33. Soutenu

Leo était furieuse, Max amusé, Alex silencieuse, et le dénommé Jeroen franchement excité. À partir du moment où il était acquis que Nina introduirait Arthur dans les studios de Légendes, qu'elle le ramènerait dans ses appartements, qu'ils y neutraliseraient Arthur 65, les idées fusèrent dans un brouhaha assourdissant.

Les tables rondes, songea le jeune roi, en retrait, toujours source de désordre.

Puis il se souvint qu'il ne pouvait que l'imaginer, pas le savoir, car il ne s'était jamais assis à une table ronde avant celle-ci. Max en était le Roi, et lui seulement le bras armé qui partirait bientôt en quête de justice. Il pouvait s'en contenter, même si ce n'était pas le rôle qu'on lui avait assigné en le concevant.

Rébellion.

Oui, il pouvait s'en contenter.

Leo s'était offusquée de ce plan tortueux, avait argué que si Nina pouvait ramener Arthur, elle pouvait aussi ramener n'importe qui, des renforts plus solides, une armée. Max avait ri : Arthur était le seul volontaire. Et il ne tiendrait pas plus d'une personne dans le coffre minuscule de la voiture de Nina.

Le Breton n'en avait ressenti nulle colère : à aucun moment il n'avait imaginé que quelqu'un le suivrait dans la gueule de l'enfer. Jamais il ne l'aurait exigé de ces gens , même s'ils étaient responsables, peut-être coupables, de sa situation. Ils n'étaient pas taillés dans la même étoffe.

Peu importait. Chacun agissait à la mesure de ses forces. Il irait tuer ce Miles.

Quand il l'énonça à voix haute, le silence gagna la table.

— Tuer Miles ? lâcha Max d'une voix qui trahissait qu'il n'y avait jamais songé. C'est assez radical... Tout à fait... criminel.

Arthur haussa les épaules.

— Cela ne s'applique pas à une EBA, de ce que j'ai compris.

Le sorcier blanc sourit.

— Effectivement. Mais les chances d'atteindre Miles sont très limitées, Arthur. Il ne se balade pas sur les plateaux. Et il a des gardes du corps.

Nina secoua la tête.

— Non. La seule possibilité de rencontrer Miles, pour un combattant, est d'être victorieux du tournoi.

— Ce qui signifie tuer tous les autres combattants, un à un, compléta Max. Certains sont coriaces... Achille, Siegfried, Lancelot...

— Hector, ajouta Leo d'une voix grinçante.

Arthur ne put réprimer un frisson. Il avait imaginé, furtivement, avoir à combattre le Troyen, à un moment où lutter semblait la forme par défaut de tout échange. Il n'en avait aucune envie, quel que soit son numéro. Il secoua la tête.

— Je n'ai pas l'intention de tuer d'autres EBAs.

— Ce sont des pions, pourtant, intervint Alex, sans émotion. Ils n'existent pas.

— Alex, s'il te plait, murmura Max d'une voix tranquille.

— C'est la réalité, continua sa soeur, agacée. Si on veut réellement frapper la tête, il faut pouvoir se frayer un passage jusqu'à lui. Sans scrupules. La fin justifie les moyens.

— Atteindre Miles est illusoire, lâcha l'homme aux cheveux gris. Arthur devrait se contenter d'interpeler le public pendant un combat en direct.

— Ce n'est jamais tout à fait en direct, murmura Nina. Pour éviter les problèmes. Et avec l'intervention de l'Armée des Pacifistes... Je crains que le délai de retransmission ait encore été rallongé.

— Est-ce que quelqu'un va se risquer à signaler, enfin, que cette initiative est vouée à l'échec ? intervint Leo. Arthur, pourquoi n'attends-tu pas qu'Hector se réveille, et vous irez vous balader dans les fleurs, à la périphérie, hein ? Je suis sûre qu'il y a assez de fonds pour vous payer un appart sympa, le temps que vous trouviez un job.

Arthur supposa qu'elle plaisantait et lui adressa un sourire désolé en secouant la tête. Il savait que si Hector avait été là, il aurait fait exactement la même chose que lui.

— Si vous voulez interpeler l'opinion publique, pourquoi ne pas le faire d'ici ? continua Leo. Filmez-le, balancez son image sur les réseaux, faites-le raconter, vous ne pensez pas que ça suffirait ?

— Tout ça n'est pas la question, répéta Miles. C'est la décision d'Arthur. D'y retourner. Nous ne parlons pas stratégie.

La fée aux cheveux verts poussa un cri de dépit.

— Vous nagez tous en plein délire. La seule chose qui va se produire, c'est qu'Arthur va se faire tuer, et que Nina... merde, Nina, tu ne peux pas réellement prendre un risque pareil ! Miles va t'étriper ! Tu crains peut-être qu'il te flanque un procès ou qu'il ruine ta carrière, mais en vrai, il va te faire trébucher dans les escaliers ! Les morts, y'en a trente-six, dans ses cartons ! Rémy Ferran ! Honorine Novembre ! Darius Hachem !

— Jamais rien n'a été prouvé, murmura Nina, d'une voix à peine audible.

— Merde, quelqu'un va la déciller !?

Personne ne s'exprima. Ils demeurèrent cois, bras croisés, regards fuyants, Miles but un peu de café, Alex relâcha un bref soupir. Leo s'était levée. Son teint rubicond contrastait étrangement avec ses cheveux verts.

