CHAPITRE 1 part 2

La nuit est tombée sur l'Institution depuis quelques heures déjà. J'ai beau me tourner dans tous les sens, il m'est impossible de dormir. Les lumières extérieures éclairent en partie la chambre, alors je me place dos à la fenêtre et regarde les ombres défiler sur le mur.
J'attrape mon téléphone. Il n'est que minuit. À cette heure-ci, tous dorment probablement, orphelins comme surveillants. Ne sachant que faire, je me laisse guider par mon intuition et me lève.

Orla dort dans le lit à côté du mien. Je fais attention à ne pas faire de bruit, elle a le sommeil très léger. Je saisis mon manteau sur la chaise de bureau et mon téléphone sur la table de nuit. Le parquet des chambres est si vieux qu'il grince atrocement. Mais une chance pour moi, je connais par cœur les planches à éviter pour minimiser le bruit. Une fois cette étape délicate franchie et la porte atteinte, j'attrape mes chaussures et me dirige dans le couloir.

J'avance lentement sur le long tapis poussiéreux décorant le corridor, et grimace à chacun de mes pas. Je pense que ce tapis n'a jamais été nettoyé étant donné la quantité de cure-dents qui s'y trouve !

Je descends les escaliers de bois sur la pointe des pieds et tourne à gauche dans les cuisines. Bridie garde les clefs de la porte principale dans sa chambre, mais m'y aventurer serait trop risqué. Je pousse la porte, et me dirige vers la fenêtre au-dessus de l'évier. Je grimpe sur celui-ci avant de sauter de l'autre côté. Je pousse la fenêtre derrière moi sans la refermer et enfile mes bottines. Qui aurait cru que j'arriverais jusqu'ici... Luke et Tom ont déjà essayé l'an dernier, mais ils ne sont pas arrivés à franchir les escaliers. L'ancienne directrice était aussi plus prudente. Elle était capable de passer la nuit entière dans le couloir pour s'assurer qu'il n'y ait pas le bazar. Une vraie hystérique...

Je dois arrêter de réfléchir et partir au plus vite avant de regretter mon choix et faire demi-tour. Je m'avance dans les jardins et escalade le grand portail de l'entrée. Je vérifie l'heure et me rends rapidement à l'arrêt de bus le plus proche : juste à l'extérieur de Sean Henrys, à côté de l'église. Une chance qu'il y ait ici un bus de nuit dans une aussi petite ville...

Après un interminable trajet d'une heure, je m'arrête au même arrêt qu'hier et marche dans la rue, essayant de suivre une nouvelle fois le chemin de la veille. Je trouve en un rien de temps le magasin d'astronomie et monte la rue, essayant de me repérer. La prochaine fois que je voyagerai avec Kelsey, je m'assurerai de connaître la route... Il y avait tellement de monde que je ne parviens pas à reconnaître mon trajet !

Alors je marche, les mains dans les poches et la capuche sur la tête, essayant de préserver le maximum de chaleur. À cette époque de l'année certaines nuits peuvent être glaciales !
Je sais que j'ai fait une grosse bêtise en sortant, mais j'ai besoin de réponses. Alors hors de question de faire marche arrière.

Je sens une présence derrière moi depuis un moment, mais je ne me suis pas encore retournée. En jetant un rapide coup d'oeil sur la vitre d'une boutique, je remarque que quelqu'un est bien derrière moi. Je n'attends pas une minute de plus, et tourne dans une ruelle sur ma droite. Je me colle contre le mur attendant de voir passer ce mystérieux inconnu. N'entendant plus de bruit, je me rapproche de l'angle du mur et regarde attentivement les alentours. Personne n'est là... Je me recule doucement, continuant de fixer la rue en face, lorsque je me cogne contre quelque chose. Je fais un bond en tournant sur moi-même. Il n'y a plus rien, ou plutôt personne derrière moi. Je ne peux pas avoir rêvé... On ne se cogne pas contre... rien ! J'avance plus rapidement dans cette sombre ruelle, avec pour espoir que le peu d'éclairage présent m'aidera à passer inaperçue. J'attrape mon téléphone dans la poche et le serre dans mes mains. J'ai encore assez de crédit pour passer un coup de téléphone en cas de problème.

