Chapitre 3 : Les mots interdits


Un nouveau jour se lève sur Dahlia tandis que Karah se prépare pour une nouvelle partie de chasse, qu'elle espère moins forte en émotions que la précédente. Mais juste avant de partir, la jeune fille se rend compte qu'elle a bien failli oublier le livre trouvé par Calebb, à qui elle a promis de le lire. Elle s'empare donc de sa besace, puis s'occupe de seller Argo, mais au moment de se mettre en route pour la forêt des Anthores, pas de Lin en vue.

Ce n'est sans doute rien se dit-elle, mais cela lui fait tout de même bizarre de ne pas le voir, ça change simplement de ses habitudes, ça ne va pas non plus changer sa vie de ne pas voir une personne en particulier. Karah ne perd donc pas plus de temps et se met en route en maintenant sa monture au trot durant la majeure partie du trajet, avant de ralentir au pas en arrivant à l'orée de la forêt.

Mais après ce qui est arrivé la veille, l'archère préfère changer de secteur de chasse. Après tout, il ne faudrait pas recroiser la route d'un Faragon, heureusement pour elle que ce Daim était présent pour faire diversion, sinon l'issue aurait été bien différente. Mais ce n'est pas le moment pour y repenser, Karah met pied à terre, et laisse sa monture derrière elle pour enfin se mettre en chasse. Malheureusement pour elle, aucun signe de gibier en vue, pas d'empreinte, de branche brisée, ou de poils arrachés, rien de rien.

Elle passe alors plus d'une heure sans rien trouver, ce qui l'étonne et la décourage à la fois. Il vaut sans doute mieux faire une pause pour l'instant, prendre le temps de réfléchir à un autre secteur de chasse. L'archère s'assoit donc contre le tronc d'un des chênes rouges, mais avant de se reposer, sa besace s'ouvre pour laisser dépasser le livre que Calebb a trouvé.

Karah se dit alors que c'est sans doute le bon moment de lire quelques passages de l'ouvrage, afin de s'assurer qu'il n'y ait rien de choquant pour un enfant de dix ans. Elle s'en saisit donc, mais il ne se laisse pas ouvrir. Observer plus en détail ce livre à la couverture vert pin lui permet de découvrir à sa grande surprise qu'aucun titre ou résumé ne figure nulle part. Elle ne trouve qu'une empreinte de main dorée sur la couverture, ainsi qu'un cadenas semblant très ancien empêchant de feuilleter l'ouvrage.

—Et ben dit donc, je sais bien qu'on dit qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture, mais faut tout de même pas exagérer, se dit-elle à haute voix.

Elle est malgré tout curieuse de découvrir quel genre d'histoire peut renfermer un tel livre, mais le cadenas a beau avoir l'air de venir d'un autre temps, il n'en est pas moins solide. Il lui faut donc quelque chose pour le briser, une flèche ou bien une grosse pierre devrait faire l'affaire. Karah se saisit donc d'un de ses projectiles pour tenter de venir à bout du verrou, mais à force d'insister, sa flèche s'en trouve brisée.

—Sérieux ? Mais t'as été fait en diamant ou quoi ? s'étonne-t-elle alors.

Comment un vieux cadenas rouillé peut être si résistant ? Voilà une question bien épineuse, et à laquelle la jeune fille ne trouvera sans doute pas de réponse, mais elle n'a pas dit son dernier mot. Elle se débrouille donc pour trouver une pierre suffisamment grande et solide pour espérer enfin venir à bout de cette sûreté récalcitrante.

Mais même avec une pierre de la taille d'un crâne d'enfant, il lui faut un bon quart d'heure pour enfin réussir à briser ce fichu cadenas.

—Et bien mon salaud, t'as intérêt à être bon après le temps que tu m'as pris, se dit-elle en se reposant contre le même tronc de chêne que tout à l'heure, essoufflée par ses longues minutes d'effort.

Mais Karah se trouve désappointée face à ce qu'elle découvre en ouvrant ce livre. De simples pages blanches, d'un bout à l'autre. Toutes sauf une, cette dernière attire l'attention par quelques mots qui ne semblent pas avoir été écrits à la main, les seuls mots de ce livre en fin de compte.

—Inezīhini t'ik'īti k'alati yanibibu, inami yewedefītiwo āyinorimi. Mais qu'est-ce que c'est que ce charabia ? lis-t-elle péniblement à haute voix.

Cela ne ressemble en effet à aucune langue qu'elle n'ait pu entendre. Mais quelque chose de plus inquiétant se produit à l'instant où elle prononce ces mots, le vent, le chant des oiseaux, toute la forêt se tait pour laisser place à un véritable silence de mort.

Cet événement suspect et très étrange angoisse Karah, elle n'avait encore jamais rien vu de tel. C'est comme si tous les animaux des environs, voir la nature elle-même avait eu peur des mots inscrits sur la page du livre. Peu après, un terrible mal de tête s'empare de l'archère, si puissant et insoutenable que son visage s'en voit déformé par ses cris de douleur, juste avant que tout s'arrête. La jeune fille est comme plongée dans le noir total, inconsciente, et dans un silence pesant.

