i've seen too much

Le couinement d'un petit canard en plastique se heurta aux murs lorsqu'il écrasa son pied dessus ; un léger grognement s'échappa de ses lèvres et il se pencha, l'attrapant entre ses doigts. Ses prunelles d'un bel ébène se perdirent un court instant sur cet objet, qui le ramenait des années en arrière ; un jouet qu'il tenait du père de sa meilleure amie, un jouet qu'il avait détesté dans son enfance, pourtant, il était là, dans ses mains, trente ans plus tard. Un sourire se glissa au coin de ses lèvres, il s'avança le long du corridor et déposa le jouet dans les mains rondelettes du bébé ; Shikae fixait l'objet, silencieusement, de ses grands yeux bleutés. Les quelques mèches brunes sur le sommet de son crâne prenaient une allure bordélique et il s'accroupit un instant au pied du berceau, caressant les joues de l'enfant ; ce petit garçon lui mettait du baume au cœur, autant qu'il lui faisait mal. Parce que dans ses prunelles d'un beau bleu, il reconnaissait les nuances des iris de Fune ; chaque fois, ça le hantait. Une main délicate s'attarda sur son épaule et dans un élan maladroit, il se hissa correctement sur ses deux pieds, déposant un chaste baiser sur le front de sa mère ; Yoshino attrapa son menton entre ses doigts et sembla à la recherche de quelque chose sur le visage de son fils. Les sourcils froncés, Shikamaru fourra les mains dans ses poches.

- « qu'est-ce que tu fais, maman ? » demanda-t-il, dans un soupir épuisé
- « je vérifie ton état » répondit-elle, d'une voix calme
- « mon état ? » répéta le grand brun
- « oui, je vérifie que tu n'es pas alcoolisé »

Un éclat de surprise passa dans les prunelles du garçon, et il repoussa doucement la main de sa mère, étouffant un soupir agacé entre ses lèvres ; elle se hissa maladroitement sur la pointe des pieds et ébouriffa ses mèches brunes. Bien qu'il semblait absent, au fond, elle lui faisait terriblement confiance ; il était son fils, après tout, le fruit d'un amour pur et exceptionnel. Un sourire empli de nostalgie et de tristesse se glissa sur ses lèvres et elle fondit maladroitement dans les bras du brun, et malgré le fait qu'il ne répondait pas à son étreinte, elle resserra sa prise autour de sa carrure imposante.

- « ton père s'était mis à boire, à son retour de la guerre » avoua-t-elle
- « je ne suis pas lui, maman » lâcha-t-il, dans un soupir agacé
- « mais tu es son fils, Shikamaru » murmura-t-elle, douloureusement

La copie conforme de Shikaku ; maintes et maintes plaintes s'étaient échappés de ces lèvres, lorsqu'elle s'en était rendu compte. Souffrir pendant des heures, dans un lit d'hôpital, pour que l'enfant ressemble à son père ; mais là, aussi douloureux soit-il de croiser ses prunelles d'un bel ébène, elle remerciait Shikaku de lui avoir donné le plus beau cadeau de l'univers. Shikamaru était leur petit garçon et il le resterait, jusqu'à la fin.

Elle se tira maladroitement de l'étreinte et esquissa un sourire, caressant la joue rugueuse de l'homme ; un soupir s'échappa des lèvres du garçon et il fit volte-face. Au fond, ça lui faisait mal ; parce qu'il connaissait assez sa mère pour connaître le fond de ses pensées, elle pensait à son père, elle pensait au fait qu'elle avait failli le perdre lui, elle pensait au fait qu'il n'était pas lui-même depuis son retour. Et il haïssait cette inquiétude qui lui faisait mal, par sa faute. Un bruit de pas résonna entre les murs de la pièce et une tignasse brune fondit contre ses jambes, elle quémanda un baiser et s'élança finalement sur le canapé, un livre pour enfants, dans les mains ; son regard se perdit un instant sur cette enfant. Ils avaient vécu l'enfer, tous les deux.