La rue se finit sur une voie sans issue. Un bruit retentit près de moi. Prise de panique, j'allume ma lampe torche et éclaire les environs. Je remarque un minuscule passage entre deux bâtiments. Je n'ai pas le temps de réfléchir, je cours et m'y introduis, avançant de profil.

— Où vas-tu ? Viens par ici ! une voix m'appelle.

J'en suis persuadée, je ne connais pas cette voix ! Je me dépêche de regagner l'autre côté. Je vois la lumière se rapprocher ! Une fois arrivée, je cours pour traverser la rue, mais les phares d'une voiture s'approchant à une vitesse surprenante me tétanisent et je reste paralysée sur la route sans pouvoir bouger. La voiture tente de freiner au dernier moment, mais il est trop tard. La lumière des phares m'aveugle et j'entends le vague son d'un klaxon.

♪bip bip bip♪
J'attrape mon téléphone, et éteins ce bruit insupportable qui me sert de réveil. Je repose mon téléphone sur la table de nuit, mais celui-ci tombe et laisse échapper un écho assourdissant, me réveillant plus énervée que je ne n'aurais pu l'être. Je me redresse et m'assieds sur mon lit. Tout cela n'était qu'un cauchemar... Je suis tellement soulagée !

Je me lève et pars dans la chambre d'à coté pour réveiller Kelsey toujours endormie. Nous vivons toutes les deux dans ce foyer depuis que nous avons sept ans, et je la réveille chaque matin depuis. Mais c'est sûrement la dernière fois.

Je lui frôle légèrement le bras sortant de sa couette :

— Je suis réveillée Sophie, tu peux aller te préparer... dit-elle sans ouvrir les yeux et d'un ton morose.

Je repars dans mon dortoir et attrape mes affaires pour aller me laver.

J'allume la douche et m'assieds au sol. L'eau chaude coulant sur mes épaules détend l'ensemble de mes muscles crispés par ce mélange de stress et d'excitation. Je repense à mes dernières années passées ici. Tout va tellement me manquer... Ce sont les seuls souvenirs auxquels je m'accrochais. J'ai l'impression de devoir recommencer ma vie loin d'ici. Je ne devrais pas me plaindre, tous n'ont pas eu cette chance, mais j'avoue que partir ne me réjouit pas autant. J'ai ce terrible pré-sentiment que rien ne se passera comme je l'espère. Je me demande souvent ce qui se serait produit si je n'avais pas perdu mes parents. Certainement que nous habiterions tous les trois dans une grande villa, style maison victorienne comme je les aime. Mais je ne le saurai jamais... Cela me semble mieux ainsi. Vivre dans le rêve ne peut qu'être mauvais.

Depuis que je suis ici, j'ai rencontré beaucoup de personnes et je me suis fait des amis. Bridie était vraiment importante pour moi. Elle s'occupait de nous comme si nous étions ses propres enfants. Elle me manquera énormément... Mais une nouvelle vie commence à partir d'aujourd'hui.

Une fois prête, je pars dans ma chambre fermer ma valise, symbole de nouveau départ. Kelsey me rejoint :

— Tu es prête ? me demande t-elle nostalgique.

— Oui, je pense.

— Tu es stressée ? continue t-elle.

— Non.

— Je sais que ce n'est pas vrai. Tu as cette manie lorsque tu es angoissée, de tripoter ta bague.

— La bague qui appartenait à ma mère oui...

Ce bijou est ce qui me reste de plus précieux. C'est une bague en argent incrustée d'un saphir et d'un motif noir en forme de triquetra, motif celtique très répandu en Irlande. Je pense que c'était sa chevalière, peut être héritée de sa mère. C'est aussi le seul souvenir que je détiens de mes parents.

— Tu imagines l'argent que tu gagnerais si tu la vendais ?

— Ce n'est pas ce que je souhaite Kelsey. Et puis que ferais-je avec une telle somme ?

— Si tu n'en trouves pas l'utilité, je la trouverai pour toi. J'irai me faire faire un petit peu de chirurgie esthétique certainement ! s'écrit-elle tendant la peau de son visage tout en s'observant dans le miroir.

— N'importe quoi...

De la chirurgie esthétique... C'est la fille la plus belle que je connaisse ! Elle a un corps de rêve, des yeux d'un bleu océan magnifiques, des cheveux châtains ondulés. Son teint pâle lui donne un air d'ange et ses tâches de rousseur harmonisent son visage. Alors avec un physique pareil, que voudrait-elle changer ?

