Chapitre 4 : Le Monde De Kaïna 3/6
Liorah, la Gardienne en pourpre, désigna les soldats à sa droite :
- Voici Arana O'Fara, Grande Protectrice de la Nation Feu, et son partenaire, Ignus.
Elle désigna ensuite celle aux écailles dorées et à la chevelure rousse juste à sa gauche :
- Voici Aguna O'Aqua, Grande Protectrice de la Nation Eau. Zephyr O'Shilla, qui vient de partir, est le Grand Protecteur de la Nation Air.
Puis, elle désigna les couples dans la pénombre. D'abord, celui aux plumes :
- Voici Ama O'Etha, Grande Protectrice de la Nation Ether, et son partenaire, Etherius.
Ensuite, celui qui se tenait la main :
- Voici Kore O'Gara, Grande Protectrice de la Nation Terre, et son partenaire, Taran.
Pour finir, elle posa une main sur sa poitrine.
» Et je suis Liorah O'Ara, Grande Protectrice de la Nation Lumière.
- Oui bien sûr, dit Addie qui n'avait même pas daigné regarder les personnes que Liorah venait de présenter. Et les hippogriffes existent.
Elle se mit à rire, accompagnée des autres, bien qu'une tension crispât leurs mâchoires.
Eloane ne riait pas, elle. Ses yeux étaient rivés sur la femme aux cheveux blancs de ses rêves. La Grande Protectrice de la Nation Lumière. Liorah. Sa tante.
- Vous vous rappelez les Hippogriffes ? demanda Kore, sans pour autant s'avancer sous l'éclairage.
- Ahah ! Je vous ai eus, les Hippogriffes sont imaginaires. Ils sortent des romans d...
Eloane l'interrompit en lui touchant le bras de sa main valide :
- Addie, les Hippogriffes sont les créatures d'une mythologie Humaine ancienne.
- Il faut croire que le Brouillard est toujours actif, dit Arana. Au moins une bonne nouvelle.
Puis son regard tomba sur Keegan et elle grimaça avant de détourner la tête, le nez haut, comme dégoûtée.
Il en fut déstabilisé et ses sourcils se froncèrent, mais il se décala du reste de son groupe pour se tenir plus grand et plus fort, pour lui montrer qu'elle ne l'impressionnait pas.
Ignus, le Gardien aux flammes, posa une main sur l'épaule de la Grande Protectrice du Feu, faisant s'adoucir son expression glaciale. Il avait la même complexion que Keegan, les mêmes traits fins et les mêmes yeux. La même couleur pêche que ses fesses, aussi.
Les paupières d'Eloane papillonnaient de l'un à l'autre, tandis qu'elle prenait en compte toutes les informations. Son cerveau était en train de surchauffer.
- Si vous êtes vraiment ce que vous prétendez, comment se fait-il que vous parliez notre langue ? demanda Morgane d'un coup, tentant de dévoiler les incohérences pour démasquer la farce qu'on leur jouait.
Liorah tapota ses tempes. Un petit cercle de métal paraissait collé sur chacune.
- Ce n'est pas le cas. En ce moment, j'utilise mes capacités magiques liées à l'esprit pour vous faire comprendre notre langue. Nous vous comprenons grâce à cette technologie, que nous vous implanterons plus tard. Mais ce n'est pas ce qui importe maintenant. Je dois vous dire que nous ne nous attendions pas à vous retrouver sans mémoire. Vous deviez être préparés à commencer votre Quête du Savoir avec les bases d'enseignement que reçoivent les jeunes Gardiens.
- Quête du Savoir ? s'esclaffa Feng Et puis quoi encore ? Hors de question que je retourne à l'école. J'ai arrêté à la fin du collège, ce n'est pas pour reprendre maintenant.
- J'ai bien peur que ce soit obligatoire pour tous les Gardiens ayant atteint la majorité. De plus, votre cas est particulier. Vous faites partie des Familles Protectrices. Par votre naissance, votre devoir est de défendre votre nation et votre peuple, l'Empire et le monde entier. Ainsi, même si vos classes seront partagées avec les autres Apprentis, vous devrez suivre un cursus spécifique, que vous auriez dû avoir commencé dans l'Ancien Monde, avec vos accompagnants.
Feng croisa les bras :
- Encore moins intéressé.
