26. Captif

Max et son escorte les accompagnèrent dans d'étroits couloirs. Les quelques personnes qui croisèrent leur route s'écartèrent avec des exclamations ou des regards ébahis. Leur présence ne passait pas inaperçue. Petit à petit, Arthur réalisa qu'il était la source de cette surprise et cette prise de conscience l'emplit de malaise. Il s'était cru étranger en ce monde, mais il ne l'était manifestement pas aux yeux des autres. À moins qu'ils ne le confondent avec un reflet propre aux lieux.

Le sorcier finit par les introduire dans une petite salle meublée d'une table ronde et d'une dizaine de chaises. La pièce renvoya Arthur à son propre château, à ses chevaliers, à la table autour de laquelle il s'était assis, plus d'une fois, pour débattre des affaires de la nation. Un cercle pour une égalité parfaite. Voir ce symbole détourné en pareil endroit lui mena la bile aux lèvres.

— Prenez place, proposa Max, en s'adjugeant un siège.

Un des gardes tira une chaise pour Arthur, tandis que Leo et Nina prenaient place, l'une à la droite d'Arthur, l'autre à sa gauche, mais à une distance respectable, comme si elles craignaient qu'il les contamine. Les mains liées dans le dos, il ne pouvait guère s'installer confortablement, et il avait conscience des deux soldats debout derrière lui, prêts à intervenir au moindre geste inquiétant.

— On devrait nous apporter des rafraîchissements d'ici quelques minutes, annonça Max avec flegme.

Sans doute âgé d'une cinquantaine d'années, peut-être un peu plus, le sorcier semblait incapable de ne pas sourire. Ses yeux clairs pétillaient d'une joie qu'il ne cherchait pas davantage à dissimuler. La présence d'Arthur et des deux femmes le ravissait.

Un serviteur apporta un plateau, des verres, puis s'esquiva. Max fit le service lui-même puis jeta un regard pénétrant à Arthur.

— Promets-tu sur ton honneur de te tenir, si on te détache ?

— Qu'allez-vous faire d'Hector ? répondit le jeune roi.

Le sorcier se carra dans son siège.

— Pour l'heure, l'examiner et évaluer la profondeur de son coma... sommeil. Préserver ses fonctions vitales.

— Pouvez-vous l'aider ?

— N'est-ce pas l'aider, déjà ?

— Le ramener à la vie.

Max croisa les bras.

— Est-ce important pour toi ?

— Oui.

Le sorcier hocha la tête.

— Intéressant.

Il leva les yeux pour s'adresser à l'un des hommes qui se trouvait derrière Arthur.

— Détachez-le.

Tandis que le soldat s'exécutait,, Max s'était tourné vers Nina.

— Pourquoi les avez-vous sortis ?

Elle secoua la tête et esquissa un geste imprécis.

— Ils allaient les tuer.

— Comme d'habitude.

— Je n'en pouvais plus.

Elle épongea ses yeux du bout des doigts.

— Je n'en pouvais plus, voilà. D'assister à tout ça. Leurs espoirs... leur courage... et ce cynisme... Ce ne sont pas des animaux !

— Non. Ce ne sont pas des animaux. Mais ce ne sont pas non plus des êtres humains, Nina. Vous savez, ça. La nuance cruciale.

— Quelle nuance ? les interrompit Arthur, le coeur battant.

Max le dévisagea, une expression de commisération théâtrale sur les traits.

— Elle ne t'a rien expliqué, alors, Arthur ?

Le jeune roi ne répondit rien. Le sorcier attendait, joyeux, qu'il s'exprime.

— Je viens d'un autre monde, souffla-t-il finalement.

— Qui n'existe pas. Cet autre monde. Il n'existe pas. Seulement dans ta tête.

Max se tapota la tempe de l'index. Un sifflement explosa dans les oreilles d'Arthur comme son organisme s'embrasait dans la fureur.

— Vous mentez, gronda-t-il.

— Non. Par où commencer pour que tout ceci soit compréhensible dans ton cadre de référence... Tu es... une créature façonnée par des alchimistes, disons. Une matière organique... un être vivant... construit dans un laboratoire. Par des enchanteurs très puissants. Ils avaient besoin... de soldats. De préférence des soldats obéissants et que personne ne pleurerait quand ils se feraient tuer. Des soldats sans famille. Mais motivés. Le genre de jeunes gars que le Roi Arthur enverrait se faire tuer contre les barbares, tu vois ? Mais qui ne laisseraient pas de veuve éplorée, ni de gosses orphelins, ni de protestations dans les rues et d'élections perdues. De la chair à épée. Au début, on avait pensé faire des machines... encore plus simple... mais la crainte était que ces machines se retournent contre leurs créateurs et les annihilent. Alors en façonnant des entités qui se penseraient humaines, c'était moins risqué. Bref. Tout ça date d'il y a un certain temps. Un peu plus d'une vingtaine d'années. Une période formidable, un mélange bouillonnant de génétique, de neurosciences, de bio-ingéniérie, franchement c'était hallucinant, ce qu'on pouvait faire !