— On a tous des défauts tu sais, m'explique t-elle.

— Je ne vois pas desquels tu parles...

Nous descendons toutes les deux à la cantine. Il est exactement six heures, et tout le monde nous attend autour d'une grande table.

— Surprise !

Tout le foyer s'est levé une heure plus tôt pour nous dire au revoir. Je souris et prends un air étonné devant tout ce monde, mais il faut avouer que je m'y attendais. Cela fait deux semaines qu'ils préparent notre départ. Je les ai déjà surpris à plusieurs reprises en train d'en discuter. Mais c'est l'intention qui compte. C'est ce que l'on m'a toujours dit.

Alors que Kelsey salue une dernière fois nos amis, je me rends au salon où est entrée Bridie il y a moins d'une seconde.

— Bridie ?

— Oui je suis là Sophie !

Je m'approche d'elle :

— Tu sais Bridie, je voulais m'excuser pour hier. Je sais que tu as eu des ennuis par notre faute.

— Les murs ont des oreilles on dirait bien ! Mais ne t'inquiète pas Sophie, tout ira bien pour moi, et pour toi ! Tu es une brillante élève et une jeune fille adorable, nous te regretterons tous tu sais. Mais promets moi de te souvenir d'une chose : tu ne dois pas tourner le dos à ton avenir et toujours marcher droit devant toi. Je suis certaine que tu seras heureuse là-bas, dit-elle d'une voix rassurante comme elle a l'habitude de le faire.

J'hoche la tête et la prends dans mes bras.
Je passe la porte du foyer suivie de près par Kelsey. Je me retourne et regarde une dernière fois ces têtes qui m'ont accompagnées durant plus d'onze ans, ce lieu si familier... Une larme roule sur ma joue mais je l'essuie aussitôt. Si Kelsey me voit pleurer, elle pleurera à son tour et je n'ai pas envie de la voir dans cet état.

Le chauffeur nous attend de pied ferme devant l'entrée et nous débarrasse de nos sacs. Je monte dans la voiture, mais quelqu'un m'attrape le bras avant que je n'atteigne le siège arrière :

— Sophie... Tu vas me manquer... me dit Tom attristé.

Je ne réponds rien, et le serre dans mes bras. Il repart et laisse place à Kevin :

— Tu as eu de la chance d'être choisie Sophie, et tu la mérites... Alors fais de ton mieux, et surtout appelle-moi le plus souvent possible...
Je lui souris, et il comprend à travers mon regard que c'est ce que je ferai. Il m'embrasse sur le front, et me laisse regagner la voiture. Celle ci démarre, et nous partons en direction de la gare.

Je regarde par la vitre et observe les visages s'éloigner. Kevin et Tom vont vraiment me manquer... Tom a toujours été comme mon grand frère et Kevin... je ne sais pas à vrai dire. Notre relation a toujours été ambigüe. Mais se sont mes meilleurs amis depuis toujours. En y pensant, je me demande ce que « toujours » devrait signifier pour moi.

Après avoir quitté le foyer depuis seulement deux minutes, je reçois un message de Kevin :
« Je t'aime, ne nous oublie pas »

Je souris et lui réponds :

« Je t'aime aussi et ne me remplace pas ! »

Je remets le téléphone dans la poche intérieure de mon manteau lorsque la présence d'un second appareil me trouble. Je le sors de ma poche. C'est celui de Kelsey ! Elle se tourne dans ma direction au même moment :

— Mon téléphone ! C'est toi qui l'avais, j'en étais sûre !

Elle tente de s'en emparer lorsque je remarque qu'un post-it est collé derrière. Je le décolle au moment même où elle me l'arrache des mains. Kelsey n'y fait vraisemblablement pas attention, je le cache derrière moi et le lis discrètement :

« Fais attention la prochaine fois. Et tiens ! J'ai oublié de te rendre ça. »
Qu'est ce que cela signifie...

Le taxi nous conduit à la gare de Galway, à soixante quinze kilomètres, où nous prendrons le train pour Athlone.

Une fois dans la gare, nous marchons seules et sans bruit, les valises à la main. Nous sommes conscientes que le train nous emmènera dans un monde qui nous est inconnu. Nous sommes à deux doigts d'entrer dans une nouvelle vie, et je suis bien décidée à rendre celle-ci... inoubliable.

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