Chapitre 2
Alitor
C'est à chaque fois pareil.
Dès que Cotoca apparaît sur les radars et que les premières images s'affichent sur l'écran de contrôle, mon cœur se met à battre comme un fou, menaçant de jaillir de ma poitrine. Mais il ne le fait jamais. Je suis un Cotoca, bien trop solide pour me laisser submerger par quoi que ce soit. Néanmoins, l'émotion est toujours palpable, dans la salle. Personne ne l'admettra, mais retrouver notre planète d'origine fiche un coup au palpitant à chacun des hommes autour des panneaux de contrôle.
J'ai beau être le commandant de ce vaisseau, je n'en suis pas moins touché. Cependant, comme mon équipage, je me contente de me taire et d'admirer la boule sombre de laquelle nous approchons.
En toute honnêteté, Cotoca n'est pas la plus belle planète de notre système solaire. Elle en est même loin. Si Landivar, dont nous sommes originaires à la base, présente, depuis l'espace, une beauté indéniable due à ses océans violets et ses continents verts, on ne peut pas dire que Cotoca brille par son aura. Bien plus petite, presque noire en surface, elle n'a jamais attiré beaucoup la convoitise de nos voisins.
Tant mieux, quelque part. Son seul avantage, quand nos ancêtres l'ont colonisée, c'était son atmosphère compatible. Pour le reste, rien de vraiment attrayant. Trop petite pour accueillir beaucoup d'espèces, elle périclitait depuis des millénaires.
Nous en avons fait ce que nous avons pu. Et c'est déjà pas mal. Et même si les ressources sont limitées et les paysages plutôt désolants, c'est chez nous.
C'est chez moi.
— Descente amorcée, commente l'officier technique.
J'acquiesce et croise les bras, fébrile. Je suis aussi excité de rentrer que je suis inquiet. Mon vaisseau, le Demon, n'est pas à son meilleur niveau. Quelques avaries déjà à l'aller, des pannes au retour et des points de défaillances qui m'ont fait redouter le pire, notamment de ne pas réussir à atteindre Cotoca. Et si, par miracle, nous avons réussi, reste l'atterrissage à gérer. Avec un propulseur en moins et un moteur hors d'usage, les paramètres ont été revus.
Espérons que mes calculs soient bons et que les données fournies à l'ordinateur central suffisent à pallier nos manques. Quand la carcasse de l'engin dont je suis responsable se met à vibrer puis carrément à trembler, je serre les dents.
Il ne m'appartient pas. Je n'en suis que le commandant. C'est le peuple qui en est le propriétaire, comme à peu près tout sur Cotoca. Et ma plus grande hantise, c'est de crasher un vaisseau qui vaut une fortune pour mes compatriotes.
Nous sommes un peuple pauvre. Notre travail, pénible, sert à la population et je sais quels sacrifices ont été nécessaires pour fournir à notre armée l'argent indispensable à son fonctionnement. Ménager le Demon et le ramener à bon port, c'est une nécessité.
— Pénétration dans l'atmosphère dans 5...4...3...2...1. Décélération.
Les paroles du technicien, je les connais par cœur. Je navigue sur les vaisseaux de guerre Cotoca depuis tellement d'années que tout m'est familier. J'y ai commencé en bas de l'échelle, avant de gravir les échelons jusqu'au grade suprême, que j'occupe depuis quatre ans. Une belle carrière militaire dont je suis fier, bien que quelques couacs de parcours ait failli me coûter ma place, il y a quelques temps : une défaite contre l'armée landivare, un duel perdu dans une bataille acharnée contre le prince Keïlar. Et les récents événements n'ont pas aidé à redorer mon blason : l'enlèvement raté de son Élue, la dénommée Viktoria, l'attaque d'un commando landivar qui m'a repris les femelles ramenées sur Cotoca, il y a de cela six mois.
Mes poings se serrent, alors que mon ressentiment envers ce scélérat grandit un peu plus. Il est temps que j'arrête cette escalade de défaites vis-à-vis des Landivars. Il est temps qu'ils paient pour leur infâmie.
Mon esprit dérive vers les soutes, dans lesquelles se trouve un caisson de stase on ne peut plus précieux. Un sourire s'imprime sur mes traits, alors que j'imagine la fille endormie depuis trois mois. Ma revanche. La sœur de la future reine de Landivar.