- Tu ne comprends pas, dit Arana. Si tu ne suis pas ton entraînement, tu seras tué.
Le visage de Liorah se figea un instant et elle se retourna vers la Grande Protectrice du Feu, sans pourtant rien dire.
- Ah carrément, on passe direct aux menaces de mort.
- Pas par nous. Par Alrak le Maudit, celui dont nous vous avons préservés en vous envoyant dans l'Ancien Monde avec des accompagnants pour vous élever.
- Quel nom original ! Vous n'avez vraiment pas trouvé mieux ? Quelqu'un a été payé pour ça ?
- Pourquoi avoir eu besoin de nous protéger ? demanda Keegan.
Arana allait répondre, mais Liorah s'interposa :
- Il voulait détruire une génération de futurs Protecteurs pour nous affaiblir.
La Grande Protectrice du Feu soutint son regard, le visage fermé, mais n'ajouta pas un mot.
- Voilà qui est un peu plus motivant, dit Feng. Et l'histoire tient plus ou moins la route, bien que j'observe déjà quelques incohérences. Je dois dire que je félicite quand même les auteurs de cette farce. C'est vraiment bien réussi. Les effets spéciaux, le décor hyperréaliste, tout. Chapeau.
Il commença à applaudir, mais s'arrêta quand il vit que le reste de la bande ne le suivait pas. Son air narquois se fondit en un visage aussi froid que la glace :
- Mais la blague devient lourde. Je perds patience.
Eloane regardait Liorah, fière et belle, dont elle partageait définitivement les traits, sans savoir quoi dire. Ce que lui avait dit Hélène une fois, à propos de sa petite sœur dont elle parlait souvent, lui revint en tête : «Elle n'est plus de ce monde».
Très drôle. Vraiment hilarant.
Toute sa vie, Eloane avait subi les phrases sans queue ni tête de sa mère, qu'elle attribuait à son caractère un peu lunaire. Elle réalisait peu à peu qu'en fait, celle-ci n'avait pas arrêté de parler de manière cachée de cet endroit. Toutes ses réflexions et sa façon d'agir ces derniers temps repassaient dans sa tête, surtout les ultimes moments vécus ensemble, comme le jour de son départ : «J'oublie souvent à quel point ce monde est fou.» Puis quand elle l'avait enlacée, en larmes, avant de la quitter à l'aéroport, tel un adieu... Eloane avait été sûre d'éprouver de la détresse, à la place de la paix habituelle qui se dégageait de sa mère, mais l'avait mis sous le coup de sa propre anxiété. Et son appel pour lui souhaiter son anniversaire avant l'heure, les mots qu'elle avait employés : «une dernière fois».
Le ventre d'Eloane se serra. Un mauvais pressentiment fit s'affoler son cœur.
- Pourquoi nos familles sont-elles encore sur Terre ? Pourquoi ne sont-elles pas revenues directement avec nous ?
Il y eut un moment de flottement. Liorah semblait redouter ce qui allait suivre et prit quelques secondes pour se composer :
- Nous sommes sur Terre. Seulement pas dans le même monde.
- Comment peut-on être sur Terre et ne pas y être ? dit Keegan en fronçant toujours plus les sourcils.
- La magie a créé ce monde. Il a pour ancrage la Terre. Il contient d'ailleurs nombre d'endroits et de choses qui existaient dans l'Ancien Monde, emportés au moment du départ de nos ancêtres. Le point d'ancrage n'est pas plus grand qu'un grain de sable et se trouve dans les cieux, au milieu d'un océan. Il n'est atteignable par aucun Humain.
- On tient dans un grain de sable ? se mit à rire Feng.
- À vrai dire, à l'échelle de l'Univers, c'est déjà le cas.
Eloane recentra la conversation sur sa question restée sans réponse en se raclant la gorge.
L'éclat du visage de Liorah s'assombrit. Elle soupira et bloqua son regard dans celui d'Eloane.
Celle-ci put y lire les terribles présages qu'elle redoutait et l'angoisse se mit à comprimer sa poitrine.
- Ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour en parler, dit Liorah.
- Je pense au contraire que c'est le meilleur moment, dit Keegan, plus stoïque que jamais.
- Vous êtes pas en train de me dire que vous croyez sérieusement à tout ça ? dit Feng en se tournant vers les cinq autres, les yeux plissés à cause des sphères lumineuses qui les surplombaient.
