Prologue ( 2ème partie )
Planète Landivar, capitale Landior, même moment.
Keïlar
— Pare !
Mon épée s'ébroue et heurte celle de Lagmar, dans un assourdissant bruit de ferrailles qui s'entrechoquent. De fines étincelles jaillissent au point d'impact, mais je n'y prends pas garde. Vif et concentré, j'assène déjà le second geste, puis un troisième.
En face de moi, Lagmar grimace, mais tente de tenir bon. Son genou gauche ploie, son bras droit se tend dans un effort surhumain, tandis que sous ses traits grimaçants, je le sens faiblir. Et comme toujours, j'en profite.
Tournoyant sur moi-même, je prends de l'élan, et je lui balance le coup fatal qui le fait plier définitivement. Son cri de détresse ne m'émeut pas une seconde : ma lame a déjà rejoint son cou, même si elle s'est arrêtée juste avant de sectionner sa carotide.
Plus aucun des deux ne bouge : lui, parce qu'il sait qu'un seul geste pourrait lui faire tester le coupant du métal aiguisé, moi parce qu'il est hors de question que je blesse, de quelque façon que ce soit, mon meilleur ami.
— Bon sang, murmure Lagmar. Je crois que je ne parviendrai jamais à te battre.
— Tu peux continuer à essayer, mais il y a peu de chances que tu y parviennes, réponds-je d'un air amusé. Ne suis-je pas le fils de notre souverain bien aimé, le grand Jonivar ?
— Tu es surtout imbu de ta personne, grogne Lagmar en se relevant, alors que j'ai écarté la lame. Et ne compte pas sur moi pour me prosterner devant ton illustre connerie, prince de mes deux...
Je ris, incapable de résister à la fureur de mon compagnon d'entrainement. D'autant qu'il fulmine avec un sourire en coin qui m'indique qu'il ne me tient pas rigueur de ma victoire.
— Tu as de la chance que je tienne trop à toi pour te châtier pour le manque de respect que tu dois à ton futur souverain, Lagmar. Un jour viendra où je devrai te botter les fesses pour asseoir mon autorité !
— Et ce jour n'est pas arrivé, me contredit Lagmar. Ton père se porte fort bien, et restera notre roi pour des décennies.
Cette fois-ci, je ne réplique pas : il a raison, et rien ne me ferait plus plaisir que mon père continue à régner pendant encore longtemps. Non seulement je tiens à lui plus que tout, vu qu'il est mon dernier parent en vie, mais je n'aspire aucunement à monter sur le trône. Rester dans ma position d'héritier me convient très bien. Pas de réelle fonction, et surtout aucune responsabilité autre que de représenter le futur, très très lointain, de notre peuple.
Enfin ça, c'était avant. Avant qu'un merdier sans nom ne s'abatte sur nos têtes, il y a quinze ans de cela.
Je souffle, quand la réalité revient au galop dans mon esprit. Nous sommes moribonds, je ne dois pas l'oublier. Mes yeux s'égarent sur la cour inférieure du palais, où d'autres entrainements ont lieu. Ce sont ceux de la dernière génération, l'ultime. Une vingtaine de gamins s'entraîne, comme nous, mais sous la supervision d'un maître d'armes autoritaire, qui hurle des ordres que les gosses s'empressent d'exécuter.
Ils sont jeunes, et toute cette discipline pourrait sembler exagérée. Mais nous sommes en guerre, et nous n'avons pas le choix : chaque garçon doit être formé à protéger la planète, coûte que coûte. Et savoir qu'il n'y en aura pas d'autre fait remonter une boule acide dans mon œsophage.
Cette cuvée est la dernière. Aucun autre enfant n'est plus né sur Landivar depuis une décennie et demi, nous plongeant dans un chaos sans nom et un désespoir sans fin.
Un peuple qui est incapable de concevoir est voué à la disparition, ni plus ni moins.
Refoulant mes pensées moroses, je reviens vers Lagmar, qui m'observe en silence. Nul besoin de parler : il a suivi mon regard, et sans doute le cheminement de mes pensées. Lui aussi, comme tout un chacun, essaie de ne pas penser à l'issue fatale de notre civilisation, qui interviendra tôt ou tard, mais avec certitude, si nous ne trouvons pas un moyen de contrer cette incapacité à nous reproduire.
Et la guerre contre les Cotoca risque bien d'accélérer notre extinction.
— Prince Keïlar ? Sa Majesté vous demande de toute urgence !