Arthur n'y comprenait rien et cela dut se voir sur son visage, car Max quitta son petit nuage dans une grimace.

— Je t'égare. Bref. Tu es... la suite de ce programme. Détourné à des fins de divertissement une fois qu'on n'a plus trop voulu se taper dessus.

Il se leva et accompagna son discours de gestes.

— Tout ce que tu crois savoir, c'est du vent, Arthur. Il n'y a pas de Bretagne, pas de Table Ronde, pas de chevaliers. Ils n'ont même jamais existé. C'est du mythe, une légende, et on t'a fait croire tout ça pour que tu ailles te battre pour le plus grand plaisir d'un public qui adore voir gicler le sang. Comme tu n'es pas humain, la loi permet à tes créateurs de te torturer et de te mettre à mort. C'est ce qui s'est déjà produit...

Il se tourna vers Nina, à nouveau.

— Lequel est-ce ?

— Soixante-quatre, murmura la jeune femme depuis le creux de ses mains.

— Voilà, soixante-trois Arthur sont morts avant toi et il en reste une grosse trentaine avant l'épuisement de la souche. Un an de spectacle, plus ou moins.

— Je ne comprends pas, répéta Arthur.

— Et comment le pourrais-tu, pauvre chose, ricana Max, d'un air faussement désolé.

— Je me souviens... de mon enfance, de ma jeunesse... des chevaliers...

— Une belle histoire, non ? À la hauteur d'un roi légendaire. Ce sont des souvenirs factices. Qu'on t'a glissés dans la cervelle, quand elle était vierge de toute information, et tout s'est inscrit. Des événements, des compétences, un savoir... Ce que nous sommes est dans notre crâne, Arthur. Pas seulement, mais en grande partie. Comme tu n'as rien vécu... on peut tout te faire croire. Aucune interférence. Une page blanche biologique, des neurones affamés.

Arthur secoua la tête. Rien n'avait de sens, dans ce discours, les trois quarts des termes lui étaient étrangers. Dans sa mémoire, il dansait avec Guenièvre, devisait avec Gauvain, échangeait des passes d'armes dans la cour, avec Lancelot ou Perceval. Tournois, festins, audiences, son mariage, les enseignements de Merlin... L'épée dans la pierre. Un vertige le terrassa et il appuya son front sur ses paumes.

— Comment pouvez-vous être aussi cruel ! explosa Nina.

— Cruel ? Vous êtes un instrument de cette manipulation ! Combien d'Arthur avez-vous tourmentés de vos répliques ineptes ? Combien d'entre eux avez-vous vu crever à vos pieds, sans sourciller ?

— Je ne comprenais pas ce qu'ils étaient.

— C'est-à-dire ?

— Des êtres sensibles... des êtres humains.

— Ah ! La loi nous dit le contraire, ma chère.

— Vous n'adhérez pas à cette loi. Vous militez contre leur exploitation.

— Contre leur existence, ce n'est pas tout à fait la même chose.

— Vous mentez, murmura Arthur, dans la pénombre de ses mains.

Il était certain de ce dont il se souvenait. Chaque épisode était gravé en images et en émotions dans son esprit. Les rencontres et les événements. Les visages et les noms. Camelot, Brocéliande, Tintagel. Les paroles de Nina, plus tôt, dans la voiture, lui revinrent. Elle avait cherché à lui dire exactement la même chose.

Comment fait-on la différence entre la réalité et le rêve ?

— Vous mentez ! répéta-t-il plus fort.

— Rassieds-toi.

Il n'avait même pas réalisé qu'il s'était levé. Un soldat s'approcha de lui, Arthur le vit à peine, recula par réflexe.

— Donnez-lui de l'espace, s'exclama Nina.

— Faites ce qu'elle dit, confirma Max.

L'homme obtempéra. Arthur vacillait sur ses jambes, la poitrine oppressée, la vision polluée par des papillons noirs. Il voulait sortir de cet endroit, quitter cette ville, rentrer chez lui.

— Laissez-moi rentrer chez moi, souffla-t-il. Laissez-moi...

Une porte de sortie.

— Arthur, murmura Nina.

Elle fit un pas dans sa direction, il en fait un autre en arrière, attrapa la poignée et s'élança dans le couloir.

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