Chapitre 3

    
    Je pouvais sentir le regard d'Alessandro me sonder de là où il était. Il se tenait assis de façon nonchalante, un bras sur le dossier du canapé et tenant un verre dans l'autre main.

     L'après-midi défilait doucement, le ciel avait désormais pris des teintes plus chaudes. De l'orange se mêlait à du rose unit par les rayons du soleil qui s'étaient abaissés dans l'horizon. J'avais l'impression de faire face à une toile que l'on aurait peinte à même le ciel. Je baissai les yeux sur mes jambes qui dépassaient de mon kimono et admirai quelques secondes mon bronzage avant qu'une présence ne s'impose face à moi, me recouvrant d'une ombre derrière laquelle l'image du ciel en continu semblait tout engloutir dans son ravissement.
- Les derniers membres de ta famille vivent à Palerme, c'est bien ça ?
Mon cœur se serra dans ma poitrine. Dans la nouvelle identité que j'incarnais, il y avait du vrai comme du faux. Ma vraie famille ne vivait plus à Palerme depuis des lustres, mais celle de ma couverture oui, j'espérais que Fernando n'ait rien laissé aux hasards dans le tissu de mensonges qui couvrait mon passé.
- Oui, acquiesçai-je.
Si ce n'était pas déjà fait depuis Londres, il ne manquerait sans doute pas d'enquêter sur ma personne. Je pouvais sentir son regard investigateur me transpercer. Quand il me regardait, j'avais peur à chaque seconde qu'il ne perce mes secrets à jour en un simple coup d'œil. Son aura était imposante et inspirait une certaine crainte chez ses interlocuteurs.
- Tu as changé la couleur de tes cheveux, remarqua-t-il.
D'à peine quelques nuances, me dis-je intérieurement, et c'était il y a des mois après Londres. Ce changement se remarquait à peine, même pour les personnes me voyant régulièrement, mais Alessandro Giacomo avait ce sens du détail qui faisait de lui un adversaire redoutable.
- Je me demande comment tu fais, dis-je en m'adossant avec légèreté au meuble derrière moi, les bras croisés sur ma poitrine.
Dans ce mouvement, l'un des pans de mon kimono se décala et découvrit la peau de ma poitrine recouverte à moitié du haut de mon maillot de bain. Je le remarquai après avoir suivi le bref mouvement de son regard avant qu'il ne revienne à mes yeux.
- Comment je fais quoi ?
- Comment tu fais pour remarquer les petites choses, même les plus discrètes.
Un fin sourire étira le coin de ses lèvres.
- Une observation attentive, il n'y a pas de secret Giulia.

Mon prénom dans sa bouche prenait d'autres teintes, un peu comme ce ciel derrière lui qui nous surplombait. Nous nous connaissions peu et pourtant, il y avait quelque chose de familier entre nous et ce n'était pas à cause des fiches professionnelles que m'avaient transféré mes supérieurs sur lui, non, c'était bien autre chose que cela. Je ne savais pas si cela me porterait préjudice, ou si cela pourrait au contraire m'aider dans ma mission, mais une chose était sûre, il allait falloir que je fasse très attention, que je reste sur mes gardes et surtout que je reste hermétique.

Je devais garder un regard objectif, un certain recul et ne pas me faire avoir par mes propres émotions, par une vision déformée des choses qui seraient influencées par ses interactions avec moi. C'était un homme séduisant, je me devais de l'avouer, mais je ne devais pas le laisser s'approcher trop près de moi à moins que ça ne serve à trouver des preuves contre lui. 

- L'ancienne couleur t'allait mieux, me dit-il.

- Je préfère celle-ci.

Il se décala et versa du vin blanc dans un verre à vin avant de me le tendre puis répéta l'opération pour lui cette fois-ci. Le liquide de couleur or scintillait à travers le cristal.

- C'est la première fois qu'une femme qui n'est pas une Giacomo monte à bord de ce yacht.

- Alors merci pour cet accueil.

Il sourit de nouveau et porta son verre à ses lèvres en s'essayant sur le fauteuil qui se trouvait face à moi.

- Le mariage de Selena approche alors je me suis dit que pour une fois, je pouvais lui faire plaisir, j'ai tendance à être dur avec les membres de cette famille.

- Elle est heureuse.

- Maintenant oui, me répondit-il en portant son verre à ses lèvres.

Je hochais la tête en allant m'installer à côté de lui. Les images des vacances à Ibiza me revenaient, les pleurs, les crises, l'alcool et la cocaïne. J'avais pensé au début que cela ne me toucherait pas. 

