Au loin, sur la toile grise éparse éclairée par endroits de taches jaunâtres projetées par des néons blafards, une silhouette se découpait. De dos, foulard lâchement noué autour du cou, ce fut sa chevelure courte, mèches maladroitement entortillées, retombant sur son manteau vert, qui attira mon attention. Depuis ma place, serrée entre une vieille face fripée et flétrie revenant du marché, sac de courses se pliant au gré des virages entre les jambes, et un type bedonnant aux odeurs peu rassurantes, je me penchais pour l'apercevoir. Parfois, un nez se dessinait, vaguement, sur le fond bruyant d'une foule se cramponnant aux arrêts subits. D'autres, c'était une main, aux jointures saillantes, sortant d'une poche, qui apparaissait. Quelques fois s'esquissaient le coin de ses lèvres concentrées. Je le regardais. Encore. Les râles du moteur, le rire d'une jeune fille au lourd sac à dos, plus rien n'empêchait mes pupilles de converger vers la même personne. J'hésitais, je ne savais si je devais me lever ou si... mais lorsque les portes s'ouvrirent une dernière fois, laissant un souffle d'air glacé s'engouffrer dans l'étroite allée, il s'évapora. Son visage me fut révélé, à travers la vitre de plexiglas. Mon espoir s'était envolé, ma vision, effacée. Il n'était personne, juste un inconnu, croisé dans le bus. La courbe de son dos avait suggéré autre chose, pourtant. Mais après tout, je ne suis peut-être qu'une obsessionnelle. Une obsessionnelle follement tarée.