Ma monnaie d'échange ? Mon moyen de punir Keïlar en torturant sa belle-sœur ? Je n'en sais encore rien. La détenir est un premier palier. Réfléchir à la meilleure façon de toucher ce scélérat est une nécessité. Il faut que ça lui fasse mal. Que ça le percute au plus haut point et qu'il souffre autant que le peuple de Cotoca se meurt par sa faute. La sienne, celle de son père et du peuple Landivar tout entier.
— Est-ce que le caisson de stase est bien prévu dans les choses à débarquer ? demandé-je, soudain inquiet, à Coreka, mon second.
— Il est déjà dans le hangar, acquiesce-t-il d'un signe de tête. Comme tu l'as demandé, Alitor, il sera descendu avec les premiers chargements.
— Tant mieux. Tu as bien compris où il devait être transféré, n'est-ce pas ?
— Chez toi. Dans ta maison personnelle. Je n'ai pas oublié que je dois traiter ce matériel différemment des autres choses à décharger.
Je hoche la tête, contenté.
Trois mois que j'ai demandé à mettre en sommeil cette fille. Trois mois que j'ai refusé même d'aller voir à quoi elle ressemble. Je n'en ai pas besoin. Elle n'est qu'une façon d'atteindre Keïlar, après tout.
La supporter tout le trajet aurait été pénible, j'en suis certain, et je me félicite d'avoir pris cette initiative, quand cette empêcheuse de tourner en rond a essayé de se faire la malle, à notre départ.
Le médecin de bord s'est chargé de vérifier ses constantes et de faire quelques tests que je l'ai autorisé à réaliser. Au moins, je sais que la fille est saine. Et qu'elle porte le gène Lan. Je ne suis pas certain que ça ait une quelconque incidence sur ce que je veux en faire, mais peu importe.
Cette information, je préfère la taire, tout compte fait. Si le gouvernement apprend qu'elle est capable d'enfanter, il voudrait lui prévoir un autre destin que celui de ma vengeance personnelle. Et ça ne m'arrange pas.
— Nous sommes bien d'accord que tout cela reste entre nous, murmuré-je à Coreka.
— Je te l'ai promis, confirme mon second d'une voix basse. Même si je suis convaincu que ta décision d'amener cette femelle sur Cotoca sans en prévenir les dirigeants est une erreur. S'ils l'apprennent, tu risques gros.
Je ne le sais que trop. Mais si je veux mener à bien ma vendetta personnelle, je ne peux révéler sa présence aux autres. Non seulement ils voudraient la récupérer, mais en plus ils me priveraient de ma vengeance. Et ça, c'est hors de question.
Une grosse turbulence coupe court à notre conversation et à mes pérégrinations mentales. Une main sur le rebord d'un meuble scellé au sol, les jambes écartées, je patiente que le vaisseau s'immobilise au sol.
Mon second, lui, n'a pas perdu de temps : il est déjà en train de rejoindre les soutes, sans doute pour superviser les déchargements. Mon regard dérive vers la grande vitre centrale : sur le tarmac, les équipes s'affolent.
Il pleut et c'est assez rare sur Cotoca, où règne un climat aride, pour que j'y voie un signe du destin.
Peut-être la chance va-t-elle enfin tourner pour moi ?
Il serait temps.
***
Harassé, je pousse la porte de ma maison du dos de la main, tout en prenant garde à ne pas faire tomber mes bagages. J'en ai peu mais ils sont assez encombrants pour que je referme le battant du plat du pied.
— Martzak, grogné-je en tentant d'atteindre l'interrupteur avec mon coude.
Par miracle, la lumière s'allume seule et mes yeux clignent plusieurs fois avant de comprendre : debout de l'autre côté de la pièce, Edrixia me fixe, un sourire aux lèvres.
— Par le Destin ! murmuré-je. Comment es-tu donc entrée ? Et comment savais-tu que j'arrivais ?
Sa seule réponse est un petit rire amusé et de ses longues jambes fines, la belle brune s'avance vers moi. Sans prononcer un mot, elle saisit un des mes sacs, le dépose sur une chaise avant que je n'aie la clairvoyance de l'imiter.
Et quand mes bras sont enfin libres, elle me saute au cou par surprise.
— Tout se sait, répond-elle en plaquant ses lèvres sur les miennes. Tu croyais pouvoir me cacher ton retour, Alitor ? Quant à ton code d'accès de la maison, je crois que nous nous connaissons depuis assez longtemps pour que je me souvienne des chiffres à chaque fois que tu les tapes.