Lorsqu'elle reprend enfin conscience, en ouvrant lentement les yeux, ses yeux se retrouvent face à un regard rouge sang terrifiant. En se relevant brusquement tout en poussant un cri de terreur, Karah constate qu'elle s'est réveillée nez à nez avec un Faragon. Ce dernier est heureusement mort, dévoré vivant semble-t-il, du moins à en juger par ses viscères reposant dans une mare de sang.

La jeune fille se demande bien ce qui a pu lui arriver à elle et ce prédateur, comment peut-elle encore être en vie si elle s'est faite attaquée par un Faragon ? Mais avant d'avoir pu répondre à cette question, elle sent quelque chose d'étrange dans sa bouche. Quelque chose qui s'avère être un morceau de foie, ce qui la fait vomir de dégoût, mais ce n'est pas tout, d'autre morceau d'organes se trouvent dans ce qu'elle vient de régurgiter.

Karah a alors peur de comprendre ce qu'il s'est passé, aurait-elle attaqué et dévoré ce Faragon ? Cela expliquerait tout le sang maculant ses vêtements, mais une telle idée la terrorise. Pourquoi aurait-elle attaqué un animal si dangereux ? Et comment aurait-elle fait pour en venir à bout sans son arc qui manque à l'appel, et sans sa dague qui reste immaculée ?

Trop de questions dont l'idée de la réponse effraye la jeune fille. Elle s'empresse donc de siffler pour appeler Argo, et rentrer chez elle au galop sans chercher son équipement ou se nettoyer. D'autant plus que plusieurs heures semblent s'être écoulées depuis sa perte de conscience, car le soleil est à présent à son crépuscule.

Karah se retrouve en état de choc et ne fait plus attention à ce qu'elle fait, ou bien à ce qui l'entoure, une seule chose lui importe à présent : Rentrer au plus vite chez elle, et prier pour que tout ceci ne soit qu'un cauchemar.

Pendant ce temps, Mira et Logan, s'inquiètent de ne pas voir leur fille rentrer. Le père songe même à aller la chercher en pleine forêt malgré la nuit proche, mais sa femme tente de le retenir.

—Réfléchis un peu, tu ne pourrais trouver personne avec une obscurité pareille.

—Tu voudrais peut-être que je laisse Karah seule dehors ? Qui sait ce qui a bien pu lui arriver.

—Tu sais très bien ce que je veux dire.

Mais Logan ne veut rien entendre, il force donc le passage pour atteindre la porte d'entrée, derrière laquelle il trouve sa fille, immobile et le regard perdu, comme si elle semblait ailleurs. Choqués à la vue de Karah couverte de sang, son père s'empresse de la faire entrer pour l'asseoir sur une chaise et tenter de comprendre ce qui est arrivé, tandis que Mira s'assure qu'elle n'est pas blessée. Mais la jeune fille n'en est pas elle-même certaine, tout ce qu'elle est en mesure de dire c'est qu'elle est tombée inconsciente, puis s'est réveillée avec un Faragon éventré, et un morceau d'un de ses organes dans la bouche.

La mère serre alors sa fille en pleurs dans ses bras, cependant, personne ne comprend comment une jeune fille peut avoir survécu à un Faragon sans une égratignure. Mais Karah reste convaincue que c'est elle qui a attaqué la bête, et l'a sans doute également dévorée, sans pour autant parvenir à expliquer comment elle s'y serait prise.

Mira tente cependant de la rassurer, mais cela reste compliqué vu son état émotionnel. Elle se charge donc de lui faire couler un bain chaud pour l'aider à se calmer, lui offrant ainsi un moment de répit. Pendant ce temps, ses parents tentent d'éclaircir le mystère en examinant ses vêtements tâchés de sang, ainsi que sa dague étonnamment immaculée. Malheureusement aucune autre possibilité que celle évoquée par leur fille ne semble tenir la route, mais dans ce cas, comment expliquer qu'elle soit venue à bout d'un Faragon sans arme ? Et qu'est-ce qui aurait bien pu la pousser à dévorer ses viscères ?

La nuit apportera sans doute son lot de réflexion et de réponse, en attendant, Karah quitte la salle de bain vêtue d'une robe de chambre noire. Ses parents pensent alors que le mieux à faire est qu'elle tente de dormir malgré le traumatisme subit aujourd'hui. Cela risque d'être compliqué pour la jeune fille, mais elle va malgré tout essayer, et également tenter de ne pas réveiller Calebb qui dort déjà dans leur chambre.

Mais à peine a-t-elle fermé les yeux, qu'elle se revoit déjà nez à nez avec ce Faragon qu'elle a sans doute dévoré. Cette nuit ne s'annonce définitivement pas de tout repos pour la jeune brune, qui continue d'espérer se réveiller de ce cauchemar sanglant. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top