Ils hésitaient à répondre. Une intuition étrange les perturbait depuis qu'ils avaient atterri ici. Une impression, tout au fond d'eux, de reconnaître l'endroit, d'être là où ils le devaient. Ce qui n'avait rien de logique, alors ils avaient préféré l'ignorer. Maintenant, toutes les explications, bien qu'invraisemblables, les faisaient douter.
- Laissez-moi vous prouver que tout ceci est bien vrai, dit Liorah en touchant d'un doigt l'emplacement entre ses sourcils.
D'un coup, ils eurent la certitude que la Grande Protectrice de la Lumière disait la vérité. Aucun souvenir ne leur était revenu, non, c'était plutôt une confirmation implacable de leurs mauvais pressentiments.
Eloane et Addie se servirent mutuellement de béquilles pour ne pas s'effondrer. Morgane tituba, se rattrapant à Aimé qui avait déjà du mal à tenir debout. Feng retint une plainte et baissa la tête en s'enfermant dans le silence, ses cheveux détachés cachant son visage. Keegan n'avait pas bougé, mais ses muscles se contractaient et se relâchaient sans arrêt. Ses veines étaient apparentes, celle sur son front paraissait sur le point d'exploser.
- Dites-nous maintenant, dit Morgane qui respirait fort. S'il vous plait. Nous allons commencer à nous inquiéter. Mes parents et mes quatre frères m'attendent là-bas.
- Quatre ? s'écria Aguna.
Les grands yeux outremer de la Grande Protectrice de l'Eau s'étaient écarquillés. Ils avaient la même profondeur que ceux de Morgane.
Liorah leva une main vers Aguna pour la prier de ne rien ajouter.
- Peuvent-ils revenir eux aussi ? demanda Eloane d'une voix tendue.
- J'ai bien peur que non, dit Liorah, qui n'avait plus le choix de répondre. Vos accompagnants le savaient et ils ont fait le choix du sacrifice.
- Sacrifice ? répéta Eloane, hébétée. Cela sonne comme une sentence à mort.
Elle n'avait pas encore intégré la signification de cette réponse. Son cerveau l'en empêchait. C'était trop terrible. Elle était à deux doigts de la crise de nerfs.
- Quitter ce monde et ses bienfaits nous affaiblit et bloque nos capacités. Ce n'est pas une mort directe, non. Mais tous savaient que c'était un risque à prendre, qu'il n'y aurait pas de retour en arrière possible.
- Et certains l'ont compris plus tôt que d'autres, dit Feng en relevant la tête, l'air sombre.
Une tristesse profonde brouillait les traits presque irréels de Liorah.
- Je suis désolée, plus que vous ne pouvez l'imaginer, mais au moment exact de votre naissance, à votre passage dans le monde de Kaïna, le Brouillard aura tout effacé de vous dans la mémoire de tous ceux qui vous ont connus là-bas. Toutes traces de votre passage dans l'Ancien Monde ont maintenant disparu.
- Je ne suis pas encore née, dit Addie, comme si cela allait changer quelque chose au reste. Je suis née à huit heures trente-cinq du matin et ici, il fait nuit.
Eloane en ouvrit grand la bouche : elle aussi était née à cette heure précise. Comme Morgane, Keegan, Feng et Aimé, vu la tête qu'ils tiraient.
- Le temps est une drôle de chose, vous verrez. En effet, il est à peine cinq heures du matin. Mais vous êtes tous nés au moment exact de l'équinoxe de mars il y a vingt ans. Ce qui veut dire que, chaque année, où que vous soyez, vous gagnez une année à l'heure à laquelle elle survient.
- Ce n'est pas comme ça que ça marche, contredit Morgane.
- En parlant de ça, dit Feng, est-ce qu'on peut savoir pourquoi on est tous nés au même moment ? Une équinoxe, rien que ça. Même moi qui n'y connaît rien, je sais que c'est un truc de rite chelou.
Personne ne releva, tout le monde était tendu.
- Pourquoi nous avoir envoyés là-bas, alors ? demanda Eloane dont la voix craquait sous l'émotion. Laissez-moi retourner auprès de ma mère, tout de suite.
Elle avait beaucoup de mal à retenir ses larmes et sa panique.
- Ils ne peuvent pas revenir et vous ne pouvez pas repartir, dit sa tante, visiblement anéantie.
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