Un faible poids s'écrasa sur ses épaules et il s'attarda un instant sur la veste au ton brun que Temari venait de déposer sur lui ; il l'enfila dans un élan maladroit et fourra ses mains dans les poches. Un sourire au coin des lèvres, la blonde s'empressa d'épousseter les plis du tissu, en prenant soin de ne pas effleurer la peau à la teinte hâlée de son époux. Ses prunelles d'un bel ébène s'attardèrent un instant sur les mains de la femme, près de lui ; une douce odeur de santal émanait d'elle et il se souvenait que, quelques années en arrière, ce parfum l'avait rendu fou. Le scintillement de la bague à son doigt attira son attention et il se raidit légèrement, comment pouvait-il se conduire ainsi, après ce qu'il avait fait ? Sans un mot, il repoussa la blonde et s'occupa lui-même des plis de sa veste, saluant rapidement sa mère et les enfants.

Les rues du village caché du Sable semblaient en effervescence ; s'en était ironique, le monde tournait alors que son univers à lui, était en suspens. Un soupir s'échappa de ses lèvres et il se renfrogna sur lui-même ; les villageois marchaient, se bousculaient, riaient, mais aucun ne se rendait compte à quel point il souffrait. Le cœur en vrac dans sa cage thoracique, il s'engouffra silencieusement dans l'hôpital ; le bruit de ses pas se mêla lentement au son des sanglots et il tenta tant bien que mal de prendre sur lui-même. Les murs blancs étaient couverts d'un tas de photos, d'un tas de visages souriants, disparus pendant la cinquième grande guerre ; les poings serrés, il fit un pas en avant et balança un sourire maladroit à la tignasse rose qui s'approchait de lui. Elle claqua un baiser bruyant sur la joue de la blonde et lui offrit une poignée de main ; ses mèches au ton quelque peu bordéliques étaient attachés en une petite queue de cheval, et elle portait cette blouse blanche qui caractérisait bien les médecins, des villageois.

- « je suis contente que vous soyez venus » avoua la rose, dans un soupir épuisé « il y a beaucoup de monde »
- « je vois ça » lâcha-t-elle dans un murmure « est-ce que c'est normal ? après la quatrième grande guerre, ce-.. »
- « ce n'est pas la même chose » la coupa Shikamaru, les poings serrés « cette fois, c'était différent »

Les prunelles brunes du garçon ne parvenaient pas à se détourner de ce spectacle ; un océan de vies humaines, qui cherchaient tant bien que mal, des survivants. Et mit en évidence, dans un coin de la pièce, où quelques villageois du village caché de la Feuille fondaient en larmes, le visage souriant de Naruto traînait sur un mur. Il tenta de faire taire le vacarme douloureux dans sa cage thoracique et prit une inspiration.

- « ce n'était pas une guerre » continua-t-il « c'était un massacre »

Ses mots flottèrent un instant ; au fond, il avait raison et elles le savaient. L'ennemi ne cherchait rien, il voulait simplement du sang ; et bien trop de vies avaient été prises, sûrement que ça aurait pu être n'importe quel village, mais c'était tombé sur eux, comme ça, d'un coup. Un frisson le prit, au simple souvenir des atrocités auxquels il avait participé.

- « et concernant les photos ? » demanda la blonde, les mains liées dans son dos
- « sur la droite, les portés disparus et sur la gauche, les décédés » expliqua la rose

Des fragments de son enfance glissèrent dans son esprit et il ferma les yeux, un court instant ; l'image d'un petit blondinet, un grand sourire sur les lèvres se mêla à l'image d'un rouquin, un peu enveloppé, un paquet de chips dans les mains. Il étouffa tant bien que mal un sanglot entre ses lèvres et ne bougea pas, n'ouvrit pas les yeux, lorsque une main délicate effleura sa joue rugueuse ; un léger tremblement prit en otage ses membres et il chercha à prendre une inspiration, douloureusement, mais l'air ne venait pas. Ses prunelles brunes se heurtèrent silencieusement aux iris d'un bel émeraude de la femme dont il était profondément amoureux et dans le sourire qu'elle lui lançait, il trouva un certain apaisement. Elle était là. Et il l'aimait terriblement.

