans la petite salle où il avait appris à tirer la veille. Le revolver composite était un peu plus gros que celui avec lequel il s'était entraîné, mais les différences restaient triviales, tant au niveau du poids que de la manipulation. Khalid tint quand même à vérifier qu'il exécutait toutes les manoeuvres sans hésitation avant de lui souhaiter bonne chance. Arthur n'avait pas vraiment eu le temps de faire sa connaissance mais il accepta ses voeux de réussite avec gratitude. En d'autres temps, le vétéran à la moustache aurait certainement appartenu à une élite militaire respectable.
Le sorcier blanc, resté silencieux, le raccompagna jusque dans sa chambre. Arthur s'y changea, revêtant la tenue qu'il s'était choisie, une combinaison près du corps, qui ne gênait pas ses mouvements. Il devrait de toute façon porter des vêtements médiévaux par-dessus, au moins un temps.
— J'aurais voulu que nous ayons plus de temps, annonça Max, tandis qu'il terminait d'ajuster ses lacets. Nous aurions pu mieux préparer les choses... Tout ceci est... très improvisé.
Il contint un soupir.
— Mais l'ouverture dont dispose Nina se refermera bientôt et reste notre meilleure chance d'entrer. T'ai-je dit que tu pouvais encore renoncer ? Sûrement. Je le redis. Arthur. Tu peux renoncer.
Arthur ne releva même pas les yeux.
— Les chances que tu t'en sortes vivant sont très limitées.
— Vous me l'avez déjà dit. Votre « très limitées » veut dire « nulles ». Et pourtant, je reviendrai.
Il se redressa. Debout, il dépassait Max d'une bonne tête. Celui-ci acquiesça, lèvres pincées, sans le contredire. Arthur apprécia son silence, même s'il le condamnait autant que les paroles de ruine de sa soeur jumelle. Il se demanda si Max était à l'origine de la pilule mortelle, s'il était même au courant.
— Quand je reviens, me donnerez-vous asile ? Je pourrais avoir commis des actes... criminels. Graves. J'aurai probablement tué de vrais êtres humains.
Le sorcier blanc demeura pensif, le dévisageant avec une expression presque triste, avant de s'écarter.
— Je m'y efforcerai. Je ne peux rien te garantir. Tout dépendra de ce qui s'est produit. Je ne peux pas compromettre toute mon organisation, tout notre travail... pour le salut d'un seul homme.
L'usage de ce simple mot toucha Arthur en plein coeur. L'émotion lui serra la poitrine et s'insinua au coin de ses yeux, lui brouillant le regard. Mortifié par ce sentimentalisme indigne de son rang, il se détourna et prit une profonde inspiration, tout en effectuant des mouvements d'étirement factices. Sans doute Max n'était-il pas dupe, mais il eut la décence de ne pas relever.
— Pouvez-vous protéger Hector, malgré tout ? Il n'est pas responsable de ma décision.
— Bien sûr.
— Alors tout est bien.
Arthur ferma les yeux, carra les épaules, invoqua des souvenirs mensongers. De victoires éclatantes, de tournois remportés, de triomphes des forces de la lumière contre les suppôts de Satan. Chaque épisode se déroula en images vivaces à l'intérieur de son crâne. Épées dressées, étendards battant dans le vent froid, déclarations de guerre, serments d'allégeance, promesses, le souffle d'un sentiment partagé d'agir pour un mieux.
Sans forcer, il parvint à s'abandonner à ces chimères, car leur emprise sur son esprit, sur son essence, était complète. Alex, sous ses dehors revêches, voyait juste : ce qu'il avait réellement vécu était discutable. Une fois intégré à sa mémoire, chaque épisode forgeait son identité. Aussi solide que quelque chose qui se serait réellement produit.
Les derniers filaments d'inquiétude s'estompèrent sous les assauts d'une certitude inébranlable. Le Roi Arthur ne laisserait pas les actes démoniaques de Miles Baden impunis. Il lui montrerait ce qu'il en coûte de contraindre et mépriser un mythe, de l'exploiter sans vergogne pour des raisons vénales, de se croire maître d'une légende.
La fureur succéda à la confiance.
— Arthur, il faut y aller. Les acteurs sont des lève-tard, mais les couloirs ne resteront pas dégagés toute la matinée.
Les fragments se déchirèrent dans la grisaille du petit appartement. Le roi adressa un signe de tête à Max, puis lui emboîta le pas dans les couloirs.
Quelques minutes plus tard, un coffre de voiture se refermait sur lui, le plongeant dans le noir.
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