Lagmar et moi nous retournons dans un même mouvement vers le garde qui, essoufflé, vient de libérer son message. Mon sang se fige dans mes veines, alors que j'imagine déjà le pire. D'un geste de la main sur l'avant-bras de Lagmar, je l'enjoins à me suivre, alors que j'emboîte le pas au messager du roi.
Mes tempes pulsent de la tension qui m'assaille, et mes enjambées se font plus longues. Terrassé par la peur d'une attaque imminente de nos ennemis de toujours, je plante tout le monde sur place et double le jeune soldat qui me gêne plus qu'autre chose, sa mission remplie.
C'est à peine si je distingue la main de Vérina, tendue dans ma direction, au coin d'un couloir. Je n'ai pas le temps pour elle, aujourd'hui. J'avoue que ce n'est pas ce que je disais la nuit dernière, quand je la pilonnais avec entrain, mais là, d'autres activités plus importantes m'appellent.
De son cri étouffé d'indignation, je n'en retiens rien. Je l'ai même déjà oublié en poussant la porte à doubles battants de la salle du trône, où je pénètre dans une précipitation qui fait tourner toutes les têtes vers moi.
Autour du souverain, tous les conseillers sont là. La mine grave, mais pas forcément alarmée. Au contraire, des sourires s'affichent sur certains visages, et je fronce les sourcils en m'arrêtant près d'eux.
Me serais-je trompé sur l'origine de la demande de mon père ? Se pourrait-il que cela n'ait rien à voir avec nos ennemis ? J'arque un sourcil dubitatif, alors que mon père se met à me fixer avec intensité.
Néanmoins, ma raison revient au galop, et je m'incline avec déférence devant mon roi, n'oubliant pas mes devoirs les plus usuels.
— Père, vous m'avez fait mander ?
Loin de se renfrogner, il m'accueille avec un sourire si vrai que j'en perds mes certitudes : s'agirait-il d'une bonne nouvelle ?
Mes yeux balaient l'ensemble des conseillers, puis reviennent vers l'auteur de mes jours, incrédules.
— Un signal a été capté, Keïlar ! Il y a moins d'une heure.
Je plisse le front, complètement perdu.
— Un signal ?
D'un coup, mon esprit chasse les brumes de mon incompréhension, et fait la clarté sur ses paroles. Mais je refuse d'y croire. Est-ce vraiment possible ?
— Tu veux parler de... ?
— Absolument, me coupe-t-il en agitant les bras. Le signal des Anciens ! Celui qu'ils avaient emporté avec eux, lors de l'expédition de colonisation.
Mon cerveau tente de remettre en place les pièces du puzzle. Mes cours d'histoire, pourtant appris par cœur, ont du mal à refaire surface. C'est si vieux ! Tenant presque de la légende plutôt que de la véracité historique !
— Nous n'avons jamais eu de preuve que la mission ait réussi, réponds-je d'une voix prudente. Ni même qu'elle ait été envoyée un jour, d'ailleurs...
Mon père tique, le muscle au bord de son œil droit se met à pulser, signe de sa nervosité.
— Eh bien, nous en avons la certitude, désormais, puisque le signal vient de nous parvenir.
Hum. J'admets que la nouvelle est de taille, mais je me garde bien de partager son enthousiasme, ni celui de ses conseillers. Immobiles, les vieux sages attendent, écoutant notre conversation sans réagir. Je leur balance un regard noir, exaspéré qu'ils soient en train, comme d'habitude, de donner trop d'espoir à notre roi. Notre situation est quasi désespérée, et j'ai peur qu'il ne s'emballe trop vite.
— Et s'il s'était activé par hasard ? Ou trop tard ? Si ça se trouve, ils n'ont jamais trouvé une planète habitable, se sont échoués sur un vieux caillou et sont morts depuis longtemps.
Mes paroles ont un effet immédiat : mon père balaie l'air de la main, visiblement excédé de mon attitude défaitiste. Je ne peux lui en vouloir. Je joue les rabat-joie. Mais le roi, d'un naturel optimiste, doit être mis en garde : l'espoir ne peut pas être de mise. Tout juste conçois-je d'en garder un fragment. Notre situation est grave, très grave, et ce n'est pas un signal, peut-être émis par erreur, qui doit nous faire lever la garde.
— C'est une possibilité, admet-il néanmoins en remontant les marches qui mènent à son trône. Mais nous ne pouvons l'ignorer. D'autant que c'est quasiment notre dernière chance de survie.