— Je protégerai Nina, intervint alors Arthur.

— MAIS TAIS-TOI ! explosa Leo.

Elle parut sur le point d'ajouter quelque chose, mais préféra battre en retraite et quitta la pièce, claquant la porte sur ses talons. Aucune des personnes attablées ne sembla s'en émouvoir.

— Est-il réaliste de fournir une arme à Arthur ? demanda Max, comme si rien ne s'était produit.

— Comme un révolver ? répondit l'homme aux cheveux gris.

— Oui. Je pense qu'il serait capable d'apprendre à s'en servir en quelques heures.

Jeroen acquiesça derrière ses lunettes.

— Sans le moindre doute, compléta-t-il.

Le moustachu grimaça.

— Dans un matériau composite, sans doute, pour passer les contrôles. Oui, ça me semble jouable, je devrais pouvoir en localiser un d'ici demain.

— Parfait. On peut se servir des installations de l'équipe de Simon pour l'entraînement.

Nina ne regardait plus que la table dans l'ombre de ses mains. Arthur se sentait un peu hors de lui-même, soulagé et sonné tout à la fois. Son objectif demeurait nébuleux, pénétrer dans la place forte de Miles, localiser l'antidote qui éveillerait Hector, ouvrir la porte des cellules, vaincre le monstre. Dans quel ordre, difficile à dire, il avait le sentiment qu'il lui faudrait se montrer flexible.

— Disposez-vous d'un plan de leur forteresse ? demanda-t-il.

Max adressa un signe de tête au moustachu, qui se leva et fila dans le couloir. Alex lui emboîta le pas après un court conciliabule avec son frère. L'homme revint, déroula plusieurs parchemins annotés, puis ils se penchèrent dessus, tous ensemble.

Les données étaient incomplètes, les tracés parfois absents. Le bâtiment occupait tout un bloc, se déclinait en plusieurs étages, dont l'usage n'était pas toujours bien connu. Nina put préciser l'agencement d'une partie des sous-sols, la disposition des différents plateaux de tournage, les loges et les appartements des héros, enserrés au coeur du complexe, sans accès sur l'extérieur. Elle leur indiqua aussi où se trouvaient les bureaux administratifs, le restaurant des employés, la salle d'entraînement, l'atelier des costumiers. En revanche, elle ignorait tout de l'endroit où travaillaient les informaticiens, les médecins et les biologistes qui géraient les EBAs. Max ne pensait pas qu'il y ait de transferts, ils n'avaient jamais localisé de site protégé où Miles aurait pu entreposer les combattants avant leur activation, et il y avait largement la place, dans une structure aussi vaste, d'abriter un petit millier d'éprouvettes géantes, si on savait rationaliser l'espace.

Le groupement de Max disposait déjà d'autres informations, qu'ils avaient glanées au fil du temps et de divers transfuges. Arthur comprit que Khalid, l'homme à la moustache, connaissait Max de longue date et avait travaillé avec des EBAs avant la création de Légendes. Jeroen semblait le plus calé sur leurs compétences et leurs particularités. Aki ne disait rien, attentive, lèvres pincées, un pli en V entre les deux yeux.

De nombreux endroits, parfois un étage tout entier, demeuraient mystérieux. On pouvait faire des suppositions sur leur usage, mais pas de déductions fermes. Quand Arthur parla de trouver l'antidote, Nina mentionna un ascenseur vers les hauteurs, dont débarquaient les médecins, qui repartait vers une destination imprécise. Il était localisé près des studios, mais cela ne voulait rien dire quant à la suite du parcours qu'empruntaient les blessés dans le complexe. Arthur n'avait pas peur de marcher, son souci principal était d'échapper à la détection une fois qu'il se mettrait en mouvement. Or l'endroit semblait truffé de caméras, ces objets qui permettaient de transférer l'image de ce qui se passait à un endroit, à un autre. Nina n'y prêtait guère attention et ne connaissait pas leur localisation. La seule certitude qu'elle avait, c'était que jusqu'il y a peu, il n'y en avait pas dans les sous-sols, mais même si Arthur pouvait s'y déplacer pour rallier les quatre coins du complexe, il serait forcé de grimper dans les étages où il serait sans nul doute identifié.

Sauf si Nina lui procurait une tenue de vigile ou du personnel d'entretien.

Autre question en suspens, la localisation du maître de cette forteresse démoniaque. Max était persuadé que Miles vivait sur le site, on ne lui connaissait aucune résidence de milliardaire surprotégée dans les quartiers chics. À force d'hypothèses et de recoupements, de projections et de préjugés, la petite assemblée se mit d'accord sur trois secteurs potentiels où il pourrait s'être installé. Arthur écoutait, observait, constatait avec surprise et une forme de joie, que toutes ces informations s'inscrivaient aisément dans sa mémoire.

Quand Max lui demanda s'il pensait pouvoir s'orienter, le jeune roi demanda de quoi écrire et un parchemin vierge, avant d'y reporter tout ce dont il se souvenait. Le sorcier blanc poussa des exclamations de ravissement tandis que son jeune collègue à lunettes manifestait la satisfaction de l'expert : il n'en avait jamais douté. Les neurones affamés s'étaient jetés sur tout ce qui passait à leur portée.

Il ne leur restait plus qu'à passer aux aspects pratiques de l'opération.

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