11. Esquives
La nouvelle venue posa ses poings ronds sur ses hanches.
— Qu'est-ce qui te fait croire, au juste, que je peux te fournir ce genre de choses ? Nina ! Tu es gonflée ! M'appeler à l'aube, m'attirer jusqu'ici, me fourrer tes...
Elle désigna les deux hommes assis d'un geste nerveux.
— Qu'est-ce qui t'a pris ? Franchement ?
— Ils allaient les tuer. Je n'ai pas pu faire autrement.
— Est-ce que ce n'est pas leur raison d'être, depuis le début ? railla Leo.
— Arrête. Pas devant eux, souffla Nina.
Arthur croisa son regard, elle le fuit aussitôt. Un instant plus tard, elle entraînait sa compagne dans la pièce voisine. Elles y reprirent leur conversation agitée, mais à voix basse, hors de portée. Au bout d'une poignée de secondes, Hector se leva.
— Je n'ai pas compris un traître mot de leur discours mais j'ai l'impression que ça nous concerne. Tu viens ?
Arthur demeura vissé à sa chaise. Après ce qu'il avait surpris au réveil, il n'était pas complètement certain de vouloir en savoir davantage. L'étrange inconnue avait parlé de « les tuer », cela lui semblait suffisant. Non, trop. C'était trop.
Il se força, pourtant. Comme le Arthur du futur. Déterminé, courageux, malgré l'inévitable. Affronter le pire, tête haute. Hector avait raison.
Une fois qu'ils furent dans le couloir, que la teneur de la conversation reprit ses formes, le grand guerrier l'immobilisa d'un geste. Ils demeurèrent ainsi embusqués.
— Et quoi ? disait Leo. Tu crois que personne ne va réaliser que tu as subtilisé deux précieux combattants ?
— Pas dans l'immédiat, j'ai pris mes précautions, répondit Nina. Écoute, je ne te demande rien. Juste de me mettre en contact avec des gens qui peuvent me faire des faux papiers. C'est tout.
— Ce n'est pas exactement rien. Et ce n'est pas si facile. Tu te fais des idées sur mes relations. Sur moi, en fait.
— Tu as toujours eu des amis... en marge...
— Une seconde, là...
Leo s'était immobilisée et lorgnait les hauteurs.
— Ta super IA nous écoute, non ?
— Witch est ultra-sécurisée. Elle n'enregistre pas les conversations par défaut, et ne diffuse rien à l'extérieur. Je l'ai paramétrée.
— Tu as toujours été une quiche en matière de technologie, excuse-moi. Et aussi d'une crédulité confondante, pour quelqu'un qui a vendu son âme au diable.
— Je n'ai pas...
— À d'autres. Pourquoi as-tu ramené ces deux légendes, si ce n'est pas parce que soudain, ton coeur s'est remis à battre ?
Nina se tut, leva les mains au ciel, puis aperçut Hector et Arthur. Son visage trahit aussitôt sa gêne, plus que ça, une sorte d'angoisse. Elle quitta son fauteuil, mais, plutôt que de venir à leur rencontre, elle se dirigea vers un boîtier situé près de la porte, le souleva, et enfonça un bouton lumineux.
— Nina, vous allez me désactiver, intervint la servante invisible.
— C'est l'idée, Witch.
— Je vous rappelle que mon réveil prendra environ 47 minutes et 11 secondes. En mon absence, votre appartement connecté pourrait dysfonctionner à plusieurs égards, notamment la température ambiante, la qualité de l'air, l'inventaire du frigo, la gestion optimale de la charge de votre véhicule...
— Merci Witch. A bientôt.
— A bientôt Nina. Ne m'oubliez pas. Vous me manquerez.
Quelques notes lugubres suivirent cette déclaration.
— Mais quelle manipulatrice, c'est terrible, s'exclama Leo depuis l'accoudoir du fauteuil où elle s'était posée.
Nina haussa les épaules et regarda à nouveau dans la direction des deux hommes à l'affut.
— Il suffit de se blinder contre ses jérémiades...
— Et tu es rodée en ces matières, ajouta Leo, la voix dégoulinant de moquerie.
Arthur n'aurait pas supporté qu'on s'adresse à lui avec autant de sarcasme, mais il ne comprenait pas ce qu'était Nina, et pas davantage ce qu'était Leo, ni la relation qu'elles entretenaient. Des sorcières assurément. La seconde avait une apparence surnaturelle. Peut-être une fée, une elfe, un farfadet d'autrefois. Par réflexe, il se signa, puis recommanda son âme à Dieu.
— Les héros nous espionnent, ajouta finalement Leo, qui avait fini par les repérer. Est-ce digne, franchement ? Vous avez le droit de faire ça ? Espionner ? On ne vous a pas appris la noblesse, ce genre de trucs ?
— Cessez de pérorer, femme ! gronda alors Hector.
Son explosion se suivit d'un silence bref, bientôt troublé par le rire léger de Leo.
— Ah, ça me semble plus dans le ton.
Elle se tourna vers sa compagne.
— Rassure-moi, Nina... Tu as un peu de contrôle sur ces brutes??
— Si tu évitais de les insulter, déjà...
— Ah, je vois.
Leo posa les coudes sur le dossier du fauteuil.
— Venez nous rejoindre, nobles seigneurs ! s'exclama-t-elle. C'est un honneur pour la gente dame que je suis d'être en la présence d'illustres héros de votre trempe ! Je suis... écrasée par votre splendeur !
