CHAPITRE 12 part 1
Cela fait maintenant une semaine que ce petit rituel dure. Je n'avais aucune envie de reprendre la musique à vrai dire. Si j'ai fait cela, c'est juste pour l'intérêt du cercle. J'ai beau avoir essayé sans relâche de lui soutirer des informations sur sa famille, elle ne veut rien dire. Une perte de temps... Tout va mal à présent : Nous sommes seulement trois dans le cercle blanc, et pour arranger le tout, le départ des deux sœurs a été programmé à demain. Nous ne pourrons plus nous voir et le cercle blanc va être divisé, une catastrophe !
Je sais qu'il n'y a rien à faire, nous avons déjà parlé de nombreuses fois avec la principale, mais malgré sa bonne foi, elle ne peut accorder une bourse à deux élèves. Métis n'a toujours pas mis Hugo au courant, je me demande comment il le prendra... Elle ne voulait pas avoir à lui dire au revoir aussi tôt. Devrais-je agir même si les conséquences pouvaient être terribles ? Ou devrais-je laisser Jade et Métis partir, emportant avec elle une partie du cercle ?
Pourquoi faut-il que tous les problèmes tombent sur notre génération ! Je pense à nouveau ce que Romain me disait il y a déjà plus d'une semaine : que notre lien, cette connexion est spéciale. Serait-ce donc le départ de tout ce « n'importe quoi » ? Le fait qu'un garçon et une fille soient opposés, et que cela n'aurait jamais dû arriver ? Si cette coïncidence est si grave, je pense que nous devons considérablement nous inquiéter pour la suite...
Après notre journée de cours, je pars travailler en étude. Nous organisons tellement de réunions à la bibliothèque que je n'ai plus le temps de travailler. Or qui dit mauvaises notes durant les examens, dit plus aucune bourse...
Je m'assois à une table seule, et pour la première fois depuis longtemps, je me mets à travailler. Certes je n'ai jamais eu de problème pour ce qui est du travail, mais mes notes sont catastrophiques en ce début d'année... J'ai perdu deux points sur ma moyenne générale par rapport à l'an dernier. Si je ne m'y mets pas au plus vite, je crains de devoir redoubler mon année. D'autant plus que si je venais à redoubler, aucune bourse ne me serait accordée. Il faudra que dorénavant je travaille plus. Mais comment travailler plus lorsque nous n'avons ni le temps ni l'envie ?
Il faut que j'arrête de réfléchir, j'ai des exercices de maths à faire...
La chaise à côté de moi recule. Je tourne la tête, mais personne n'y est assis... Je fixe recoin par recoin la salle, mais aucun signe de Juliette qui aurait pu créer un tel phénomène à distance. J'ai sûrement dû rêver... Il est certain que la fatigue n'a pas un très bon effet sur moi. Et les hallucinations commencent, à moins que ce ne soit... Romain ! Qu'est ce que je dis... Romain est en retenue, il ne peut pas sortir de la salle de colle.
Je deviens complètement folle... Mais j'oubliais ! Shana peut contrôler les émotions ! Et si c'était elle qui me rendait malade ?
Sophie... tu perds la tête toute seule, je perds la tête ! J'ai peur de tout et de tout le monde ! J'ai l'estomac noué d'être assise sans mes amis... Je sais qu'à tout moment Juliette peut arriver, et en un mouvement de bras, me clouer au sol, resserrant peu à peu la gorge jusqu'à me couper le souffle. Que de bons souvenirs...
Je ne peux cesser de me sentir observée. Des frissons parcourent mon corps lorsque je sens cette présence se rapprocher. Prise de panique, je me retourne brusquement. Mais ce n'est pourtant qu'une élève de première année qui passait par là. Des rires se font entendre dans la pièce. Mes petits numéros d'élève perturbée attisent la curiosité autour de moi. Je décide donc de rassembler mes affaires et de regagner ma chambre.
Je n'ai d'autre choix que de repasser par le bâtiment principal pour déposer mes affaires dans mon casier. Une voix bourrue retentit à travers ce labyrinthe de couloirs, suivie de cris plus aigus, attirant mon attention. Je m'approche discrètement de ce brouhaha, et glisse un œil à travers l'ouverture de l'accès à l'administration.
— Je n'ai guère d'autre solution Mme Haren.
— Dois-je vous rappeler, Mlle Tirol, que vous
avez signé un contrat avec cet établissement, dont vous ne pouvez quitter ?
— Non madame, il en va de soi, que vous avez raison, mais je n'ai jamais signé pour...
— Bien, je vous laisse donc disposer. Vous avez sûrement mieux à faire.
— C'est exact...
Mlle Tirol, professeur de latin sort de la pièce, le regard désolé. Je recule de quelques centimètres et patiente un court instant, le temps que les pas de cette dernière s'arrêtent.