- « prends une inspiration, calmement, d'accord ? » chuchota-t-elle

Il acquiesça et prit une inspiration, sa présence calmait le plus sombre de ses cauchemars. Un sourire au coin des lèvres et une petite pointe de déception au fond de ses prunelles, elle retira sa main de sa joue et passa son bras autour du sien, le tirant silencieusement dans cet amas de personnes ; les sourcils froncés, la respiration courte, le brun la suivait, en traînant des pieds. Tous ces visages qui traînaient sur les murs, il les connaissait ; il avait été le fils du conseiller du Hokage, avant de lui-même prendre cette place. Son regard s'attarda sur le visage souriant et rondelet du jeune Akimichi, sur le mur des personnes décédés et elle exerça une petite pression, sur son avant-bras, l'empêchant de se fondre en un vacarme de sentiments contradictoires.

Dans un élan maladroit, il esquiva l'homme qui fonçait sur lui, de dos ; il étouffa un soupir agacé entre ses lèvres et s'apprêtait à dire quelque chose, à se faire entendre, lorsque son cœur rata un battement. Une carrure imposante, un amas de mèches rousses, des iris noisette et cette photo ; il était là, une photographie de Fune dans les mains et la colère qu'il avait enfoui au plus profond de ses entrailles, reprit le dessus. Il se tira de l'étreinte de son épouse et s'avança d'un pas lourd, attrapant le cadre photo dans ses mains ; les sourcils froncés, le rouquin lui jeta un regard plein de dédain.

- « qu'est-ce qui vous prends ? » s'exclama-t-il, un sourcil arqué
- « Shikamaru, qu'est-ce que t-.. » commença Temari, en retrait, dans son dos
- « d'où est-ce vous connaissez Fune ? » demanda le brun, le souffle court

Un éclat de surprise passa dans les prunelles de l'homme et il arqua un sourcil, le regard menaçant.

- « je suis son époux, et toi ? » cracha le rouquin « tu es son amant ? »

Temari eut un mouvement de recul à la mention d'un amant ; peut-être était-ce vrai, au fond. L'homme qu'elle aimait, était revenu si différent, deux enfants dans les bras et surtout, une femme dans les pensées ; une femme qui le hantait, partout où il allait et ça, elle n'avait pas besoin qu'il lui dise pour qu'elle le sache. Elle le connaissait, par cœur ; ce bout d'homme. L'absence de réponse entre les lèvres du brun accentua la flamme menaçante dans les prunelles du rouquin ; dans un élan brutal, il donna une tape sur l'épaule du Nara, un sourire mesquin au coin des lèvres.

- « pas mal, comme bout de femme, n'est-ce pas ? » ajouta-t-il « mais ne t'en fais pas, je n'en veux plus ; c'est l'enfant qui m'intéresse, mon enfant, en fait »

Les sourcils froncés, la blonde étouffa un hoquet de surprise entre ses lèvres ; il était vrai que, bien qu'elle n'y avait pas réellement pensé, le petit Shikae avait un père, autre que Shikamaru. Le brun arqua un sourcil, à cette mention.

- « cette salope ne sera qu'à toi, ensuite » poursuivit le rouquin, les bras croisés sur son torse

Le poing du brun s'écrasa brutalement contre la joue de l'homme et le craquement qui s'échappa de cette étreinte, arracha une grimace à la blonde ; dans un bruit étouffé, mêlé aux exclamations des villageois, il s'écrasa contre le sol, douloureusement. Shikamaru se hissa au-dessus de lui et écrasa son poing contre sa joue, une dizaine de fois ; jusqu'à ce qu'un corps ne se heurte à son dos, dans un élan maladroit. Une telle colère émanait de lui, sûrement que dans d'autres circonstances, il l'aurait battu à mort, encore et encore ; une main délicate se posa sur le côté gauche de sa cage thoracique et il fit taire tant bien que mal le tremblement qui le prenait. Il repoussa d'un geste doux la femme contre son dos et se hissa sur ses deux pieds, essuyant ses phalanges ensanglantés sur la tunique du rouquin.