Arthur doutait de la totale sincérité de la créature, mais ses efforts lui parurent appréciables. Hector quitta leur point d'observation, avança de quelques pas dans la pièce, puis s'immobilisa. Bras croisés, épaules droites, il en imposait. Leo, pourtant, ne semblait pas en avoir peur. Arthur s'imagina affrontant le Troyen, puis repoussa cette image. Il ne voulait pas l'envisager.
— Nous avons attendu l'aube, comme promis, sans rien tenter contre vous, annonça le prince étranger. À présent, nous voulons savoir ce qui se passe. Clairement, sans artifices.
Le jeune roi vint se camper à côté de lui, en soutien.
— Qu'est-ce que tu leur as raconté, pour qu'ils te suivent ? demanda l'elfe aux cheveux verts, curieuse.
— La vérité. Qu'ils étaient en danger.
— Ma vie est, par essence, pleine de dangers, intervint Hector. Si le destin exige que je me sacrifie, pour ma patrie, ma famille, je le ferai sans hésitations. M'as-tu soustrait à ma destinée, Cassandre ? T'es-tu opposée aux dieux ?
— Je ne suis pas Cassandre...
— C'est Hector ? intervint Leo. Hector de Troie ? Wouah ! Il a du charme. Je devrais regarder votre programme, en fait.
— Les hommes ne t'intéressent pas, souffla Nina.
— Je peux faire une exception. Et puis je peux admirer l'esthétique.
Arthur sentit la colère bourgeonner dans son ventre. Elles continuaient à s'exprimer par énigmes, comme pour les perdre.
— Je ne me suis pas opposée aux dieux, reprit Nina, peut-être sensible au changement d'humeur de ses deux invités. Vous alliez mourir de manière... stupide... sans rien réussir.
— Je suis le défenseur de Troie. Je dois rentrer chez nous, notre peuple a besoin de moi, la coupa Hector.
— Et moi de Camelot. Mes chevaliers sont en quête. Je suis le dernier rempart...
Nina pinça les lèvres.
— Je sais. Mais vous alliez... vous faire tuer. Aujourd'hui, demain, dans un duel inutile... Arthur, tu as vu...
Le jeune roi frémit malgré lui, et Hector lui jeta un regard oblique.
— J'ai vu une vision du futur. Du moins, vous l'avez appelée comme telle. Je n'ai que votre parole.
— Quelque chose de similaire allait se produire, Arthur, je te le jure.
Hector secoua la tête, puis un sourire sévère colonisa ses lèvres.
— Tes promesses sont de vent. Cassandre, tu imagines toujours le pire. Et tu te trompes toujours.
— Je ne suis pas Cassandre. Cassandre a de longs cheveux châtain sombre aux reflets roux, et des yeux aussi noirs que les tiens. Elle a la peau beaucoup plus brune, aussi... C'est juste... C'est compliqué. Je dis la vérité.
Arthur surveillait la dénommée Leo avec circonspection. Celle-ci avait froncé les sourcils et secouait la tête, lèvres pincées.
— Nina, intervint-elle soudain. Tu devrais leur dire la vérité.
— C'est ce que je fais.
— La vraie vérité.
L'échange qui suivit se passa de mots. Arthur se demanda si les deux femmes communiquaient télépathiquement. Leurs yeux s'envoyaient des éclairs. Hector perdit patience le premier et traversa la pièce pour aller les surplomber. Elles se turent aussitôt.
— Tu ne mesures pas... souffla encore Nina.
— Ma patience a des limites ! explosa le Troyen.
Arthur s'interposa par réflexe et posa les mains sur la poitrine nue du guerrier, pour l'empêcher d'avancer. Ce dernier se figea, surpris. Embarrassé, le roi breton baissa les bras mais Hector le retint d'une poigne ferme mais sans brutalité.
— Tu prends le parti de ces femelles ? demanda-t-il à mi-voix.
— Non, bien sûr que non.
Son code de chevalerie lui commandait de protéger les plus faibles, et les femmes parmi eux, mais celles-ci échappaient à son cadre. Une épée, un poing, les aurait assurément mises à terre, mais l'ampleur de leur savoir réduisait la violence à rien. Quoi qu'ils obtiennent par la force, ils auraient perdu quelque chose.
— Rappelle-toi, ajouta-t-il. Nous avons besoin d'elles pour rentrer.
Hector le gratifia alors d'un sourire lumineux.
— Tu deviens familier. J'apprécie.
Arthur mit une seconde à comprendre, avant de reculer, arrachant enfin son poignet à la paume chaude du Troyen. Il tourna sa gêne vers le mur voisin, s'interdit de porter les doigts à ses joues. Une plante aux feuilles dentelées ornait la tablette supérieure d'un buffet étroit, aux côtés d'une source de lumière de forme biscornue. Dans un cadre à la bordure noire, un oiseau réaliste, en noir et blanc, prenait son envol au-dessus d'un lac. Une tapisserie aux couleurs criardes le voisinait, représentant un homme et une femme enlacés, occupait l'espace suivant. Arthur tempéra son souffle puis fit volte-face. Les trois autres l'observaient, des expressions contrastées sur le visage. Il se sentit mortifié.
— Je vais vous expliquer, offrit alors Leo. Venez.
Elle s'était levée et déplaça sa silhouette courtaude vers l'immense fenêtre toujours voilée.
— Leo, souffla la dénommée Nina, qu'Hector appelait toujours Cassandre.
— Il faut assumer, rétorqua l'autre, en écartant la légère tenture.
Sous les yeux du jeune roi s'étala alors une vision stupéfiante, telle qu'il n'en avait jamais contemplée.
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