Samedi de la deuxième semaine
Antoine faisait aller et venir son doigt le long de mon bras. Je le laissais faire, yeux clos et sourire aux lèvres. J'imaginais que lui aussi devait sourire. Au bout de quelques minutes, il arrêta et déposa un baiser sur mon front, avant de se blottir contre moi. Et je continuais de sourire niaisement, mais n'y prêtais plus attention.
Après tout, quoi de plus normal ? J'étais amoureuse.
- Antoine ?
- Non, on parle pas, on dort.
Je riais et tapotai le haut de son crâne à l'aide de mon index.
- S'il te plait, c'est important. Ça nous concerne.
Il se redressa en prenant appui sur son coude. Je passai une main dans ses cheveux pour le coiffer sauvagement - donc relevai ses cheveux pour que je puisse apercevoir ses yeux noisettes.
- Nous ? Ça me plait, « nous ».
Je ne pus m'empêcher de sourire. Je laissais mes doigts se faufiler entre ses mèches châtains et blondes.
- Sérieusement, Antoine, continuai-je, le regard fuyant. C'est par rapport aux parents, on leur dit ou pas ?
Il haussa les épaules.
- Tu sais, je pense qu'ils s'y attendent. Je veux dire, ils voient bien à quel point on s'entend bien, depuis des années. Puis, entre toi et moi, j'ai assisté à des conversations qui nous concernaient, et je peux t'assurer que ça fait un bout de temps qu'ils pensent que toi et moi on est ensemble.
- Raconte, dis-je en riant.
- Ça ne date pas de cette année ! Déjà quand on avait fait notre première nuit blanche dans le jardin, tu te souviens ?
- Oui, ton père avait déboulé dans le jardin parce qu'il venait de voir qu'on n'était pas dans nos lits, riais-je.
- Après qu'on soit remonté, on a attendu qu'ils s'endorment pour repartir dans le jardin. Et tu m'avais chargé de dire si oui ou non ils s'étaient bien rendormis. Tu te souviens de ça ?
J'hochai la tête en souriant. Je m'en souvenais très bien, même. Et ça me faisait d'autant plus plaisir que je n'étais pas la seule à m'en souvenir.
- En vérité, ils ne dormaient pas. Mais j'ai surpris mes parents en train de se demander ce qu'on pouvait bien faire dehors. Et ils pensaient tous les deux qu'on était en train de s'embrasser.
J'éclatai de rire.
- Et encore hier, quand tu lisais sur le pont. Ils pensaient que je t'avais rejointe, et ils parlaient à propos du « beau couple » qu'on formait toi et moi.
- C'est dingue, je ne m'en suis jamais rendue compte.
- Maintenant tu le sais, a-t-il dit avant de déposer un baiser sur mes lèvres.
- Du coup, on leur dit ou pas ? lui murmurai-je alors qu'il était resté tout près de moi.
- Ils s'en rendront compte touts seuls, ils sont assez grands pour comprendre.
Je glissais mon doigt le long de sa mâchoire.
- Et encore une chose... on fait quoi, pour la suite ?
- La suite ?
- Je n'ai pas attendu trois ans pour qu'on couche ensemble et qu'il n'ait rien par la suite.
Il roula des yeux et se laissa tomber sur le côté.
- J'en sais rien, Flo... on peut pas parler de ça plus tard ?
- Antoine, on part demain.
- Déjà ?
- Déjà.
- Merde.
Il passa ses mains sur son visage et fixa le plafond.
- Je n'en sais rien, Flo, je... je ne suis pas fait pour les relations à distance, moi.
- Moi non plus, mais je ne suis pas faite non plus pour vivre sans toi, alors il va falloir trouver un compromis.
- Et ça, ça fait partie de la liste interminable des raisons pour lesquelles je suis amoureux de toi.
Il tourna la tête vers moi, mais avant qu'on n'ait eu le temps de faire quoi que ce soit, on a frappé à la porte. Antoine plaqua sa main sur ma bouche pour étouffer mon rire.
- Les enfants ? Vous êtes réveillés ?
C'était ma mère. Antoine plaça son index sur sa bouche, et se pencha au-dessus de moi pour attraper son téléphone.
- Merde, il est plus de midi, chuchota-t-il.
- Flo ? Antoine ?
- Euh, ouais. On est réveillé.
- Je peux entrer ?
- Non ! s'écria Antoine alors que la poignée s'abaisser déjà.
J'enfouis mon visage dans l'oreiller pour étouffer mon éclat de rire.
- Je suis tout nu, je m'habille, s'empressa d'ajouter Antoine, et ça me rendit encore plus hilare.
- Et ma fille est dans la même pièce que toi ?
- Elle se cache les yeux.
Antoine tapota mon dos nu pour m'inviter à me taire, mais j'étais bien obligée d'extérioriser mon bonheur d'une façon ou d'une autre.
- Bon, dépêchez-vous, on vous retrouve sur la terrasse.
On entendit ma mère s'éloigner de la chambre. Antoine soupira et me lança un regard noir.