- « Fune et l'enfant sont décédés, tous les deux, pendant que tu te cachais, comme un gosse » cracha le brun, une pointe colérique dans la gorge « tu m'excuses, mais je prends ça »

Sans attendre une quelconque autorisation, il ramassa le cadre photo sur le sol et fit volte-face ; son épouse lui emboîta le pas, mal à l'aise. Le claquement de la porte, derrière leurs silhouettes, lui arracha un sursaut et l'air frais lui fit du bien, une demi-seconde ; sans un mot, il s'avança dans les rues, le cadre en main et son corps se heurta au bois d'un banc hasardeux. Un soupir s'échappa de ses lèvres, alors que ses prunelles d'un bel ébène s'accrochèrent au visage de la photographie ; la silhouette de son épouse se glissa près de lui, sur le banc, silencieusement. Un sanglot passa le cap de ses lèvres et une main délicate se posa sur son avant-bras ; pourquoi était-elle encore là ? Il fondait littéralement en larmes, devant la photo d'une femme et elle, elle restait là, près de lui ; ça le tuait, au fond. Quelques larmes s'échappèrent de ses paupières et roulèrent sur ses joues rugueuses, s'en était si étrange, à quel point elle lui manquait ; il aurait aimé qu'elle soit là, qu'ils élèvent ce bébé ensemble, qu'elle rencontre Temari et tous les autres, mais elle n'était pas là, elle ne serait plus jamais là.

- « pourquoi est-ce que tu as menti ? » demanda-t-elle
- « ce n'est pas un homme bon » souffla-t-il « et c'est mon fils »

Bien sûr qu'il aurait simplement pu lui dire que Shikae était bel et bien vivant, qu'il dormait sûrement profondément dans son berceau, au son de la voix mélodieuse de sa grand-mère ; mais qu'aurait-il fait si cet homme avait voulu reprendre l'enfant ? Cet enfant que Fune lui avait confié, cet enfant qu'il considérait comme son fils.

Il essuya tant bien que mal, d'un revers de manche maladroit, les larmes sur ses joues et renifla bruyamment. Personne ne lui prendrait ce petit garçon. Une pointe de tristesse inondait le regard de la jeune femme, et ça lui faisait mal.

- « tu es sûr que tu.. » elle prit une inspiration « que tu n'as pas eue d'aventure avec cette fille ? »
- « est-ce que tu considères un baiser comme une aventure ? » souffla-t-il

Le souffle court, elle tenta tant bien que mal de faire taire les larmes qui perlaient au coin de ses yeux.

- « est-ce que tu l'aimes ? » demanda-t-elle, dans un murmure douloureux

La question lui arracha un pincement au cœur ; l'aimait-il ? Parfois, il ne parvenait plus à détacher les souvenirs de la réalité actuelle ; l'aimait-il ? Aimait-il ce bout de femme, décédée au pied d'un arbre ? Aimait-il ce bout de femme, à laquelle il avait ôté la vie ? Un tremblement le prit et il réprima un haut de cœur, à ce souvenir ; son sang tâchait ses mains. Temari attrapa son visage en coupe et força le contact entre leurs regards ; elle avait besoin de savoir, de savoir si son époux serait de nouveau à elle, un jour.

- « Shikamaru » lâcha-t-elle « est-ce que tu m'aimes ? »

Ses prunelles d'un bel ébène s'accrochèrent aux iris émeraude de la femme, près de lui ; les quelques nuances de verts au fond de ses prunelles ne faisaient qu'accentuer la beauté de son regard. Le souffle court, il acquiesça faiblement à ses propos, lorsque son regard se perdit dans les nuances bleutées des prunelles de la jeune femme, à l'autre bout de la rue ; elle était là, encore une fois, un grand sourire sur les lèvres. Fune était là et c'était à cause d'elle que son cœur battait si douloureusement dans sa cage thoracique.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top