Je suis loin d'être une fille courageuse, j'en suis sûre. Et je ne sais plus comment agir. Une infime partie de moi – bien qu'elle soit minoritaire – me dit pertinemment que je sais quoi faire. Alors que l'autre, visiblement, préfère me persuader du contraire. C'est peut-être la seule occasion que j'aurai... Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais.
Avant que cet incroyable élan de courage ne se
dissipe, j'entre d'un pas décidé dans le bureau de la principale et avant même que celle-ci n'ouvre la bouche pour exprimer son étonnement, je pose la main sur son épaule, la plongeant dans l'une de mes illusions.
Tout comme Romain me l'a appris, mes capacités ne s'arrêtent pas là où je le pense, mais peuvent aller beaucoup plus loin. Je sais qu'il n'y a aucun mot pour qualifier mon acte, mais je ne peux faire marche arrière à présent. Lorsqu'une illusion est bien créée, elle peut emmêler les esprits, et confondre deux idées ou souvenirs.
À présent, Mme Haren va penser que les parents de Métis et Jade ont payé l'année scolaire de leurs filles. Elles n'auront donc plus aucun problème...
Elle reste allongée par terre quelques minutes. Juste le temps de remonter dans ma chambre.
— Sophie ! Réveille toi !
Je sors de mon sommeil, et me relève brusquement, sortant de mon lit la tête étourdie. Mes jambes flageolantes manquent de me faire tomber. Jade me retient m'attrapant par les épaules :
— Je reste !
Je la regarde fixement dans les yeux, attendant que ses explications s'éclaircissent :
— Apparement mes parents ont déjà payé l'internat ! Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais la principale a appelé ma mère et lui a avoué avoir retrouvé un chèque !
— Et ta mère... Elle en pense quoi ?
— Elle a la tête ailleurs depuis quelques mois, alors elle a dû oublier qu'elle avait déjà payé le lycée.
Je souris faussement et attrape mon uniforme filant sous la douche.
Je ne veux pas que Jade ait l'impression que je ne suis pas heureuse pour elle. Mais le plus important, c'est qu'elle est capable de détecter ce stress et cette honte qui me ronge de l'intérieur depuis hier.
Une fois habillée, je décide d'aller déjeuner avec Métis, déjà levée :
— Jade t'a appris la bonne nouvelle, je suppose ?
— Oui, en effet.
— C'est une bonne chose, mais j'ignore comment...
Métis reste muette. Je la regarde inquiète, attendant qu'elle me donne des explications à son comportement pour le moins étrange. Elle paraît paralysée par la peur... Mais que regarde t-elle ?
Je me retourne :
— Tu le vois ? S'il te plait, dis moi que je ne rêve pas Sophie...
Ma cuillère tombe au sol, et le bruit du métal résonnant dans le self attire de nouveau l'attention sur moi. Une vague de panique m'envahit soudain, alors que tout le réfectoire pouvait voir ce que nous fixions depuis de longues secondes.
Une chaise flotte à quelques centimètres du sol, se balançant légèrement de gauche à droite. L'élève à l'uniforme bleu à côté ne semble pas avoir remarqué.
— Fais quelque chose Sophie... murmure Métis, encore bouche-bée devant cette scène plus impressionnante en réalité qu'elle en a l'air.
Une seule idée traverse mon esprit, après un court instant de concentration, la totalité du réfectoire tombe dans un profond sommeil ; désolé pour les élèves encore debout...
Nous nous levons lentement, et nous approchons de la table d'à côté. Métis passe devant moi. Elle s'avance hésitante et alors qu'elle n'était plus qu'à un mètre de la chaise, l'élève assis à côté ouvre les yeux et se tourne vers nous :
— Je vous en supplie, aidez moi...
Ses yeux sont rouges, et ses joues couvertes de larmes. Sa voix tremblante ne fait pas de doute, cette fille paraît vraiment perdue.
Un groupe d'élèves arrive en courant :
— Que s'est-il passé ici?!
Les trois membres du cercle noir entrent dans le réfectoire et s'approchent peu à peu de nous, sans un mot.
Romain se rapproche de moi :
— C'est toi qui as fait ça ? demande t-il, montrant du doigt les élèves allongés au sol.
Je me contente d'hocher la tête en guise de « oui ». Il me sourit fièrement, mais je tourne la tête au même moment.
— Qui-est-ce ? questionne à son tour Shana.
— Je pense savoir, affirme Juliette.
Cette dernière s'approche de la fillette éveillée, et pose sa main sur la sienne. Leurs yeux changent aussitôt de couleur, puis re-deviennent normaux.
— Qu'est ce que cela signifie ?
— Sophie, tu peux dire bonjour au nouveau membre de ton cercle.
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