Je ricane en refermant mes bras sur sa taille fine et en profite pour envahir sa bouche. Putain ! Voilà trop longtemps que je n'ai pas effectué de rapprochement avec la gent féminine !
— Peut-être que je voulais te faire la surprise ? rétorqué-je contre ses lèvres.
Je ne récolte qu'un grognement moqueur, pendant qu'elle s'écarte un peu pour me dévisager.
— À d'autres ! siffle-t-elle en pinçant les lèvres. Je te connais assez pour savoir que tu n'es guère adepte de ce genre de geste sentimental. Le romantisme et toi, ça fait deux.
Je relâche ma prise pour hausser un sourcil. Mais qu'est-ce qu'elle raconte ?
— Pour parler de romantisme, asséné-je d'un ton sec, il faudrait déjà être amoureux.
Lui faisant lâcher mon cou, je me libère de son étreinte et file vers la cuisine pour me servir un verre d'eau. Ici, l'air est plus sec que sur le vaisseau, où il était filtré à peu près correctement. J'ai oublié, je crois, que sur cette planète, la gorge s'assèche vite à cause des vents qui soufflent en permanence.
— Sympa, marmonne Edrixia.
Je jette un coup d'œil à mon comité d'accueil. Bras croisés et mine renfrognée, la belle brune me lorgne un regard noir qui me donnerait envie de rire si je n'étais pas si fatigué. Merde, ce n'est pas exactement ce que j'espérais en rentrant.
— Je suis harassé, cinglé-je. J'ai juste envie de pioncer, Edrixia. Tu peux le comprendre ?
Silence de mort, comme si elle réfléchissait. Puis, lentement, son corps se détend et elle entreprend de me rejoindre. Campée devant moi, elle plonge ses iris violets dans les miens, un sourire en coin.
— Mouais... murmure-t-elle. Dois-je en déduire que tu n'es pas très partant pour une petite gâterie ?
Je grogne alors qu'elle commence sa descente vers le sol. Cependant, je ne l'arrête pas. Et quand elle se retrouve à genoux, j'oublie instantanément ma fatigue. Les mois dans l'espace et l'absence de relations sexuelles ont raison de ma détermination. Je n'interviens ni lorsqu'elle ouvre mon pantalon ni quand elle le descend d'un geste brusque.
Mes paupières se ferment alors que ses lèvres se referment autour de mon sexe à moitié bandé. Il ne lui faut que quelques allers-retours pour que je durcisse dans sa bouche. Ma tête part en arrière et je déconnecte sous ses attentions habiles.
Il n'y a jamais eu autre chose entre nous que des corps à corps débridés, dénués de toute morale et de toute limite. Cette relation, qui dure depuis des années, s'entretient à coups de sexe torride et de rendez-vous épicés. Du sexe, rien que du sexe.
On ne s'est rien promis. Ni moi, ni elle. Et si elle va voir ailleurs, je m'en fiche royalement, d'ailleurs. Je n'ai jamais cherché à savoir ce qu'elle fait lors de mes nombreux voyages interplanétaires et de mes longues absences. Elle n'habite pas ici, n'y reste que pour la nuit et encore, parce que je la mets dehors le plus souvent avant le lever du jour.
Ça me convient et je crois qu'à elle aussi.
Le fourmillement au creux de mes reins a lieu bien trop tôt, mais voilà des mois que je n'ai eu autre chose pour me soulager que ma main droite. Il n'y a aucune femelle sur mon destroyer ; et sur Terre, je n'ai pas eu le temps d'en chercher une consentante. Il y en a, plein. Comme ici, il suffit de payer. Mais j'étais trop concentré sur ma mission pour me laisser divertir par autre chose que ma quête de vengeance.
Je ne retiens pas mon plaisir, le laisse enfler sous les attentions de la brune qui gémit bruyamment, comme si c'était elle qui subissait les assauts de ma langue. Or c'est bien la sienne qui glisse, lèche et tourbillonne autour de mon gland comme une putain de professionnelle, avant de me prendre en entier. J'essaie de faire abstraction qu'elle s'est encore améliorée en mon absence pour ne penser qu'à l'onde incroyable qui monte le long de ma colonne vertébrale quand je bute au fond de sa gorge.
