Chapitre 8 : Vade retro

Ce deuxième jour d'apprentissage fut pour le moins mouvementé pour Kade, même si elle n'a pas appris de nouveau sort. En effet, Lin est resté au chalet aujourd'hui pour lui faire profiter de son expérience en précision. Car comme Aquil a pu le constater, même si la démone et son hôte partagent inconsciemment leur savoir, il est visiblement plus difficile de lancer un sort avec précision que de tirer à l'arc.

Mais Aquil a eu une petite idée pour conclure cette journée, un combat en deux contre deux. Il s'est donc allié à Rem, la fameuse aspirante chevalière à la chevelure blanche, tandis que Kade format son binôme avec Lin et son bras de glace. Ce dernier partage d'ailleurs la même couleur de cheveux que sa sœur aînée, mais la couleur de leurs yeux diffère, ceux de Lin étant Blanc argenté, tandis que ceux de Rem sont écarlates.

Ceci dit, comme l'on pouvait s'y attendre, la démone et le jeune mage de glace n'ont pas réussis à faire preuve d'une véritable cohésion d'équipe. Ce qui est tout à fait normal puisqu'ils n'avaient encore jamais combattu ensembles, contrairement à leurs adversaires qui n'en étaient pas à leur coup d'essai.

L'issue de ce combat amical était donc jouée d'avance, Aquil et son équipière ont donc ajouté un léger enjeu : L'équipe gagnante aura un accès prioritaire à la salle de bain. Mais malgré leurs efforts, l'eau et la glace ne sont pas parvenus à triompher de l'épée et de la lumière. Les deux équipes regagnent donc le chalet après que Karah ait pu récupérer son apparence, en héritant des courbatures de son alter-ego.

—Oh bon sang, rappelle-moi ce qui m'a pris d'accepter ce combat ? demande Lin à son binôme, après s'être avachi sur une chaise pour appliquer de la glace sur ses bleus.

—Parce que tu ne peux rien refuser à une fille dès l'instant qu'elle t'a tapé dans l'œil, lance Rem pour le taquiner.

—Attention Rem, ce n'est pas digne d'une chevalière de se moquer des vaincus, lui fait remarquer Aquil.

La jeune femme s'excuse donc auprès de ses valeureux adversaires, qui comme le souligne son partenaire, se sont tout de même bien défendus malgré leur manque de cohésion.

—Ceci dit, un pari est un pari, et puisque je suis le plus âgé ici, c'est à moi de prendre le premier tour de salle de bain. A toute à l'heure les jeunes, annonce le maître de la lumière en montant au premier étage.

Rem se voit donc devancée par son propre partenaire, mais elle ne le prend pas mal, même si elle avait déjà commencé à ôter les gantelets de son armure. Elle enlève malgré tout le haut de celle-ci, révélant le débardeur noir qu'elle porte en-dessous de sa protection argentée.

Karah souhaite alors observer cette armure de plus près, en prenant la peine de demander l'autorisation à sa propriétaire. Cette dernière n'y voyant pas d'objection, la jeune fille examine la cuirasse, et s'aperçoit qu'elle est véritablement faite d'argent.

—Et ben dit donc, cette armure a dû coûter une petite fortune, s'étonne l'archère.

—Oui, c'est le moins qu'on puisse dire. J'ai économisé pendant cinq ans pour pouvoir me la payer, répond Rem en enlevant ses bottes d'argent.

Même Kade est étonnée par la patience et la détermination de cette femme à avoir son armure, et se demande bien ce qui a bien pu la pousser à tant désirer posséder cette cuirasse, ce que Karah se charge de demander à l'intéressée.

—Pourquoi vouloir une armure ? Ah ça, c'est une bonne question. Non, plus sérieusement, je crois bien que j'ai presque toujours voulu aider les gens autour de moi, les protéger. Alors quand j'ai enfin eu les quinze ans minimums requis pour demander à être formée pour devenir chevalier, je n'ai pas hésité à faire des dizaines de demandes. Mais on me répondait à chaque fois la même chose : Les femmes ne sont pas faites pour être chevalier.

