Moyenne section
– Jolaaaaaaan!
Le petit garçon brun réceptionna son ami en riant. Plus jeune de quelques mois, à un âge où chaque semaine compte, le blondinet lui rendait quelques centimètres qu'il compensait largement par son caractère affirmé et un bagou qui faisait lever au ciel les yeux des adultes. Matthieu avait une confiance inaltérable en lui que lui enviait souvent Jolan, de nature plus en retrait malgré ses efforts et le soutien sans faille de ses parents.
– Le père noël m'a apporté des dragons ! Tous les dragons ! Il y a Krokmou et Arold, Astrid et Tempête, le bébé dragon, Aggripemort et les autres. Je suis trop trop content! Et toi, tu as eu quoi à Noël ? Tu viendras jouer à la maison pour les voir?
– J'ai eu le déguisement Spiderman et une Barbie sirène ! Je suis trop content aussi!
Autour d'eux, dans la cour glaciale de ce début d'année, les enfants se hâtaient de rejoindre leurs classes surchauffées. Comme à son habitude, Jolan, toujours un peu en avance sur son meilleur copain, l'avait attendu dans un coin du préau pour leur permettre de bénéficier de quelques minutes ensemble avant d'entrer en classe. Surtout après deux semaines de séparation. Ils n'étaient plus des petits et avaient désormais le droit de rejoindre eux-mêmes leurs salles, au lieu d'y être conduits par leurs parents, et profitaient à plein de ce privilège.
Matthieu grimaça, son nez recouvert d'éphélides se retroussant avec dédain.
– Pfff une Barbie c'est nul comme cadeau! C'est pour les filles!
Jolan se sentit profondément offusqué.
– C'est même pas vrai! Les Barbies c'est pour tout le monde! Si tu es méchant, tu n'es plus mon copain et tu joueras pas avec ma Barbie !
Et il planta son ami sur place, les larmes aux yeux.
Matthieu resta interdit quelques secondes avant de rattraper son copain en courant.
Jolan se sentait tout confus. Lui qui avait été tellement fier de ses cadeaux et avait tellement hâte de les partager avec son meilleur ami, son petit cœur s'était brisé en à peine quelques secondes. Ses parents lui avaient expliqué à de nombreuses reprises qu'il devait être moins sensible aux remarques, pas toujours subtiles, de son camarade mais c'était plus fort que lui. Matthieu était son meilleur ami, il voulait lui plaire et le rendre fier de lui.
Matthieu le rattrapa devant la salle de classe mais ils n'eurent pas le temps d'échanger le moindre mot.
– Matthieu et Jolan, mes deux siamois favoris!
Le maître, Sébastien, leur adressa un gentil sourire en les faisant entrer.
– Vous avez passé de bonnes vacances, les enfants?
Jolan hocha la tête avant de partir s'installer à sa place sur le banc pour l'accueil du matin. En temps habituel, il préférait s'installer à côté de Matthieu mais le maître les avait de toute façon séparés dès la première semaine afin de couper court à leurs bavardages inextinguibles. Pour une fois l'enfant, vexé, était content d'être éloigné de son copain.
Il salua d'un sourire la petite fille à sa droite. Camille était gentille et elle, au moins, ne se moquait pas de lui quand il voulait jouer à la dînette ou à la poupée.
Jolan se disputait rarement avec son ami mais à chaque fois, ou presque, leurs désaccords portaient sur les jeux auxquels ils se livraient. Jolan aimait bien la panoplie de super héros du coin jeu, ainsi que le garage et ses superbes voitures en métal. Mais il appréciait tout autant la jolie tête à coiffer et les bébés à langer. Matthieu ne voulait jamais y jouer alors, en général, il cédait et n'insistait pas, soucieux de faire plaisir à son copain. Mais aujourd'hui, il était vraiment fâché. Matthieu n'aurait pas du se moquer de sa sirène, c'était méchant.
La matinée passa rapidement, entre chants sur les jours de la semaine, exercices de découpage et jeu de lettres à ranger et Jolan ignora soigneusement Matthieu malgré ses mimiques implorantes. A la récré, il joua avec Camille et Lucas, qu'il connaissait depuis la crèche, à ramasser des jolis cailloux dans le coin potager et refusa l'offre de Matthieu de le rejoindre dans la cabane en haut du toboggan. Et à midi, il offrit sa mandarine, dont il détestait l'acidité, à Camille au lieu de la proposer à son voisin de table.
En moyenne section, les enfants ne faisaient plus la sieste, même si pour beaucoup le coup de barre post déjeuner se faisait sentir. Le maître, habitué au rythme de ses petits élèves, les laissait donc faire un petit temps calme, les enfants invités à lire, dessiner ou jouer tranquillement avant de reprendre leurs activités studieuses.
– Jolan, tiens c'est pour toi.
Il releva la tête des aventures de Lapin Simon qu'il feuilletait en gloussant, les mimiques des personnages le faisant toujours rire, quand il vit devant lui une paire d'yeux bleus clairs remplis d'espoir.
Matthieu lui tendait une feuille de papier colorée, la moue implorante. Jolan examina le présent. Sur la page blanche, les couleurs se mélangeaient en de vagues formes indistinctes. Matthieu était plutôt à l'aise sur les questions de motricité ainsi que l'apprentissage des lettres et des chiffres. En revanche, ses qualités d'artiste plasticien ne suivaient pas au même rythme. Jolan fronça les sourcils, intrigué malgré lui, et essaya de comprendre ce qu'il avait sous les yeux.
– C'est une sirène !
Matthieu parlait d'un ton précipité, montrant les aplats de couleurs vives.
– Et à côté c'est nous dans la mer, on a des queues de poisson, regarde! Et j'ai écrit les deux lettres de nos noms, ajouta-t-il en pointant du doigt un gribouillis dont le feutre bleu avait largement bavé en laissant une belle empreinte digitale.
Jolan fit la moue, incertain. Le dessin était de toute évidence un rameau d'olivier mais cette fois-ci, sur et certain de son innocence dans leur brouillerie, il n'était pas certain de vouloir céder et pardonner si vite l'offense. Matthieu, à l'affût de ses réactions et voyant bien son hésitation, abattit alors sa carte maîtresse.
Vérifiant du coin de l'œil que le maître était occupé, il sortit discrètement de sa poche un de ses trésors les plus précieux, qu'il n'était absolument pas censé ramener en classe.
– Tiens, je te le donne.
Jolan ouvrit de grands yeux. La minuscule figurine de plomb en forme de dragon faisait partie d'un ensemble que le jeune garçon avait reçu de son père pour son anniversaire. Il s'agissait de son jouet favori et il l'emportait en douce absolument partout.
– Mais c'est ton dragon à toi!
Matthieu haussa les épaules, fier de son effet.
– Il y en trois autres, alors je te donne celui-là d'accord ? Pask tu es mon meilleur copain!
Dans un élan de générosité coupable il ajouta, histoire de faire amende honorable.
– On peut jouer avec ta Barbie si tu veux, je me moquerai plus, promis juré !
Jolan étudia quelques secondes le museau sérieux et un grand sourire fendit son visage en deux, faisant saillir ses fossettes.
– D'accord!
Il se saisit du petit dragon et le glissa discrètement dans son pantalon, la chaleur de la peau de son ami, dont le petit jouet était imprégné, rayonnant à travers le tissu fin de la doublure.
Grand seigneur, il invita Matthieu à le rejoindre et ils se penchèrent tous deux sur l'album illustré, sereins.
Le monde tournait à nouveau rond pour les deux petits garçons.
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