Mes couilles se contractent et ma queue crache sa délivrance dans des spasmes si infernaux que ma main s'accroche à ses cheveux sans se formaliser de la douleur que je dois lui infliger. De toute façon, elle ne pipe mot, bien qu'elle se soit retirée.
Ouvrant les yeux, je baisse la tête vers la belle brune qui relèche ses lèvres pleines avec un sourire coquin, puis se relève en essuyant le coin de sa bouche rosée.
Je lève une main, caresse sa joue de mes doigts caleux contre lesquels elle se love. Je crois que c'est la première fois qu'elle a ce réflexe, comme si elle cherchait de la tendresse.
Désolé ma belle, toute douée que tu es, je ne suis pas de ces mecs-là.
Jetant un regard au-dessus d'elle, j'avise le compteur temporel mural, qui égrène ses secondes de manière impitoyable. Et je grogne.
— Je suis attendu à la Convention, lâché-je en m'écartant.
Reprenant vie, je remonte mon pantalon, réajuste braguette et ceinture, et replace mon t-shirt correctement.
— Par les Sages ? renifle-t-elle de dédain en se redressant.
— Évidemment. Par qui d'autre ? Je suis commandant dans l'armée, c'est à eux que je dois faire mon rapport.
Je la contourne, attrape ma veste d'uniforme de parade derrière la porte et l'enfile avec lenteur. La fatigue refait surface, encore plus sûrement que tout à l'heure. Merde, j'ai encore plus envie de dormir, maintenant, c'est malin !
— Tu as ramené des femelles, encore une fois ? me demande-t-elle.
— Non, mens-je. Depuis que les seules que nous avions trouvées avec le gène Lan nous ont été enlevées par les Landivars, nous n'avons aucun moyen de déterminer lesquelles sont compatibles.
— C'est ennuyeux, commente-t-elle en faisant la moue. Il va falloir trouver une solution, si...
— Qui ne te regarde pas, la coupé-je en ajustant mes boutons de manchettes. C'est un sujet sur lequel seuls les Sages peuvent trouver une solution et prendre des décisions. Ils sont là pour ça.
— Mouais, renâcle-t-elle. C'est vrai qu'on n'a rien à dire, nous, le peuple. Pourtant, il me semble bien que Cotoca est une république, non ? Et que ce sont les citoyens qui devraient être maîtres de leur destin ? Or, ce sont quelques vieillards qui décident pour nous tous. On est bien loin de la constitution et de la volonté des fondateurs de notre peuple. Je crois que...
— Suffit ! la coupé-je. Tiens t'en à ce que tu sais faire de mieux, femelle ! Me contenter. Et laisse les décisions importantes à ceux qui sont aptes à les prendre.
Mon ton sec la fait taire aussitôt. Stoïque, j'essaie de rester serein face au regard plein de fiel qu'elle me lance aussi vite.
Je ne l'en blâme pas. Je m'étonne même de la retenue qu'elle affiche, alors que je viens de l'insulter et de la mettre plus bas que terre.
C'est pour son bien, même si elle ne le sait pas.
La révolution gronde, sur Cotoca. Le peuple, à l'instar d'Edrixia, se plaint et grogne. Les famines, de plus en plus nombreuses, la sécheresse, l'absence d'à peu près tout, exacerbent les esprits. Il ne manque pas grand-chose pour que l'insurrection éclate, je ne le sais que trop.
Mais le pouvoir en place est fort. Et il n'hésitera pas à réprimer n'importe quel soulèvement populaire, notamment grâce à l'armée. J'en ai la certitude, parce que les consignes sont déjà passées dans les rangs : à la moindre anicroche, à la première manifestation, nous avons ordre de charger et de réprimer, jusqu'à tuer, s'il le faut.
Autant donc tuer le poussin dans l'œuf et ôter de sa jolie tête toute envie de se rebeller. Elle n'y survivrait pas.
— Rentre chez toi, Edrixia. Je te ferai signe quand je serai dispo.
Dans ses yeux, un éclair de fureur traverse ses jolis iris clairs. Se drapant dans la cape qu'elle avait suspendue au crochet de l'entrée, la belle brune me contourne et passe la porte d'entrée pour disparaître dans la rue.
Pas un mot, pas même une salutation.
Elle reviendra, de toute façon. Elle le fait toujours.
Le temps de fermer et je m'enfonce à mon tour dans les avenues pavées de Cotior, capitale de Cotoca, ne rêvant qu'à une chose : expédier mon entretien avec les Sages et rentrer pour dormir.
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