—Ils ne t'on même pas laissé au moins une chance ? s'étonne Karah.

—Non, pas une seule. Alors j'ai pris une décision, je leur prouverais que j'ai l'étoffe d'un chevalier, et qu'ils ont eu tort de me juger comme ils l'ont fait. C'est pour ça que je me suis payé cette armure.

Karah ne trouve rien à dire de plus, à part souhaiter à Rem d'atteindre son objectif, avant qu'un détail de l'armure n'attire son attention. Deux lettres gravées près du col, L et K. Afin de vérifier ses doutes, la jeune fille dégaine sa dague pour y voir les mêmes lettres inscrites sur le sommet du manche.

Elle en est donc à présent certaine, sa dague ainsi que l'armure de Rem ont été toutes les deux forgées par son père, qui signe chacune de ses réalisations de ses initiales. Le lien se fait immédiatement dans la tête de l'archère, qui comprend facilement que c'est cette armure sur laquelle son paternel a pris du retard.

Cette petite découverte prouvant que le monde est décidément plus petit qu'on ne le pense donne un léger rictus à Karah.

—Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demande la jeune femme à la chevelure blanche comme neige.

—Non rien, c'est juste que...je me rends compte que c'est mon père qui a fait ton armure. Il signe toujours son travail de ses initiales, L.K, pour Logan Kubélio. Comme sur ma dague, confie l'archère en tendant sa lame à son interlocutrice.

Cette dernière observe donc la dague sous tous les angles, avant de trouver les initiales dont parle Karah. Mais quelque chose d'autre saute aux yeux écarlates de Rem, le soin qui est visiblement apporté à cette lame pour qu'elle conserve son éclat et son tranchant.

La jeune archère répond alors qu'elle prend simplement soin de son outil de travail, puisqu'elle s'en sert pour dépecer le gibier. Mais il n'est pas à exclure qu'elle doive l'utiliser pour se protéger, contre un voleur ou un animal sauvage par exemple.

—N'oublie pas que je veille également sur toi d'une certaine manière, intervient soudain Kade en apparaissant aux yeux de son hôte.

Karah répond à sa colocataire qu'elle ne l'oublie pas, mais Rem se pose visiblement des questions à en croire l'incompréhension qu'affiche son visage. Il faut dire que voir la jeune fille s'adresser à quelqu'un qui ne semble pas être là a de quoi troubler.

—Ah oui c'est vrai, je ne l'ai encore dit à personne. Ne t'en fais pas, je ne deviens pas folle, c'est juste que Kade peut projeter une image d'elle au travers de mes yeux. Mais pour faire simple elle peut faire en sorte que je sois la seule à la voir, explique l'adolescente.

Rem est étonnée qu'un démon puisse faire ça, après tout, elle ne connaît quasiment rien à propos des démons, mis à part ce qu'Aquil et Laïa ont pu en dire. Le mage de lumière quasiment trentenaire descend justement les escaliers, sa chevelure encore humide tombant sur les épaules de sa chemise bleu marine.

C'est donc au tour de son équipière de profiter de la salle de bain, devant ainsi abandonner Karah au rez de chaussé. Mais cette dernière dit qu'il est de toute façon temps pour elle de rentrer chez elle. Elle dit donc au revoir à tout le monde, et reviendra demain matin pour que Kade puisse poursuivre son apprentissage. Mais puisque son cheval semble craindre la partie démoniaque qu'il perçoit chez sa cavalière, cette dernière a dû venir au chalet à pieds, et donc repartir chez elle par le même moyen.

Elle ne s'attendait cependant pas à trouver un attroupement de villageois devant sa maison. En effet, une trentaine de personnes armées de torches et de fourches l'attendent de pied ferme. Face à cette petite foule, elle se demande naturellement ce qu'il se passe, craignant tout d'abord qu'il e soit arrivé quelque chose à sa famille.