- La prochaine fois, essaye au moins de me venir en aide au lieu d'aggraver mon cas.
J'hochai la tête en riant et me levai du lit. Je cherchais un t-shirt propre parmi ceux disposés en boule sur mon lit et en enfilais un qui m'arrivait mi-cuisses. J'attachais mes cheveux en me tournant vers Antoine qui me regardait en souriant.
- Tu penses vraiment que tu peux me mater comme ça sans mon autorisation ? lui demandai-je en enfilant un short.
- Je pense surtout que plus jamais de ma vie je ne pourrais t'appeler Planche à Pain, c'est clair maintenant.
Le coin de mes lèvres se redressa et je lui envoyai un oreiller dans la figure. Il le rattrapa, mais ne fit que le coincer sous sa tête et continua de me regarder en souriant.
- On t'attend sur la terrasse, Gros Tas, lui lançai-je en sortant de la chambre.
Ce fut avec un sourire indélébile dessiné sur le visage que je descendis sur la terrasse, paquet de céréales en mains. Ma mère me passa aux rayons X tandis que Pierre me demanda si j'avais bien dormi.
- Parfaitement ! On fait quoi aujourd'hui ?
- Tu es bien joyeuse, Flo, remarqua mon père.
- Et alors ? C'est les vacances. Rien de mieux que les vacances.
Il échangea un regard entendu avec ma mère. J'enfournai une cuillère de céréales dans ma bouche alors que Pierre m'expliquait que lui et mon père allaient pêcher aujourd'hui.
- On doit venir avec vous ?
- Je pensais aller à Aubenas avec vous, proposa ma mère. C'est une petite ville où on peut faire les magasins tranquillement. De toute manière, on ne peut pas passer toute l'après-midi là-bas parce qu'on doit rentrer tôt pour commencer à faire les valises. D'ailleurs tu pourras m'aider à étendre le linge ?
J'acquiesçai et Antoine arriva sur la terrasse.
- Bonjour tout le monde !
- Vous êtes vraiment de bonne humeur, vous deux, dit mon père, sourire aux lèvres.
Antoine fit mine de me regarder de haut en bas, et haussa les épaules en annonçant :
- Normal, on est amoureux. On fait quoi aujourd'hui ?
Aubenas était vraiment une charmante ville. Et il était vrai que bon nombre de magasins s'y trouvaient ; on en avait fait plusieurs avec ma mère, trainant Antoine derrière nous qui ne cessait pas de râler. Nous allâmes ensuite tous les trois sur la place du château d'Aubenas, où une énorme terrasse d'un glacier était installée au pied du château. Ma mère accepta de nous offrir des glaces ; Antoine avait opté pour un cornet au citron-basilic, et j'avais pris un pot à la fleur d'oranger. Un délice.
- Ça sent bon, je peux goûter ? me demanda Antoine en se penchant au-dessus de ma glace.
On échangea nos glaces. Antoine planta la cuillère dans la glace et goûta le sorbet à la fleur d'oranger. Ses yeux s'arrondirent et ç'eut pour effet de me faire éclater de rire.
- C'est trop bon ! Je peux manger le reste ?
- Non !
Je lui arrachai mon pot des mains, et goûtai à mon tour son sorbet avant qu'il ne reprenne le cornet.
- Verdict ? fit ma mère, qui nous observait en souriant.
- Il est bon aussi mais je préfère le mien.
Elle rit et je tirai la langue à Antoine. Lui me regardait en pouffant, et je compris qu'il se moquait de moi.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je.
- Attends, bouge pas.
Il se pencha vers moi et m'embrassa le coin des lèvres. Je le laissais faire, ne sachant pas si je devais répondre à son baiser timide ou lui rappeler que ma mère était juste à côté de nous. En s'éloignant, je le vis passer sa langue sur sa lèvre supérieure.
- Tu avais de la glace là, dit-il en pointant le coin de mes lèvres. Je n'allais pas te la laisser.
Mes joues s'incendièrent et je dus éviter le regard attendri de ma mère pour ne pas lui montrer que je l'étais beaucoup plus qu'elle. On a descendu le reste des rues, et quand on eut fini nos glaces, ma mère nous annonça qu'on devait rentrer pour faire les bagages.
Les hommes n'étaient toujours pas rentrés à la maison, mais on commença tout de même à faire les bagages. Antoine et moi rangions nos affaires en silence, en prenant soin de ne pas oublier de préparer une tenue pour le lendemain.
- Flo ?
Je me retournai vers Antoine. Il essayait tant bien que mal de plier ses t-shirts pour les faire rentrer dans sa valise. Je me levai et décidai de l'aider.
- On fait quoi ?
Et je savais très bien de quoi il parlait.
Je soupirai, et tentai vainement de retenir mes larmes.
- Je n'en sais rien. On pourrait essayer de se voir pendant les vacances scolaires, et les weekends aussi.
- Et tu penses que ça pourrait marcher ?
- Je ne sais pas.