    Selena était une femme solaire, à qui tout souriait, mais lors de ces vacances, une tempête semblait l'avoir avalé toute entière. Son sourire ne la quittait jamais en journée tandis que ses yeux rougies étaient dissimulés derrière ses lunettes de soleil, mais une fois la nuit tombée, les cauchemars étaient noyés sous la musique, l'alcool et la drogue. Un seul prénom revenait à chaque fois lorsque je la trouvais allongée à moitié inconsciente sur le marbre de la salle de bain de la suite : Flavio. 

- Il s'est réveillé du coma ? Demandai-je en baissant la voix.

- Non, répondit simplement Alessandro.

Aucune émotion ne transperçait sa voix.

    Flavio était son petit frère et par conséquent le cousin de Selena. Ayant le même âge, ils avaient tous les deux grandi ensemble comme frère et sœur. Ils étaient inséparables. Peu avant les vacances sur la Côte d'Azur, juste après Londres, Flavio s'était fait tiré dessus dans un club en Allemagne. Son corps s'était fait rapatrié en Italie une fois son état stabilisé. Depuis, il demeurait dans le coma. 

Selena remontait peu à peu la pente, mais en réalité, c'était comme si son cerveau avait endormi cette partie d'elle pour qu'elle puisse survivre et avancer. Selena semblait heureuse, mais il lui manquait une part d'elle-même. 

- Merci d'avoir été là pour elle.

- De rien, n'importe qui l'aurait fait.

- Non, c'est la première fois que Selena nous ramène une amie. Aucune n'a été comme toi avec elle.

    Mon cœur se serra soudainement dans ma poitrine à l'entente de ses mots. Il me rappelait que mes actes avaient une intention autre que l'amitié envers Selena. J'avais profité de ses faiblesses pour être son amie, pour qu'elle partage ses peines et s'attache à moi en me voyant comme une confidente, une alliée, une personne de confiance sur qui elle pouvait compter.

     Imperceptiblement, je pris une profonde inspiration.
Ce serait un mensonge de dire que je n'avais pas une once de culpabilité en moi, cependant, je ne le regrettais pas. Même si mes intentions n'avaient pas été bonnes, au final, je l'avais tout de même aidé et je l'appréciais réellement.
- Comment tu vas toi ? Demandai-je.
Il haussa légèrement les épaules en posant son verre sur un meuble à nos côtés.
- Je fais avec, je n'ai pas le choix.
Lorsque je relevai les yeux vers lui, je me rendis compte qu'il me regardait déjà.

Alessandro mentait. Jamais il ne serait resté ainsi sans rien faire, cet homme ne se serait jamais résolu à ne pas avoir le choix. Il avait retrouvé l'auteur de cette tentative de crime et l'avait torturé jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Le sentiment d'impuissance qu'il avait ressenti face au corps immobile de son petit frère dans la chambre d'hôpital de la clinique, il l'avait pallié en retirant toute possibilité à un homme de nuire à nouveau à sa famille. Et il s'en prendrait à toute personne qui serait liée de près ou de loin à cette tentative de meurtre.
- Il est entre les mains des meilleurs médecins du pays, dis-je comme pour combler le silence dans une tentative de se rassurer.
- Tu sais ce que ça veut dire, me répondit-il en fixant son regard sur la mer.
Je hochai la tête en glissant machinalement mon doigt contre mon verre. Cette phrase qu'il venait de prononcer faisait partie d'une façade qu'il montait pour clore la réflexion.
Le fait que son petit frère soit entre les mains des meilleurs médecins ne constituait aucune certitude de rétablissement à ses yeux et je le savais bien. Nous le savions tous les deux. Ce n'était pas être pessimiste, c'était une réalité qu'il fallait accepter. Tout comme nous ne savions pas assurer qu'il allait mourir, nous ne pouvions assurer qu'il se réveillerait.

J'ai rencontré Flavio en même temps que Séléna. C'était un homme très respectueux, calme et avenant malgré la famille dont il vient.
Il n'était pas un homme innocent, une aura assez sombre se dégageait de lui, mais il y avait quelque chose qui le rendait attachant, quelque chose qui poussait à voir le bien en lui malgré tout. Le savoir dans le coma me touchait. Je ne voulais pas m'attacher à cette famille, il était important que je garde le contrôle, mais j'étais humaine alors parfois accepter de ressentir de la tristesse dans une situation où nous ne le devrions peut-être pas pouvait être la clé pour désamorcer les choses en soi-même.

À l'abri des regards, à côté d'Alessandro, je suivis la direction de son visage. Le soleil s'abaissait peu à peu dans le ciel dans l'horizon. L'étendue bleue se confondait presque avec l'eau calme au loin. Après quelques secondes d'hésitations, je glissai ma main sur la sienne.




L'INTÉGRALITÉ DE CETTE HISTOIRE EST DISPONIBLE SUR AMAZON KINDLE SOUS LE NOM D'AUTEUR DE CAMILLA SERRA.
SEUL QUELQUES CHAPITRES SERONT PUBLIÉS SUR WATTPAD.

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