—Qu'est-ce qu'il se passe ? Il est arrivé quelque chose ? demande Karah aux habitants lui faisant face.

—Oui. Mon fils t'a vu te changer en démon près du lac aujourd'hui, et on ne veut pas de cette chose ici ! répond sèchement l'un des villageois, rapidement rejoint par d'autres demandant à la jeune fille de partir loin d'ici.

—Non mais vous êtes sérieux ? Après tout ce que j'ai fait pour vous...est-ce que j'ai vraiment besoin de vous rappeler le nombre de fois où je vous aie offert de quoi nourrir vos familles sans jamais rien demander en échange ?!

Les habitants répondent alors qu'ils n'oublieront jamais cela, mais selon eux, le danger ne vient pas de Karah, mais bien du démon qui est en elle. L'adolescente hausse soudain le ton pour leur dire que si ce gamin qui l'a vue se transformer avait su regarder au-delà de l'apparence de Kade, il aurait pu voir la jeune fille qui a tout perdu, et qui essaye simplement de se reconstruire une vie.

Malheureusement, les villageois ne veulent rien entendre, et persistent à vouloir chasser Karah et sa démone de la ville. Pendant ce temps, de l'autre côté de la foule, Mira ne peut rien faire d'autre qu'attendre devant sa porte, en espérant que rien ne tourne mal.

La jeune fille finit par en avoir assez de devoir argumenter face aux villageois qui se montrent encore plus butés qu'une mule, et décide d'en finir avec cette mascarade.

—Bon écoutez, que vous le vouliez ou non je rentrerais chez moi, alors je vous conseil de me laisser passer, sinon ce n'est pas la démone que vous devrez craindre, annonce-t-elle en se calmant.

C'est donc avec un regard déterminé qu'elle s'avance vers la foule, la main sur sa dague, prête à dégainer si elle y est obligée. Karah paraît calme et certaine que personne ne lui fera de mal, mais il en est tout autre à l'intérieur.

Le cœur battant comme dans un marathon, et son regard brun traquant le moindre signe d'hostilité sur chacun des visages lui faisant face. En réalité la jeune archère croise les doigts pour que personne ne soit assez stupide pour se jeter sur elle.

Heureusement, la crainte d'attirer la colère de la démone sur eux contraint la foule à s'écarter sans geste brusque, afin de céder le passage à son hôte. Karah parvient donc à franchir ce mur humain, dans un silence pesant, la tension reste palpable et ne semble pas redescendre. Obligeant ainsi Mira à faire rentrer sa fille chez elles aussi vite que possible.

La mère jette malgré tout un dernier regard dehors avant de fermer sa porte à double tour, mais le poids des regards pesant sur elle lui fait craindre d'éventuelles représailles. En effet, rien ne garanti que les villageois ne vont pas revenir à la charge, ou pire, demander l'aide de la garde de Dahlia pour expulser Karah ou encore la faire jeter en prison. De telles pensées la font craquer, pleurer rien qu'à l'idée que l'on puisse faire du mal à sa fille. Celle-ci vient la prendre dans ses bras pour lui offrir une épaule sur laquelle pleurer, tout en essayant de la calmer.

—Ne t'en fais pas maman, ça va aller. De toute façon cette bande d'hypocrite n'osera jamais se salir les mains ou utiliser la force pour me chasser. Demain j'irais leur parler, et laisser Kade leur parler s'il le faut, pour qu'ils voient qu'elle n'est pas dangereuse.

C'est en effet ce qu'aimerait tenter la jeune fille, mais au fond d'elle, c'est comme si elle savait que c'était perdu d'avance. Toutes ces personnes qu'elle a aidées plus d'une fois, rien ne semble leur ôter de la tête la volonté de chasser Kade de la ville. Que se passerait-il donc si elle laissait la démone en elle s'adresser à eux ? Elle n'en a malheureusement pas la moindre idée.

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