Je passai mes mains sous mes yeux, et levai la tête vers Antoine en m'efforçant de sourire. Il m'offrit un sourire sincère et rassurant, qui me donna l'envie de me blottir dans ses bras. Il prit ma main dans la sienne et déclara, d'une voix ferme :
- Je suis sûr que ça marchera. Je ne vois pas pourquoi ça ne fonctionnerait pas ; puis il y a le téléphone, internet, Skype, je veux dire, on a plein de moyens de se contacter aujourd'hui.
- Oui, tu as raison.
- Dans le pire des cas, je t'enverrai un pigeon voyageur.
Je riais, et admirais nos mains qui étaient faites pour être réunies.
- On essaye alors ?
- On essaye et on gagne.
J'approuvai par un hochement de tête. Puis on termina de remplir sa valise, puis la mienne, et on descendit rejoindre les adultes dans le jardin. On parla longtemps de notre séjour, de ce qui c'était passé. On évoqua la prochaine fois, l'année prochaine, et on était tous d'accord de faire en sorte qu'il y ait cette prochaine fois. On parla jusqu'à ce que le ciel s'assombrisse et qu'on aperçoive les premières étoiles peindre cette toile sombre qu'étaient les cieux.
En montant dans la chambre, qui m'avait l'air vide car rangée, je retrouvai un morceau de papier où Antoine m'invitait à le rejoindre sur la terrasse. Il était assis sur le rebord, une couverture était jetée sur ses épaules et ses jambes pendaient au-dessus de l'herbe. Il jouait avec un briquet, ses yeux rivés sur la flamme qui dansait au gré de la légère brise qui s'était levée. Je me glissai sous la couverture à côté de lui et remarquai dans son autre main un roulé.
- Laisse-moi deviner ; il n'y a pas que du tabac dans ce truc ?
- Ce n'est pas bien raisonnable, je sais, sourit Antoine. Mais là, j'en ai besoin. Sauf que je ne vais pas fumer ça tout seul, alors...
- Alors tu demandes à ta copine de t'aider, c'est ça ?
- J'aime que tu dises que tu es ma copine. On dirait l'aboutissement de toute une vie. Si tu savais le nombre de fois où j'ai rêvé que les gens te regardent et disent « eh, c'est la copine d'Antoine ».
J'esquissai un sourire. Il alluma le joint, tira deux lattes et me le passa.
- Tu sais ce qui est le plus dingue ? s'étonna-t-il. C'est que, toi et moi, on a fait l'amour hier soir.
- En quoi c'est dingue ?
- Je sais pas. Disons que vu que je suis grave amoureux de toi, ça me paraissait surréaliste qu'un jour, toi et moi on couche ensemble.
- Et c'était ce à quoi tu t'attendais ?
Il tourna la tête vers moi en souriant.
- Mieux que tout ce à quoi j'avais espéré.
- Je le prends comme un compliment, du coup.
- Oh que oui.
Je riais et le détaillais. Il avait allumé une bougie et la lumière qui s'en échappait éclairait faiblement son visage bronzé. Ça me rappela la nuit où on s'était embrassé. Ça avait été une nuit parfaite, comme la nuit dernière. Et comme celle qui s'annonçait.
- Je t'aime Antoine.
J'avais dit ça parce que je le pensais. Clairement, je n'aimais pas ces couples qui se disait des « je t'aime » à tout bout de champs. Pour moi, ces mots signifiaient quelque chose, quelque chose de fort. Ça me paraissait même absurde de le dire à ce moment-là à Antoine - mais en y réfléchissant, ça faisait douze ans qu'on se connaissait, et en plus de ça, il le savait.
Antoine me regarda longuement, et me sourit.
- Moi aussi je t'aime, Flo.
Je souris, puis tirai à nouveau sur le joint. Quelque chose dans le regard d'Antoine s'illumina, et j'expirai un nuage de fumée blanche dans sa bouche avant de l'embrasser. Puis il poussa la bougie et aplatit la couverture sur le sol de la terrasse. Je me laissais tomber à la renverse dessus et il s'allongea sur moi, avant de m'embrasser en jouant avec le cordon de mon short.
- Tu sais que c'est mon plus gros fantasme ? murmura-t-il à mon oreille avant de tirer sur mon t-shirt et de m'embrasser la base des seins.
- Faire l'amour sur la terrasse de Ribes ? soufflai-je en riant.
Je lui tendis le joint. Il tira pendant de longues secondes, et me répondit en souriant :
- Non : te faire l'amour sur la terrasse de Ribes. En fumant de la beuh, aussi.
- J'imagine que c'est pour ça que tu as tout prévu ? dis-je en sortant un préservatif de la poche arrière de son jean.
Il hocha la tête avant de reprendre sa trainée de baisers.
- Et si les parents nous voient ?
- On dit que c'est la nature, grogna-t-il dans mon cou.
- Et pour le joint, on dit quoi ?
Il se redressa au-dessus de moi, plaça le joint entre mes lèvres et attendit que je termine pour me répondre :
- Ça aussi, c'est la nature.
J'explosai de rire, sous les effets de la drogue ou non. Et la suite de la soirée, je vous laissais la deviner.
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