Le caractère désespéré de notre situation me frappe de plein fouet. Il a raison. Si nous ne trouvons une solution, les Landivar n'existeront plus d'ici quelques décennies, faute d'une nouvelle génération.
Vaincu, je m'approche de l'escalier, et pose mon pied droit sur la première marche.
— Quelle est l'idée ?
Mon père, à moitié avachi sur son accoudoir, se redresse pour me fixer. Et dans ses yeux, l'espérance refait surface, insidieuse, dangereuse. Mais puis-je doucher le dernier espoir d'un souverain dont le seul rêve est de sauver son peuple ?
— Mes ministres conseillent une mission. Pour retrouver l'origine du signal, et se rendre sur place, afin de déterminer si la planète a été colonisée par nos ancêtres. Et voir s'il y a...
— ...des femelles ?
J'expulse un soupir, entre la résignation et le découragement. Les femmes, nous en avons. Mais stériles, toutes, jusqu'à la dernière. Incapables d'enfanter depuis près de dix ans, quand les Cotoca ont utilisé leur arme chimique sur notre planète. Un virus, qui s'est répandu à la vitesse de la lumière, réduisant nos femmes à des réceptacles vides, anéantissant notre peuple à long terme.
— Qui nous dit que c'est le cas ? reprends-je, un brin énervé. Et si par miracle cela s'avère vrai, qui nous dit que les millénaires n'ont pas fait diverger nos ADN au point de ne plus être compatibles ? Si tant est qu'elles acceptent de se reproduire avec nous. Tellement de « si », Père, que je me demande, si...
— Mais nous n'avons pas le choix, me coupe soudain le roi. C'est un risque à prendre, parce que nous ne pouvons pas faire autrement. C'est dangereux, j'en ai bien conscience. Avec peu de chances d'aboutir ! Je le sais, mon fils ! Mais je suis le souverain de cette planète, et que puis-je faire d'autre que de tenter le tout pour le tout pour sauver mes sujets ?
Il marque une pause, ferme les paupières, et pince l'arête de son nez dans un geste las. Il ne m'a jamais paru si fatigué qu'en cet instant. Ses cheveux blancs, ses rides, ses gestes lents me frappent de plein fouet, me faisant prendre conscience du poids qui pèse sur ses épaules usées. Il est vieux, mais déterminé.
— Très bien, concédé-je, vaincu. Tu veux donc envoyer une mission ?
— Absolument. J'ai demandé à ce qu'un vaisseau soit apprêté au plus vite. Tu en prendras le commandement.
J'écarquille les yeux en comprenant soudain le sens de ses paroles.
— Moi ? répété-je, abasourdi. C'est à moi que tu as pensé pour mener à bien cette traversée de la galaxie ?
Mon père se lève, redescend les marches, et s'arrête sur celle juste au-dessus de moi. Pourtant, nous sommes désormais à la même hauteur, vu que je fais une tête de plus que lui. Mais je ne m'y attarde pas. Tout s'emmêle dans mon esprit, alors que je prends toute conscience de qui m'attend pour les prochains mois. Adieu mon quotidien, mes habitudes, mes certitudes et mon confort appréciable.
— Je suis ton général des armées ! Qui va me remplacer en cas d'attaques des Cotoca ? Et puis, ça risque de prendre du temps, murmuré-je, en déglutissant. L'univers est grand, le signal a peut-être été envoyé depuis fort longtemps.
— Raison de plus pour ne pas tarder, renchérit mon père en posant sa main sur mon épaule. J'ai toute confiance en toi, mon fils. Tu trouveras. Et nous avons suffisamment de gradés dans l'armée pour te trouver un remplaçant.
— Et si je ne parviens pas à les décider à me suivre ?
— Il faudra que tu fasses preuve de persuasion, Keïlar. Sans violence bien entendu, tu sais qu'elle ne fait pas partie de nos idéaux. Parlemente avec leurs dirigeants, fais au mieux. Mais ramène des femelles capables de donner naissance.
Bordel, il me demande l'impossible. Mais si tel est son désir, je lui obéirai. Je n'ai pas le choix. C'est mon rôle, de fils et de prince.
— Je ferai selon vos désirs, père.
Je me tourne vers son conseiller le plus proche, et souvent le plus au courant de toutes les affaires du royaume.
— Savons-nous d'où provient le signal ?
— Absolument. Selon les astrophysiciens, c'est une petite planète située dans un système à un seul soleil. Elle est minuscule, et nous l'avons ignorée volontairement depuis des centaines d'années, tant elle semblait anodine.
— Son nom ?
— La Terre.
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